"S'habiller en artiste" : le musée du Louvre-Lens explore la garde-robe des créateurs, de l'Antiquité à nos jours

Article rédigé par Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Georges Achille-Fould, "Rosa Bonheur dans son atelier", 1893,
huile sur toile, Bordeaux, Musée des Beaux-Arts. (MAIRIE DE BORDEAUX / F. DEVAL)
Georges Achille-Fould, "Rosa Bonheur dans son atelier", 1893, huile sur toile, Bordeaux, Musée des Beaux-Arts. (MAIRIE DE BORDEAUX / F. DEVAL)

Du turban de Rembrandt au veston aphrodisiaque de Dali, en passant par la robe Joconde de Castelbajac et les godillots de Claire Tabouret, cette exposition très étoffée s'interroge : l'habit fait-il l'artiste ?

L'exposition présentée jusqu'au 21 juillet au Louvre-Lens joue sur le double sens de l'expression S'habiller en artiste : elle réunit des tenues portées par les créateurs lorsqu'ils travaillent et des vêtements en forme d'œuvres d'art que certains ont imaginés. Plus de 200 pièces au total sur un grand plateau de 1 800 mètres carrés.

Trois tenues signées Yves Saint Laurent ouvrent le bal, dont l'iconique robe du soir aux oiseaux, dessinée en hommage au peintre Georges Braque. "Il est le couturier qui a le plus cité l'histoire de l'art. On est quasiment devant une sculpture", explique Annabelle Ténèze, directrice du musée et commissaire de l'exposition, avec Olivier Gabet, responsable du département des objets d'art au Louvre.

Entrée de l'exposition "S'habiller en artiste" inaugurée au Louvre-Lens, le 26 mars 2025, présentant trois créations d'Yves Saint Laurent. Au centre, la robe du soir, hommage à Georges Braque, de sa collection printemps-été 1988. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Entrée de l'exposition "S'habiller en artiste" inaugurée au Louvre-Lens, le 26 mars 2025, présentant trois créations d'Yves Saint Laurent. Au centre, la robe du soir, hommage à Georges Braque, de sa collection printemps-été 1988. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Dans chaque salle, l'histoire du vêtement d'artiste est abordée de façon à la fois thématique et chronologique. Au commencement était la toge, "le fantasme de l'artiste antique", selon Annabelle Ténèze. Nul ne sait réellement ce que portaient les premiers artistes et s'ils se différenciaient par leur mise. Dans l'Antiquité gréco-romaine, ils étaient des artisans parmi d'autres. Mais des siècles plus tard, les artistes européens ont élaboré une vision fantasmée de l'artiste vêtu à la mode antique.

Blanche pour les femmes et rouge pour les hommes, la toge et ses déclinaisons enjambent les siècles. Sur un autoportrait du XVIIIe siècle, la peintre Marie-Nicole Vestier, vêtue d'une robe blanche immaculée, tient son chevalet d'une main et le berceau de son bébé de l'autre. "C'est peut-être la peinture féministe la plus ancienne sur la charge mentale des femmes", sourit la commissaire. L'inspiration antique réapparaît en 2019 sous la forme d'une robe virginale légèrement drapée signée Maria Grazia Chiuri pour Dior.

Saint Luc, patron des peintres

Au Moyen Âge, avant l'apparition de l'autoportrait, l'évangéliste saint Luc devient la figure de l'artiste. Il est selon la tradition chrétienne le premier à avoir représenté la Vierge en peinture. Une grande huile sur bois de 1603, venue de Dijon, montre comment le peintre Nicolas de Hoey s'est immiscé dans cette scène sacrée en donnant au peintre ses propres traits.

Très élégant dans sa longue pelisse doublée de vert, l'artiste est à son avantage. Si l'on osait, on dirait qu'il se pose là. Représenter saint Luc devient un moyen de s'affirmer comme un artiste professionnel. Les peintres l'habillent souvent d'un drapé rouge [la fameuse toge à l'antique] ou d'un manteau rappelant celui des médecins, une façon d'insister sur la dimension respectable de leur métier.

Nicolas de Hoey, saint Luc peignant la Vierge, 1603, huile
sur bois, dépôt de la commune de Moloy - Côte-d'Or au
Musée des Beaux-Arts de Dijon. (DIRECTION DES MUSEES DE DIJON FRANÇOIS JAY)
Nicolas de Hoey, saint Luc peignant la Vierge, 1603, huile sur bois, dépôt de la commune de Moloy - Côte-d'Or au Musée des Beaux-Arts de Dijon. (DIRECTION DES MUSEES DE DIJON FRANÇOIS JAY)

Dans une alcôve se nichent deux tableaux de Rembrandt dont son célèbre Autoportrait au chevalet et à l'appuie-main de peintre (1660). Le maître hollandais s'est représenté plus de 80 fois, tout au long de sa vie, jamais avec la même tenue. "C'est le Cindy Sherman du XVIIe siècle", plaisante la directrice du Louvre-Lens, faisant référence à la célèbre photographe transformiste dont une œuvre est présentée non loin.

En habit oriental ou en brocart de prince, Rembrandt, surnommé "l'homme aux 1 000 costumes", multipliait les déguisements et documentait son vieillissement. L'exposition l'associe à l'artiste franco-polonais Roman Opalka, mort en 2011, qui se photographia durant trois décennies, toujours dans la même position avec une unique chemise blanche. L'art du contrepoint.

Manteau redingote et tableau de Henri Fantin-Latour, "Un atelier aux Batignolles", 1870, présentés dans l'exposition "S'habiller en artiste", au Louvre-Lens, du 26 mars au 21 juillet 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Manteau redingote et tableau de Henri Fantin-Latour, "Un atelier aux Batignolles", 1870, présentés dans l'exposition "S'habiller en artiste", au Louvre-Lens, du 26 mars au 21 juillet 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

À la fin du XVIIIe siècle, les peintres adoptent le costume noir, porte-étendard de la vie moderne. Il devient peu à peu la norme pour les artistes masculins. Une grande toile de Henri Fantin-Latour, Un atelier aux Batignolles, en témoigne.

Mais quand le costume noir s'embourgeoise et devient trop conformiste, les artistes, rebelles dans l'âme, s'en détournent, lui préférant notamment le vert, à la manière de Delacroix sur un célèbre autoportrait présenté dans l'exposition. Plus flashy : une veste noire, couverte d'inscriptions vert fluo, signée par l'artiste martiniquaise Vava Dudu, en 2025.

Salle consacrée aux tenues de travail d'artistes plasticiens, dont Claire Tabouret, dans l'exposition "S'habiller en artiste", au Louvre-Lens, du 26 mars au 21 juillet 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Salle consacrée aux tenues de travail d'artistes plasticiens, dont Claire Tabouret, dans l'exposition "S'habiller en artiste", au Louvre-Lens, du 26 mars au 21 juillet 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

L'un des grands mérites du musée lensois est de donner aux femmes artistes, toutes époques confondues, la visibilité qu'elles méritent. La blouse bleue et le pantalon de travail de Rosa Bonheur, célèbre peintre animalière du XIXe siècle [voir tableau en tête de cet article] jouxtent la tenue et les godillots couverts de taches de peinture offerts par Claire Tabouret, artiste bien vivante de 43 ans.

Sonia Delaunay est également mise à l'honneur. Peintre et couturière, elle fut la première artiste à tenir sa propre boutique, dès 1918, pour vendre ses créations. Autre figure phare de l'exposition : Niki de Saint Phalle. Décédée en 2002, elle était proche de Marc Bohan, couturier chez Dior qui concevra nombre de ses tenues. "Ils collectionnaient et s'influençaient l'un l'autre", raconte la commissaire. Un chapeau de paille rouge à la forme étonnante, avec une visière sur le devant, est exposé. Niki le portait pour se protéger du soleil et des projections quand elle sculptait son Jardin des Tarots en Toscane.

Chapeau rouge avec visière appartenant à Niki de Saint Phalle présenté dans l'exposition "S'habiller en artiste", au Louvre-Lens, du 26 mars au 21 juillet 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Chapeau rouge avec visière appartenant à Niki de Saint Phalle présenté dans l'exposition "S'habiller en artiste", au Louvre-Lens, du 26 mars au 21 juillet 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

D'autres objets interloquent : la robe-sculpture clignotante de l'artiste japonaise Atsuko Tanaka [ses ampoules multicolores s'éclairent par intermittence] et la veste incrustée de véritables godets de Salvador Dali. Au pied de son œuvre, le surréaliste catalan explique dans un film d'archives qu'il s'agit d'un" veston aphrodisiaque" réservé aux "moments de très grand compromis sentimental". Si l'on a bien compris, ce qui n'est pas certain, chacun des verres doit contenir du Peppermint et une mouche !

La dernière salle, en guise d'apothéose, est consacrée aux artistes contemporains pour qui le vêtement est une œuvre et l'œuvre peut être un vêtement. Leurs créations textiles se portent ou s'exposent comme des sculptures et sont souvent tissées d'une fibre politique. La sublime cape Black Minerva de Raphaël Barontini, la sculpturale robe Vénus ouverte de Jeanne Vicerial ou encore deux précieuses et fragiles parures de papier signées Rada Akbar. Cette jeune artiste afghane, réfugiée à Paris depuis 2021, les a créées tout spécialement pour cette exposition foisonnante.

"S'habiller en artiste. L'artiste et le vêtement" au Louvre-Lens
Ouvert tous les jours de 10 à 18 heures excepté le mardi
Plein tarif à 12 euros, 6 euros pour les 18-25 ans et gratuit pour les moins de 18 ans

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