L'art des Bushinengés, les "marrons" du Suriname et de Guyane, à la Maison de l'Amérique latine
Une rare exposition, à la Maison de l'Amérique latine, nous fait découvrir l'histoire et l'œuvre artistique des Bushinengés, les descendants des esclaves africains qui se sont échappés des plantations du Suriname et ont résisté dans la forêt.
L'histoire et l'art des Bushinengués sont peu connus. La Maison de l'Amérique latine à Paris met sur le devant de la scène des objets traditionnels et l'art contemporain des descendants de ces "marrons", esclaves fugitifs qui ont reconstitué des sociétés dans la forêt au Suriname (ancienne Guyane néerlandaise) et en Guyane française. Ils continuent à perpétuer leur culture originale, une culture de résistance issue d'un mélange de peuples africains.
Un grand triangle de bois finement sculpté et peint nous accueille dans l'exposition. Réalisé par Carlos Adaoudé, il est inspiré des frontons de maisons traditionnelles en bois. Ces décorations "définissaient les qualités de l'homme qui y habite et qui l'a construite", à travers une quantité de symboles, fréquents dans l'art des peuples bushinengés. Carlos Adaoudé se dit "dans l'esprit de l'évolution de l'art tout en gardant l'esprit traditionnel de la sculpture". Il a appris le tembe (mot bushinengé pour art) de son père, descendant d'une longue lignée de tembemans.
Des peignes pour conquérir le cœur des filles
Au Suriname, "les plantations suivaient les cours d'eau, avec l'entrée sur le fleuve et la forêt au fond. Il n'y avait pas de grillage, il était donc très facile de s'échapper", raconte Geneviève Wiels, co-commissaire de l'exposition. Les esclaves déportés d'Afrique fuient ainsi les mauvais traitements et reconstituent des sociétés, protégés par la forêt. Les planteurs leur font la guerre, envoyant 1 200 mercenaires à leur poursuite en 1772. Une partie des fugitifs passent alors du côté de la Guyane française.
Parmi ces mercenaires à la solde des Hollandais, l'Ecossais Jean-Gabriel Stedman, racontera son expérience du monde des plantations avec des gravures qui en sont un rare témoignage.
Quand les Bushinengés se sont installés dans la forêt, ils ont utilisé ce qu'ils trouvaient, sculptant des objets utilitaires dans le bois. La peinture est venue plus tard, quand la guerre a été terminée et que le contact a été renoué avec la société occidentale, au milieu du XIXe siècle. Des pièces qui semblent utilitaires ne sont pas toujours utilisées, comme certains peignes, fabriqués par les hommes pour conquérir le cœur des filles. "J'ai connu ma grand-mère avec un peigne de son premier mari. Elle le sortait et passait la main dessus. Le peigne symbolise le souvenir", raconte Carlos Adaoudé.
Objets rapportés dans les années 1930
Franky Amete, lui, crée une pagaie monumentale, en bois, tôle et clous, inspirée des pagaies qui servent à circuler sur l'eau. Il réalise aussi des peintures sur bâches, librement inspirées des symboles traditionnels. Antoine Dinguiou est un des premiers artistes bushinengés à peindre sur toile, imaginant des motifs qui représentent "l'amour éternel" ou "le tourbillon, la navigation sur le fleuve".
Antoine Lamoraille, artiste de la génération d'avant, peignait plutôt des portes ou des frontons de maisons. Indépendantiste, il a été condamné pour ses activités politiques et incarcéré à Paris, à la prison de la Santé, dans les années 1970. Il a accepté que ses peintures, intransportables, soient reproduites. Car, pour lui, l'important c'est le message politique et philosophique qu'elles portent.
Les femmes, traditionnellement, créaient des tissus, en broderie, en patchwork, au crochet. Elles les offraient à leur mari, elles en faisaient des pagnes (pangis), on les sortait lors des cérémonies de deuil. Aide-soignante en dernière année d'études d'infirmière, "je couds à mes heures perdues", raconte Sherley Abakamofou, qui expose une œuvre réalisée au point de croix. Mais c'est "un travail qui demande énormément de temps", remarque-t-elle.
"On continue à marronner"
De très beaux objets traditionnels, peignes, pagaies, plats, un jeu d'awele, un tambour, un battoir, qui appartiennent aujourd'hui au musée du Quai Branly, sont rassemblés dans de grandes vitrines. Ils ont été apportés à Paris lors des missions menées dans les années 1930 pour le musée de l'Homme par l'ethnologue Paul Sangnier et le poète Léon-Gontran Damas, puis un peu plus tard par le cartographe Jean Hurault, devenu ethnologue. Celui-ci a aussi documenté en noir et blanc la vie sur le fleuve, les cérémonies de deuil, les maisons en bois couvertes de palmes...
Aujourd'hui, ce sont de jeunes photographes bushinengés qui témoignent eux-mêmes de leur culture et des tensions auxquelles ils sont soumis. Ramon Ngwete photographie en noir et blanc ("le noir et blanc reflète bien les émotions", estime-t-il), un départ en pirogue pour un enterrement. Il fait aussi le portrait d'une de ses tantes. "Quand je les prends en photo, ces gens ne se cachent pas, j'ai une facilité d'accès." Il s'agit pour lui de "raconter avec nos mots" une société qui évolue. Car, si les Bushinengés sont attachés à leurs traditions, "dans les petits villages, ils ont la 4G, ma grand-mère a Netflix", s'amuse-t-il.
Gerno Odang livre des images en noir et blanc des émeutes de 2017 à Cayenne. "C'est une façon pour moi de représenter le marronnage. Le marronnage, c'est désobéir au colonialisme. Là c'était pour protester contre des manques d'infrastructures et de moyens, et contre la violence qu'il y avait à ce moment-là. Une façon de montrer que les pressions dans nos sociétés se poursuivent et qu'on continue à marronner", dit-il.
Marronnage, l'art de briser ses chaînes
Maison de l'Amérique latine
217 boulevard Saint-Germain, 75007 Paris
Tous les jours sauf dimanches et jours fériés, 10h-20h, le samedi 14h-18h
Entrée libre
Du 12 mai au 24 septembre
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