: Interview "Ce sont des photos jamais vues" : le photographe Claude Gassian publie un livre de clichés inédits de Patti Smith en 1976 et expose à Paris
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De toutes les icônes rock qui sont passées devant son objectif, Patti Smith est l'une des plus chères à son cœur. Claude Gassian lui consacre un recueil de photos rares exhumées de ses archives, tandis qu'une galerie parisienne propose un riche panorama de son travail sur cinq décennies.
De James Brown aux Daft Punk, de Madonna à Prince, Serge Gainsbourg ou Vanessa Paradis, il a immortalisé de son regard unique les plus grandes stars de la musique. Maître de la photographie rock, Claude Gassian est d'abord un passionné de sons. Il débute très jeune, en autodidacte, au milieu des années 1960, en prenant des photos de scène de ses héros (Stones, Led Zeppelin, Pink Floyd, Santana, etc.), grâce à l'appareil photo Kodak offert par son père.
Ensorcelé par le premier album de Patti Smith, Horses, dont on célèbre les 50 ans cette année, il a l'occasion de la rencontrer et de la suivre lors de ses différents séjours à Paris en 1976. Dans un recueil de toute beauté paru ces jours-ci chez Gallimard, préfacé par la chanteuse, musicienne et poète, il dévoile la quintessence de ces séances inédites, qui dormaient dans ses archives depuis quarante-neuf ans.
En 1976, Claude Gassian est essentiellement un photographe de scène. Ces séances vagabondes avec Patti Smith, que l'on voit se détendre, devenant de plus en plus radieuse et souriante au fil des jours, sans rien perdre de son intensité, constituent un jalon pour le photographe. Elles vont l'ouvrir à la pratique du portrait intime et révéler sa patte singulière, qui sait si bien saisir, avec beaucoup de pudeur, l'instant décisif révélant l'humain derrière le personnage, au-delà de la posture.
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On pressent qu'un lien de confiance s'est noué entre le photographe et la chanteuse, qui débarque à l'aéroport du Bourget au printemps, puis va se recueillir sur la tombe de Jim Morrison au Père-Lachaise. On la suit ensuite sur scène, à l'Élysée Montmartre, et quelques mois plus tard au Pavillon de Paris, y compris en coulisse, où on la croise en grande complicité avec Nico, mais aussi posant, hilare, devant le magasin de disques Harry Cover ou jouant dans un bac à sable de la place des Vosges avec une petite fille inconnue. Un ouvrage qui dégage une énergie, une sensibilité, une esthétique et une élégance absolument contagieuses.
Claude Gassian expose en parallèle à Paris une centaine de photos, dont une douzaine de Patti Smith, mais aussi d'autres icônes de la musique telles Oasis, Justice, Madonna ou Gainsbourg, et de travaux plus personnels, à la galerie Rabouan Moussian, du 18 octobre au 22 novembre. L'occasion de lui poser quelques questions.
Franceinfo Culture : Que représentait Patti Smith pour vous en 1976 ? Dans la préface de votre livre, vous dites qu'elle vous obsédait et que vous rêviez de la rencontrer…
Claude Gassian : Avant d'avoir envie de la photographier, je découvre l'album Horses. Un disque incroyable, totalement nouveau à l'époque. On était en plein Eagles, Supertramp, et là, tout d'un coup, cette décharge électrique, c'était quelque chose de révolutionnaire. J'en ai tout de suite été dingue. Patti Smith brisait les règles d'écriture, de composition, et j'adorais son phrasé entre tendresse et violence.
La pochette de Horses, signée Robert Mapplethorpe, vous interpellait, j'imagine.
Oui, bien sûr, j'adorais ce minimalisme, ce noir et blanc qu'on avait un peu perdu à l'époque. C'est revenu après avec les punks, mais à l'époque, on était plus sur des pochettes sophistiquées en couleurs. Et puis elle avait cette arrogance sur la pochette, entre Johnny Thunders et Keith Richards. Je trouvais ça étonnant. Ça m'impressionnait et ça m'inquiétait en même temps. Je me demandais qui était cette beauté androgyne, atypique.
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Cette première rencontre a-t-elle été à la hauteur de vos attentes ? Étiez-vous intimidé ?
Cette rencontre m'inquiétait, mais en fait, Patti Smith était quelqu'un d'authentique. Elle dégageait une énergie positive qui n'avait rien à voir avec le no-futur des punks qui allaient arriver juste après. Elle semblait déterminée, mais elle était aussi amicale. J'imagine que la personne du label qui m'a invité à venir la chercher, avait dû lui dire "je viendrai avec un copain photographe". Alors qu'on ne se connaissait pas, elle a été aussitôt chaleureuse, accueillante. Elle a tout de suite accepté ma présence.
Son regard est particulièrement intense sur la tombe de Jim Morrison. Quels sont vos souvenirs de cette séance au Père-Lachaise ?
J'ai vécu ce moment puissant et assez inattendu un peu en retrait, plutôt en silence. Elle était venue sur la tombe du poète qu'elle aimait, pas pour la star. Il y avait une certaine solennité, une retenue de part et d'autre.
Qu'avez-vous éprouvé lorsque vous avez retrouvé cette enveloppe pleine de négatifs de ces séances de 1976 ?
J'ai été surpris de découvrir des photos que je n'avais jamais vues. En fait, à l'époque je ne faisais pas de planches contact, je trouvais ça trop fastidieux. Je choisissais donc les photos sur les négatifs et j'avais dû tirer trois ou quatre photos de ces séances. Et puis, tout le reste s'est endormi pendant cinquante ans. Je savais qu'il y avait de belles choses, notamment dans cette série au cimetière du Père-Lachaise, mais je ne pensais pas qu'il y en avait autant. J'adore les livres de photos, et je m'étais dit, je vais faire un livre sur Patti Smith au cimetière du Père-Lachaise, sur la tombe de Jim Morrison. En cherchant, j'ai fini par trouver tout ce qu'il y avait autour. C'était dingue. Jusqu'au bout, jusqu'au moment du bouclage du livre, j'ai encore découvert des portraits, des choses inédites.
Comment a réagi Patti Smith ?
Quand je lui ai apporté le livre pour lui montrer, elle aussi a été surprise de découvrir des photos qu'elle n'avait jamais vues. Toute cette somme, où elle est toute fraîche. Parce qu'elle a une certaine candeur sur ces photos, elle n'avait pas encore été très exposée. J'ai sans doute pu attraper des choses à ce moment-là qui n'auraient pas été possibles quelques années plus tard.
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En 1976, quel photographe êtes-vous ? À l'époque, vous aviez déjà photographié pas mal de stars, de David Bowie aux Rolling Stones, mais c'étaient davantage des photos de scène que des portraits intimes, non ?
Je suis venu à la photo avant tout pour être dans la musique, ma première passion. J'ai appris sur le tas, je suis totalement autodidacte, je n'ai fait aucune école de photo. Au départ, j'ai donc fait beaucoup, beaucoup de photos de scène, effectivement. Et puis, de temps en temps, j'accompagnais un journaliste pendant une interview. Avec Patti Smith, que j'ai suivie dans Paris, c'est une des premières fois que j'avais accès à une artiste sans temps limité, sans être coincé dans une chambre d'hôtel ou dans une conférence de presse. Cette liberté m'a beaucoup appris. Elle m'a appris à composer et à personnaliser mes photos. Pour ces séances avec Patti Smith, je n'avais aucune commande. C'était une envie personnelle. Je n'avais pas d'obligation de prévoir une couverture ou une double page. J'étais totalement libre. Je me suis donc un peu découvert à ce moment-là.
La plupart de ces images sont en noir et blanc, avec un grain merveilleux, mais il y a aussi de la couleur. Utilisiez-vous toujours deux boîtiers à l'époque ?
Oui, dès le début, j'avais toujours le boîtier noir et blanc et le boîtier couleur. Ce n'est pas comme aujourd'hui où on shoote à tout va. Il fallait décider si ce moment-là convenait mieux au noir et blanc ou à la couleur, ou si je faisais un petit peu des deux, si je doublais. Mais mes photos en noir et blanc étaient toujours meilleures. Lorsque je prenais mon boîtier noir et blanc, l'intention n'était pas la même. J'ai l'impression que le cadrage était plus précis. C'était plus exigeant. Il fallait que je fasse une belle photo, que ce soit quelque chose de plus ressenti, de plus personnel.
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À la galerie Rabouan, vous exposez des portraits d'artistes mais aussi des recherches plus personnelles...
Il y a différentes choses : d'abord une sélection de portraits, certains que j'ai déjà exposés, d'autres plus inédits. Il y a le mur Rolling Stones, le mur Patti Smith, le mur français, le mur international. Il va falloir rajouter des cloisons, je crois (rires). Il y a par ailleurs des diptyques, c'est-à-dire des photos qui existent séparément et que j'ai réunies, comme celle de Lou Reed, qui a été prise à Paris, et une autre photo d'une ombre prise dans une rue de New York, donc en rapport quand même avec l'artiste qui est new-yorkais. Après, je me fais ma petite histoire, "I'm Waiting For My Man…". Je me raconte des histoires et je mets côte à côte des photos qui ont un rapport esthétique. J'expose aussi une série de silhouettes humaines dans un éternel va-et-vient, pris du dessus, pris de dessous, pris frontalement. Ça m'évoque le passage du temps.
Vous exposez également une série intitulée Autoroutes et une autre baptisée Tracés électriques. De quoi s'agit-il ?
La série sur les autoroutes concerne des architectures en béton prises en roulant. Je les prends dans un flou, dans une vitesse, de façon un peu onirique, et dans une dominante bleutée. Elles dégagent une certaine étrangeté parce qu'elles sont très silencieuses, alors qu'on est normalement dans le fracas de l'autoroute. Concernant les tracés électriques, j'ai remarqué un jour sur un fond de ciel blanc, la beauté des dessins que formaient les fils conducteurs. Il se croisent, forment des courbes, des angles, des lignes, des formes humaines ou animales. J'ai cadré ça comme on cadre un visage, sous le meilleur angle. J'y prends beaucoup de plaisir.
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Dans sa présentation de l'exposition, Thierry Raspail écrit que vous utilisez la photographie pour ses qualités picturales exclusivement. Quels sont quelques-uns de vos peintres ou artistes visuels favoris ?
J'ai mis beaucoup de temps à aimer l'art, à part la musique et les pochettes de disques. J'ai vécu uniquement avec ces deux formes d'art pendant très longtemps. Et puis, un jour, je me suis ouvert à l'immensité de l'art et j'essaye depuis de rattraper le temps perdu. J'ai repensé récemment au premier peintre que j'ai aimé avant que j'y retourne pour de bon, c'était Édward Hopper. Il y a une qualité de silence dans ses compositions, une distance, et je me suis dit qu'il m'avait peut-être influencé. Dans le genre tracé, fil électrique, il y a un artiste que j'aime beaucoup, dans la lignée de Sol LeWitt, mais qui n'est pas reconnu à sa juste valeur je crois, c'est Robert Mangold – le père de James Mangold, qui a réalisé le biopic sur Bob Dylan avec Timothée Chalamet. Il utilise beaucoup le crayon sur les toiles, sur le papier, avec des formes géométriques.
Vous reste-t-il encore beaucoup de photos inédites ?
Oui, il y a quantité de photos encore en sommeil. Parce que très souvent je tirais deux, trois photos dans l'urgence pour un magazine, ou pour simplement voir ce que j'avais fait et ensuite je passais à autre chose. Je sais par exemple qu'il y a une séance avec Tom Waits assez épique mais sans doute moins riche en quantité que Patti Smith que j'ai suivie sur plusieurs jours. En tout cas, j'ai de quoi m'occuper pour les trente prochaines années !
Exposition Claude Gassian "Ailleurs, exactement" du 18 octobre au 22 novembre 2025, Galerie Rabouan Moussion, 11 rue Pastourelle, 75003 Paris (les photos exposées sont disponibles à la vente)
Livre "Patti Smith Horses - Paris 1976" par Claude Gassian (Gallimard, 35 euros)
Patti Smith rejoue "Horses" en concert les 20 et 21 octobre à l'Olympia (complet)
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