On vous raconte qui était Marguerite, le modèle de cœur de son père, le peintre Henri Matisse
L'aînée de ses trois enfants occupe une place essentielle dans sa vie. Elle fut son modèle le plus constant. Son visage traverse toute son œuvre.
L'exposition présentée au Musée d'Art Moderne (MAM) de Paris jusqu'au 24 août 2025, Matisse et Marguerite, le regard d'un père, vise à sortir de l'ombre cette femme qui joua un rôle fondamental dans l'élaboration de l'œuvre de son père et sa diffusion dans le monde entier. Fragile et forte à la fois, Margot, son surnom, avait de multiples talents et mérite d'être mieux connue. Elle et son père ont formé un duo rare dans l'histoire de l'art. Voici, en dix touches, l'esquisse d'un portrait pointilliste de cette célèbre inconnue.
Elle est née hors mariage
Marguerite naît en 1894 d'une éphémère relation entre son père, étudiant en sculpture de 26 ans et Caroline Joblaud, l'une de ses modèles. Sur son acte de naissance présenté dans l'exposition, elle porte le nom de sa mère, mal orthographié. Le couple s'est rencontré à Paris après que Matisse a quitté son Nord natal pour venir se former dans la capitale. Quand ils séparent en 1897, l'artiste reconnaît officiellement l'enfant qui portera désormais son patronyme. Un an après, Matisse épouse Amélie Parayre qui élèvera Marguerite comme sa propre fille. Ils auront deux garçons, Jean et Pierre. "Nous sommes comme les cinq doigts de la main", écrira Marguerite.
Elle a une santé fragile
Marguerite est fragilisée dès l'enfance par des problèmes respiratoires. À 7 ans, après une diphtérie, elle subit une trachéotomie [ouverture dans la trachée]. Son père la voyait comme une sorte de miroir de lui-même. Peut-être parce qu'il avait également souffert de problèmes de santé à l'adolescence. Il était hospitalisé quand sa mère lui offrit, pour l'occuper, la boîte de couleurs qui changea sa vie à jamais. Sur le portrait qui ouvre l'exposition, l'artiste représente sa fille comme une enfant grave, le visage pâle dévoré par de grands yeux sombres.
Elle cache une cicatrice sous son ruban
Cette trachéotomie va la torturer des années, jusqu'à ce qu'une douloureuse opération de la trachée la soulage en 1920. Très jeune, Marguerite apprend à dissimuler sa cicatrice sous des cols montants ou un ruban noir. On le retrouve sur de nombreux tableaux de Matisse ; il est même devenu un indice pour l'identifier sur ses toiles. "Cette petite fille-là, écrivit le poète Louis Aragon, il l'aimait, Matisse, comme il n'a peut-être jamais aimé personne. Est-ce qu'elle l'a su ? Pas sûr".
C'est une fleur d'atelier
Pas de scolarité normale pour Marguerite qui pousse comme une "fleur d'atelier". Les toiles, les sculptures et les couleurs du maître sont son jardin. À partir de 1906, elle devient pour lui un modèle essentiel. Patiente et bienveillante, elle se prête à toutes sortes d'expérimentations picturales. En témoignent de multiples dessins d'étude présentés dans l'exposition. Plusieurs toiles fascinent par l'emploi audacieux des couleurs durant la période "fauve" de Matisse : Intérieur à la fillette (Museum of Modern Art de New York), Marguerite lisant (Musée de Grenoble) ou encore Le Chapeau de roses (Collection particulière).
Elle a les yeux revolver
Au fil du temps, la petite fille sage penchée sur ses cahiers se redresse et plonge son regard d'adolescente dans celui de son père. Marguerite n'est jamais un modèle passif. En empruntant le titre d'une célèbre chanson, on pourrait dire qu'elle a les yeux revolver. Ils affrontent ceux de Matisse, comme si elle avait un regard sur ce qui se passe dans l'atelier. Leur correspondance révélera qu’il est parfois critique et qu'elle ose faire des remarques désobligeantes sur sa peinture. Centrée sur le visage expressif de Margot, l'exposition explore ce double lien entre un père et une fille, et entre un peintre et son modèle.
Elle est sa fille et sa muse
Mise en valeur dans l'écrin d'un mur concave, l'une des plus belles toiles jamais peintes par Matisse : Marguerite au chat noir dans ses années dites "radicales". Lorsqu'il réalise ce tableau dans leur maison d'Issy-les-Moulineaux, l'adolescente a une quinzaine d'années. Elle porte un bijou sur le col montant de sa chemise et caresse un chat endormi sur ses genoux. Le regard franc, elle nous fixe de ses yeux noirs en amande. Matisse est si fier de ce portrait qu'il choisit de le présenter dans plusieurs expositions internationales. Il devient une icône de l'art moderne. Le peintre le conservera jusqu'à sa mort.
Elle sort du cadre
En 1920, Matisse emmène sa fille en Normandie pour qu'elle puisse reprendre des forces après son opération. Enfin libérée de son ruban noir, Marguerite apparaît dans une dernière série de portraits individualisés, réalisés à Étretat. Elle sort ensuite du cadre pendant 25 ans. Plus précisément, Matisse ne la représente plus seule mais avec Henriette Darricarrère, une jeune modèle professionnelle. La jeune femme, à peine reconnaissable sur certains tableaux, est ramenée au rôle de figurante. Ce n'est qu'en 1945 que renaîtra leur tête-à-tête.
Elle joue un rôle essentiel dans son succès
Une encre noire, La Toilette, la montre, vers 1905-1906, en train d'aider un modèle nu posant pour son père, dans l'atelier. Ce dessin révèle que Marguerite joua précocement un rôle d'assistante. Quand l'artiste s'installe à Nice, début 1918, elle reste à Paris, où elle va épouser l'écrivain Georges Duthuit et avoir un fils, Claude. Margot devient la voix et l'œil du maître qu'elle représente auprès des marchands et des collectionneurs. Elle s'occupe aussi de l'organisation des expositions. Elle le convainc par exemple de se séparer d'un portrait d'elle qu'il chérit, afin qu'il soit "bien représenté dans un musée", au Japon. Elle poursuivra cette tâche jusqu'à la fin de sa vie en 1982, dans une grande réserve.
Elle peint également et adore la mode
L'exposition présente plusieurs toiles signées de sa main dont deux autoportraits sans complaisance. Elle racontait avoir commencé à peindre en 1914 "enfermée par la guerre à la campagne". Elle a son propre atelier, à l'étage de la maison d'Issy. Sur ses tableaux, l'influence de son père est manifeste et leurs œuvres dialoguent. Elle renonça à la peinture pour se consacrer à son autre passion : la mode. Sur les tableaux de son père, elle porte toujours d'élégantes tenues : manteau écossais, fourrure, chapeaux colorés... Margot tentera vainement de percer dans le milieu de la couture, présentant même une collection en 1935. Le MAM dévoile une délicate robe d'organza rose qu'elle a elle-même créée.
Elle s'est engagée dans la Résistance
En janvier 1944, Marguerite devient agent de liaison pour les Francs-Tireurs et Partisans (FTP), estimant qu'"on ne peut ni ne doit se désintéresser de l'époque dans laquelle on vit - de ceux qui souffrent, qui meurent". Au péril de sa vie, elle assure des courriers difficiles entre Paris et plusieurs villes de province. Elle est dénoncée et arrêtée à Rennes, le 13 avril 1944. Torturée pendant huit heures par la Gestapo, elle ne lâchera pas un nom. Libérée par miracle à Belfort, elle retrouve son père à Vence qui ignorait tout de ses activités clandestines. Bouleversé par son récit, le vieux peintre reprend son fusain et dessine deux portraits de sa fille qui a désormais la cinquantaine. C'est la dernière fois (si l'on excepte quelques lithographies) que Marguerite apparaît dans cette œuvre qui lui doit tant. Belle et émouvante.
Exposition "Matisse et Marguerite" au Musée d'Art Moderne de Paris
Du mardi au dimanche de 10 à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h30
Plein tarif à 17€ et tarif réduit à 15€
www.mam.paris.fr
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