Les paquebots de légende sont de retour au Havre dans une exposition qui fait revivre les grandes traversées transatlantiques
"France", "Normandie", "Île-de-France"... Ces géants des mers assuraient au début du XXe siècle la liaison entre le Vieux continent et l'Amérique. Symboles de modernité et de luxe, ils ont inspiré de nombreux créateurs.
Derrière les grandes baies vitrées du musée d'art moderne André Malraux (MuMa), passent parfois ces nouveaux géants des mers que sont les porte-conteneurs. Au loin se dessine aussi la colossale silhouette des bateaux de croisière, aux allures de HLM flottants, qui stationnent dans le port du Havre. Rien à voir avec les navires de légende qui sont au cœur de l'exposition Paquebots 1913-1942, une esthétique transatlantique, présentée jusqu'au 21 septembre dans le lumineux MuMa.
Elle nous parle d'un temps révolu ancré dans nos imaginaires. Bien avant les vols charters et le fameux Concorde, ces palaces flottants dressaient un pont entre l'Europe et le Nouveau Monde. Le mot français paquebot vient de l'anglais packet boat [bateau à paquets] puisque ces lignes assuraient à l'origine le transport postal. Les paquebots de ligne étaient l'unique moyen de traverser les océans. L'exposition met l'accent sur la période de l'entre-deux-guerres, les années 1920-1930. Plusieurs compagnies se livraient alors une concurrence débridée pour attirer à bord une riche clientèle, à l'orée de la civilisation des loisirs.
180 œuvres sont réunies : des tableaux, des affiches, de nombreuses et étonnantes photographies, des films, des poèmes, du mobilier et de superbes objets d'arts. Admirez par exemple le pichet en laiton chromé de Peter Müller-Munk (1935). Le créateur s'est inspiré de la coque effilée du Normandie, conçue pour fendre les flots. Le mastodonte français ralliait New York en moins de cinq jours. Géraldine Lefebvre, la directrice du musée havrais, explique que "France et Normandie sont deux paquebots de légende, de plus de 300 mètres de long, qui ont été des fleurons de la flotte française".
Elle rappelle que cette exposition "centrée sur l'objet paquebot dans l'art" a été présentée dans une première version à Nantes à l'automne dernier où elle a remporté un franc succès, la coproduction permettant de partager les frais. Elle célèbre les 90 ans du voyage inaugural du 29 mai 1935 du paquebot Normandie, construit sur les chantiers de Saint-Nazaire. Le monde de la machine, avec ses lignes, ses courbes, ses tubes et autres rouages, fascinait alors les créateurs, qu'ils soient peintres, graphistes ou architectes.
Des tableaux et des affiches iconiques
L'une des commissaires, Clémence Poivet-Ducroix, connaît bien les archives de la marine marchande. Avant de travailler au MuMa, elle s'est occupée pendant six ans des collections French Lines & Compagnies au Havre. Elle explique qu'au début du XXe siècle, "le monde se rétrécit" et qu'il a "de plus en plus besoin de commercer et de communiquer". Le paquebot est "un outil indispensable vers la globalisation du monde, un symbole de modernité que vont regarder les artistes".
L'exposition s'ouvre sur trois tableaux du peintre naïf Jules Lefranc. L'un d'eux, daté de 1933, s'intitule Le Lancement de Normandie. Le cadrage et la couleur de l'immense coque, peinte en rouge vif sur fond de ciel bleu et de mer émeraude, sont avant-gardistes. Adeline Colange-Perugi, co-commissaire de l'exposition, précise toutefois que, contrairement aux apparences, le peintre n'a pas totalement "rêvé" ce géant écarlate. Il s'est tout simplement inspiré de l'antirouille utilisé sur le chantier de construction.
L'exposition réunit de multiples affiches publicitaires iconiques, notamment la maquette originale dessinée par Cassandre pour l'inauguration du Normandie. Elle fait aussi la part belle au travail des photographes des Années folles, invités par les compagnies maritimes sur les chantiers pour communiquer.
Ils ne se sont pas contentés de vues générales, aussi spectaculaires soient-elles. Ils ont aussi porté un regard artistique sur ces géants des mers, dans leur façon de cadrer et de mettre le focus sur des détails signifiants : étrave, cheminées, hublots, hélice, chaîne d'ancre... Les clichés de François Tuefferd sont à cet égard fascinants. À découvrir aussi, des photomontages aussi amusants que surprenants du Normandie dans les rues de New York, révélateurs de l'influence des surréalistes comme Dora Maar ou encore Man Ray.
La deuxième partie de l'exposition nous fait monter à bord de ces villes flottantes pour un voyage transatlantique. Sur le pont, où s'organisaient parfois des défilés de mode comme celui de Jeanne Lanvin. À la piscine, où Johnny Weissmuller, nageur olympique et Tarzan de cinéma, épatait la galerie par ses plongeons. Sur les transats, ces "chaises de pont" pour les bains de soleil, que l'on retrouve dans nos jardins.
Paradoxalement, ce n'est pas le style moderniste qui s'est imposé dans l'aménagement intérieur des paquebots, mais le style Art déco. "Un retour à l'ordre et au style palatial", selon Clémence Poivet-Ducroix. Un dessin monumental de Jean-Théodore Dupas, Le Char de Poséidon, présente par exemple le projet de décor en verre gravé et églomisé du grand salon de Normandie. Il reste quelques morceaux de cette immense composition, mais ils sont trop fragiles pour être transportés. Les panneaux de laque rouges et dorés du fumoir de la première classe du paquebot français ont en revanche pu être réunis.
Si la scénographie, sans surprises, manque un peu de relief, il faut prendre le temps de s'attarder sur certains trésors présentés dans les vitrines, notamment La Boîte-en-valise de Marcel Duchamp, un émouvant musée portatif dans lequel l'artiste a rangé des miniatures de toutes ses œuvres importantes.
L'âge d'or de la traversée transatlantique, que l'exposition fait revivre, prend fin en 1942 après l'entrée en guerre des États-Unis. Normandie doit être transformé pour transporter des troupes, mais il prend feu et chavire dans le port de New York en février. Le 14 mai, Marcel Duchamp embarque sur Maréchal Liautey, l'un des derniers navires qui pourra quitter Marseille, et rejoint les États-Unis en juin. Avant de pouvoir faire le voyage retour, nombre de ces artistes résisteront à leur manière depuis New York dans un exil combattant.
"Paquebots 1913-1942, une esthétique transatlantique" du 26 avril au 21 septembre 2025
Musée d'art moderne André Malraux (MuMa), 2 boulevard Clemenceau, Le Havre
Ouvert du mardi au vendredi de 11H à 18H, le week-end de 11H à 19H
Plein tarif à 10 euros et tarif réduit à 6 euros. Entrée libre le premier samedi du mois
Fermé le 1er mai. Ouverture exceptionnelle et gratuite le 14 juillet
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