Berthe Weill au musée de l'Orangerie : portrait d'une galeriste qui aimait les jeunes
Le musée parisien des Tuileries remet en lumière cette femme méconnue qui ouvrit sa première galerie à Paris en 1901. L'exposition réunit les plus belles toiles de ses poulains, devenus de grands noms de l'art moderne.
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Après Paul Guillaume en 2023 et Heinz Berggruen en 2024, le musée de l'Orangerie poursuit sa série d'expositions sur les grands marchands d'art avec Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde, jusqu'au 26 janvier 2026. Nous avons pu découvrir cette exposition la veille de son inauguration.
Avec la même curiosité et autant d'enthousiasme qu'elle en a montrés pour les jeunes artistes à l'orée du XXe siècle, nous nous sommes intéressés à cette galeriste d'avant-garde. Voici le portrait d'une pionnière oubliée, inspiré par les cartels de l'exposition et les visites mises en place pour le jeune public et les familles.
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Berthe Weill naît à Paris en 1865 dans une famille juive modeste d'origine alsacienne. Elle n'a qu'une quinzaine d'années lorsqu'elle entre en apprentissage chez un marchand de tableaux. Lorsqu'il décède, elle décide de s'installer à son compte et ouvre une boutique d'antiquités. La jeune femme s'intéresse beaucoup aux peintres de sa génération.
Dès 1901, elle transforme son commerce, dans le quartier de Pigalle, au pied de la butte Montmartre, en galerie d'art : la Galerie B. Weill, 25 rue Victor Massé. Elle réduit son prénom à une initiale, sans doute pour ne pas être identifiée en tant que femme. Sa galerie changera par la suite trois fois d'adresse dans Paris.
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Sa devise : place aux jeunes ! Berthe Weill choisit de s'engager aux côtés des artistes de son temps, de les faire connaître et grandir. Comme elle a du flair, on trouve parmi ses protégés de futurs grands noms de la peinture : Pablo Picasso, Henri Matisse, Amedeo Modigliani, Suzanne Valadon, Raoul Dufy, Marc Chagall ou encore Kees Van Dongen.
Au début du XXe siècle, dans le milieu des marchands d'art et des collectionneurs, Berthe détonne. Elle est femme dans un monde très masculin et ses ressources financières sont limitées. La première salle de l'exposition révèle ses goûts éclectiques, très précurseurs pour l'époque, avec certaines toiles devenues célèbres, notamment La Chambre bleue de Pablo Picasso et la Première nature morte orange d'Henri Matisse.
"J'achète les trois premiers Picasso"
Berthe Weill rencontre Pablo Picasso en 1900 alors qu'il a la vingtaine et arrive tout juste de Barcelone. Séduite par son talent, elle lui achète trois premières toiles et le recommande à d'autres collectionneurs et marchands. Elle repère dans son atelier un tableau qui deviendra iconique : Le Moulin de la Galette. Elle en obtient un prix important pour un artiste aussi jeune. Avant même l'exposition Picasso à la galerie d'Ambroise Vollard en 1902, elle avait vendu une quinzaine de toiles du prometteur andalou.
Berthe Weill repère d'autres jeunes talents en arpentant les salons de peinture. Elle les encourage à se présenter dans sa galerie et se forge rapidement une réputation de découvreuse. Derrière ses lunettes rondes, cette petite femme en noir a un œil aiguisé. Elle sera la première à révéler au public les nouvelles recherches de Picasso qui seront par la suite qualifiées de "période bleue".
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Berthe Weill est également l'une des premières à exposer dans sa galerie de jeunes peintres pour qui la couleur prime. Une femme entre dans la cage aux Fauves. Elle n'est pas rebutée, comme le furent tant de critiques, par ces tons vifs et contrastés, jugés trop sauvages pour les goûts plus feutrés de l'époque. Dans l'exposition, admirez notamment le tableau de Maurice de Vlaminck, Le Restaurant de la machine à Bougival ou encore L'Homme au château de paille du Hongrois Béla Czobel.
La grande toile de Raoul Dufy, 30 ans ou la vie en rose, est une autre perle dénichée en 1931 par cette galeriste d'avant-garde. Berthe Weill joua un rôle essentiel dans la reconnaissance de ce mouvement en présentant régulièrement des expositions collectives jusqu'à constater un jour que "les Fauves commencent à apprivoiser les amateurs". Une petite victoire. Elle sera également très active dans la défense du cubisme et des artistes abstraits comme Otto Freundlich
Deux amies dans la guerre
Berthe Weill et la peintre Émilie Charmy se rencontrent en 1905. La galeriste apprécie particulièrement l'indépendance de cette femme qui ne fait partie "d'aucune chapelle". Elles deviendront très proches. Berthe Weill prendra même la pose pour son amie (voir photo en tête de cet article). Elle présentera ses œuvres pendant près de trente ans au fil d'une trentaine d'expositions. C'est probablement Émilie Charmy qui l'a protégée des persécutions antisémites durant la Seconde Guerre mondiale en la cachant chez elle. Berthe ne sera pas arrêtée, mais vivra sous l'Occupation dans un grand dénuement.
En 1933, sont parues ses mémoires intitulées Pan dans l'œil !... ou Trente ans dans les coulisses de la peinture contemporaine (1900-1930). Berthe Weill défendra toujours avec ferveur les femmes artistes, notamment l'inclassable Suzanne Valadon. Sa curiosité la pousse à donner leur chance à des peintres n'appartenant à aucun courant précis, en faisant confiance à son instinct. La galeriste est également une femme engagée qui participe à sa façon, exposition après exposition, à la lutte contre certains défenseurs d'un pseudo "bon goût français", aux relents xénophobes et antisémites. Malgré les vicissitudes, l'attention qu'elle porte aux jeunes ne faiblit jamais.
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Après la fin de la guerre, en 1946, une vente aux enchères est organisée à son profit pour l'aider à résoudre ses difficultés financières et la sortir de la misère. Ses plus vieux amis, des artistes et même des galeristes concurrents, offrent près de 80 œuvres pour la soutenir. Berthe Weill peut alors prendre sa retraite. Elle mourra à Paris, dans son domicile de la rue Saint Dominique, là où se trouvait sa dernière galerie, le 17 avril 1951, à l'âge de 85 ans.
Durant quarante ans, cette marchande d'art passionnée a accompagné près de 300 artistes, de toutes nationalités, suivant ses goûts et ses intuitions, à une époque où beaucoup venaient chercher la reconnaissance à Paris. Dès 1927, le critique d'art Christian Zervos avait écrit cette phrase prémonitoire : "Elle connut l'enthousiasme et en fit la plus belle activité de son esprit."
"Berthe Weill. Galeriste d'avant-garde", du 8 octobre 2025 au 26 janvier 2026 au musée de l'Orangerie à Paris, tous les jours, sauf le mardi, de 9h à 18h, 21h le vendredi. Tarif maximum à 12,50 euros, gratuit pour les moins de 18 ans
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