David Hockney à la Fondation Louis Vuitton : vingt-cinq ans de peinture, le sacre du printemps, de la lumière et de la couleur

Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Peinture sur iPad de David Hockney de 2020 (à gauche) et "Self Portrait IX" de 2012 (à droite). (DAVID HOCKNEY)
Peinture sur iPad de David Hockney de 2020 (à gauche) et "Self Portrait IX" de 2012 (à droite). (DAVID HOCKNEY)

La phrase est du peintre et elle est inscrite sur la façade de la majestueuse Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry : "Rappelez-vous qu'ils ne peuvent pas annuler le printemps". Plus qu'un slogan, c'est la devise de David Hockney et de l'exposition qui lui est consacrée.

On le dit souvent le dernier survivant du pop art, mais comme il est des écrivains voyageurs, David Hockney est avant tout un peintre voyageur. Des paysages mélancoliques de son Yorkshire natal aux très éblouissantes lumières de Californie en passant par les bocages pluvieux de la Normandie où il s'était installé en 2019, l'exposition David Hockney 25 est un carnet de route du peintre.

L'historien de l'art britannique Norman Rosenthal le souligne dans le catalogue de l'exposition : "Il a parcouru le monde en utilisant toujours tous ses sens, mais évidemment surtout ses yeux (…) Il a arpenté Bradford où le hasard l'a fait naître, Londres puis Los Angeles, mais aussi et c'est essentiel, l'Extrême-Orient, la Chine le Japon ainsi que les pays scandinaves, notamment l'Islande et la Norvège qui ont tous leurs propres effets de lumière magique."

Cette lumière magique est à retrouver dans les 400 toiles présentées par la Fondation Louis Vuitton dans le bois de Boulogne, à Paris, jusqu'au 31 août 2025. Parcours géographique et chronologique de cet artiste solaire.

Tout débute à Bradford 

Si l'exposition David Hockney 25 raconte les vingt-cinq dernières années de création du peintre, une petite entorse bienvenue permet de commencer la visite. Comme dans la vie de David Hockney, le parcours débute à Bradford, sa ville natale au centre de l'Angleterre, avec le portrait de son père en 1955. Ce portrait pourrait être le premier des centaines de personnages que Hockney peindra ensuite. Nous y reviendrons.

Redingote noire, cravate rayée et pantalon de flanelle, l'homme semble fatigué et inquiet. Une toile simple, mais qui fera l'admiration de ses congénères des Beaux-Arts et démontre déjà l'attachement de David Hockney à percer subtilement l'âme humaine. François Michaud, commissaire de l'exposition, explique à franceinfo Culture que "le peintre a toujours tenu à s'intéresser à ses proches. Hockney est présent, il est au monde, et je pense que c'est cette présence au monde qui fait les choses les plus pures".

"Portrait of my Father" peint par David Hockney en 1955. (DAVID HOCKNEY)
"Portrait of my Father" peint par David Hockney en 1955. (DAVID HOCKNEY)

Voisines du portrait du père, le visiteur découvre les toiles revendiquant l'homosexualité du peintre.  Il faut alors se souvenir que dans les années 1960, l'homosexualité est illégale en Grande-Bretagne et la société britannique est largement intolérante. C'est donc courageusement que David Hockney, étudiant au Royal College of Art, décide de faire son coming out en 1960 et crée ce qu'il nomme de manière provocatrice ses love paintings puis ses propaganda paintings (sous-entendu de propagande homosexuelle). Sous la douche ou alanguis sur le lit, les corps d'hommes nus sont à la fois banalisés et magnifiés. L'inquiétude se lit dans ses toiles, mais aussi et surtout le plaisir.

François Michaud explique ce balancier entre joie et contestation : "Ses tableaux dévoilent ce combat qui était l'affirmation de sa réalité dont l'homosexualité faisait partie. Mais comme il s'agissait aussi de s'affirmer comme peintre au milieu d'un monde qui, d'une certaine façon, ne l'attendait pas. La turbulence de ce monde, l'audace de ces peintures illégales quand l'homosexualité était proscrite en Angleterre, tout ça était sur la toile." Et de rajouter : "Il y a des phrases fétiches chez David Hockney, qu'il aime prononcer comme Love Life. Mais il sait bien que la vie n'est pas faite que de moments gais et que la peinture n'est pas faite non plus pour retranscrire uniquement la gaieté."

Cap vers la Californie

Délaissant son Angleterre, sa première étape sera Los Angeles en 1964. Par la même occasion, il range la peinture à l'huile et les pinceaux pour l'acrylique et les rouleaux. Et vient rapidement, avec la complicité d'Andy Warhol, le temps de ses tableaux stars que sont A Bigger Splash et ses piscines californiennes. Son Masterpiece est face au visiteur à la Fondation Louis Vuitton. C'est l'occasion de regarder attentivement cette toile maintes et maintes fois reproduite. Ce tableau, au format de Polaroid mais géant, est un carré de 242 centimètres de large, signe de l'attention que David Hockney prête à la photographie.

La scène représente les dernières éclaboussures d'un plongeur sous le ciel éclatant de Californie. Avec son humour so British, Hockney déclare à l'époque : "J'ai adoré l'idée de peindre quelque chose qui ne durait que 2 secondes. Il m'a fallu 2 semaines pour peindre cet événement de 2 secondes !"

Mais dans la solitude et le vide de cette demeure de star, il pourrait y avoir du Edward Hopper.

"A Bigger Splash", 1967, acrylique sur toile de David Hockney. (DAVID HOCKNEY)
"A Bigger Splash", 1967, acrylique sur toile de David Hockney. (DAVID HOCKNEY)

Le peintre voyageur aime circuler en voiture et la Californie est un formidable terrain de jeu avec ses déserts à perte d'horizon. Il a conceptualisé le regard de celui qui parcourt ainsi les étendues.

François Michaud a souvent entendu le peintre dire : "Un paysage vu en voiture, déjà, ça dépend si vous êtes au volant ou si vous êtes passager. Vous ne voyez pas les mêmes choses, vous n'avez pas la même perception de l'espace. Si vous conduisez, vous regardez vers la route, vers l'horizon. Si vous êtes passager, vous regardez tout autour". "Eh bien", poursuit Michaud, "la vision de David Hockney est faite des deux regards." 

"A Bigger Grand Canyon", 1998, huile sur soixante toiles de David Hockney. (NATIONAL GALLERY OF AUSTRALIA)
"A Bigger Grand Canyon", 1998, huile sur soixante toiles de David Hockney. (NATIONAL GALLERY OF AUSTRALIA)

Sa représentation du Grand Canyon qui orne la salle suivante illustre ce propos et elle est impressionnante. Vision cinématographique et panoramique, la toile mesure 7 mètres sur 2, le rouge domine et les couleurs sont déformées. Il y a du Nabis chez Hockney. Pour saisir l'immensité, il a déformé les perspectives, il a placé le point de fuite derrière le spectateur, la fameuse perspective inversée pour l'engloutir dans sa toile. Il n'y a pas de doute, David Hockney est un grand paysagiste dans la ligne de Turner ou Constable, ses homologues britanniques.

Retour vers le Yorkshire

Là encore, le travelling voiture va influencer Hockney. Dans les années 1990, il revient dans le Yorkshire pour retrouver sa mère âgée ou son ami Jonathan Silver, de Bradford, atteint d'un cancer. Il parcourt la campagne. Tout en préservant son regard moderne inventé en Californie, il peint son paysage quotidien. Il raconte que pour Garrowby Hill et ses virages vertigineux qui semblent happer le spectateur, il a dû, "les quelques mois qui ont précédé, monter et descendre cette colline une bonne soixantaine de fois". "C'était pour moi quelque chose de très fort. Un sentiment puissant." Comme un peintre remettant éternellement son ouvrage sur le métier, en 2017, il reproduira ce panorama aux couleurs pop.

"Garrowby Hill" de David Hockney, 2017. (DAVID HOCKNEY)
"Garrowby Hill" de David Hockney, 2017. (DAVID HOCKNEY)

L'étape française dans son jardin normand

Comme le dit le catalogue, l'arrivée en pays d'Auge de David Hockney est bien le passage "du palmier au pommier". Et sa Normandie occupe un étage entier de la Fondation Louis Vuitton. Sa Normandie est aussi la continuité du passage de relais entre l'acrylique et l'iPad, amorcée dix ans auparavant. Dès 2010, le novateur utilise la palette graphique, mais sans jamais abandonner complètement le pinceau, le crayon ou le rouleau.

Le commissaire François Michaud nous rappelle que Hockney "aime la technique, il aime la photographie, il aime l'iPad, on sent que c'est un homme qui vit dans son siècle, mais devant une œuvre de David Hockney, c'est du David Hockney. Que ça soit à partir de l'iPad, de la photographie ou du dessin et du pinceau, il peut se servir de tout."

Hockney à Beuvron-en-Auge, non loin de Bayeux, ce sera l'occultation méticuleuse des saisons et c'est là qu'il déclarera en pleine crise du Covid sa phrase légendaire : "Rappelez-vous qu'ils ne peuvent pas annuler le printemps." Il passera l'épidémie en faisant cadeau de ses croquis dessinés sur le fameux iPad et envoyés à ses amis par internet. Il disait à BBC News : J'ai continué à dessiner les arbres d'hiver qui ont fini par fleurir. C'est l'étape dans laquelle nous sommes en ce moment. Pendant ce temps, le virus est devenu fou, et beaucoup de gens ont dit que mes dessins leur donnaient un instant de répit face à ce qui se passait…" 

"27th March 2020, No. 1", peinture sur iPad imprimée sur papier de David Hockney. (DAVID HOCKNEY INC)
"27th March 2020, No. 1", peinture sur iPad imprimée sur papier de David Hockney. (DAVID HOCKNEY INC)

Dans les salles suivantes, c'est l'occasion de (re)découvrir ses portraits comme une réponse à la première toile représentant son père. Après le paysagiste, c'est le portraitiste qui est mis à l'honneur.

Hockney a représenté depuis le début de sa carrière ses amis, ses amours, ses voisins et ses médecins, ses infirmiers, le maire du village ou des stars de passage et, en bonne place, son compagnon Jean-Pierre Gonçalves de Lima. Il dit que tirer le portrait d'une personne, c'est la rendre immortelle. Une recherche du temps perdu à l'image de Proust pour cette saga qui a trouvé sa place en Normandie, comme une autobiographie. 

Donatien Grau, qui a eu le privilège de poser pour Hockney, raconte : "David est l'un des plus grands dessinateurs actuels, à l'égal de Degas ou Picasso. Pourtant, il ne dessine plus sous le portrait [il ne fait plus d'esquisse], il prend tous les risques. Tout peut aller de travers."

"J-P Gonçalves de Lima, 11th, 12th, 13th July 2013" par David Hockney. (DAVID HOCKNEY)
"J-P Gonçalves de Lima, 11th, 12th, 13th July 2013" par David Hockney. (DAVID HOCKNEY)

Pour cette exposition qui pourrait ressembler à une rétrospective tant elle est riche, mais qui a contourné l'écueil du trop-plein, il faut aussi découvrir Hockney et l'histoire de l'art (son admiration pour Van Gogh, Picasso, Lorrain), son amour pour l'opéra qu'il qualifie de "théâtre de l'excès" ou ses derniers travaux, preuves que l'infatigable et malicieux Hockney n'a pas quitté le chemin de l'atelier.

Exposition "David Hockney 25" à la Fondation Louis Vuitton, jusqu'au 31 août 2025

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