Dans la réjouissante BD "Paul", Hervé Bourhis raconte les années de réinvention post-Beatles de McCartney

Les Beatles, c'est une histoire multidimensionnelle qu'on nous raconte encore et encore parce qu'on peut l'examiner par tous les bouts de la lorgnette sans jamais en faire le tour. Cette BD réjouissante d'Hervé Bourhis sobrement baptisée Paul et sous-titrée La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973), le prouve une fois encore.

Après l'incroyable série documentaire Get Back de Peter Jackson, après l'émission et le livre de Michka Assayas sur Macca, après le documentaire Beatles 64 produit par Martin Scorsese, après la tournée de Paul McCartney, après le carton de la nouvelle chanson des Beatles réunis grâce à l'IA, il y a encore de la matière.

Même si vous n'avez rien loupé de cette frénésie de sorties, il y a fort à parier que vous découvrirez ou redécouvrirez encore une foule de choses avec cette bande dessinée gorgée d'anecdotes savoureuses : le dôme géodésique de méditation que Paul avait fait installer dans son jardin en 1968, vous vous en souveniez ? Et le fait que Picasso's Last Words est le fruit d'un défi lancé par Dustin Hoffman, croisé en Jamaïque sur le tournage de Papillon, vous le saviez ?

Obsédé revendiqué des Quatre Garçons dans le vent depuis l'adolescence, Hervé Bourhis, qui a déjà signé deux ouvrages autour du groupe britannique – Le petit Livre Beatles en 2010 et Retour à Liverpool en 2021 – se concentre dans ce récit sur une période bien particulière sur laquelle il s'est minutieusement documenté. Celle des trois années qui ont suivi la rupture des Beatles, lorsque fans et médias, sommés de choisir leur camp, optèrent en masse pour le brillant, engagé et provocateur John Lennon, son ancien frangin McCartney passant dès lors pour gentillet, tiède et conservateur. Lennon, saint patron du rock'n'roll, contre Macca et sa pop bubble gum.

Le malentendu mit un moment à se dissiper et la traversée du désert de McCartney, sur laquelle se concentre l'auteur, dura une poignée d'années avant qu'il ne retrouve le statut de star et triomphe dans les hit-parades internationaux avec le chef-d'œuvre Band on the Run de son groupe Wings.

Gros coup de blues

Cachée plusieurs semaines au public, la rupture des Beatles, auquel il ne s'attendait pas, survient comme une météorite dans la vie de McCartney. Lors de la sortie de l'album Abbey Road, les Fab Four tutoient les cimes alors que lui est au fond du trou. Linda allaite leur bébé Mary, plus personne dans le groupe ne veut le prendre au téléphone et il s'enfonce dans la dépression en lapant du whisky au goulot. Après avoir été un demi-Dieu, "je suis un has been de 27 ans", se lamente-t-il.

Son épouse Linda, qui prend régulièrement sa part dans ce récit à la première personne, sauve Paul de la dépression en l'entraînant se ressourcer dans leur ferme écossaise au confort spartiate, au milieu de la nature sauvage et des moutons.

Mais puisque McCartney fait le mort, la rumeur le donne pour mort. Il va louper du même coup (et nous avec) la jam du siècle à laquelle l'invitent à New York Jimi Hendrix et Miles Davis dans un télégramme qui ne refera surface que des décennies plus tard.

Sont abordées les bisbilles avec ses anciens meilleurs amis, auxquels il intente un procès pour se libérer du management problématique d'Allen Klein, la réalisation de son premier album solo, puis la fondation des Wings avec Linda et quelques musiciens.

L'icône de la pop retourne à la case départ

L'auteur met surtout l'accent sur la façon dont Macca repart de zéro comme un débutant avec son groupe, joue dans les foyers étudiants d'universités sans même un ingénieur du son, trace la route en famille dans un bus à impériale, et couche ingénieusement bébé Stella McCartney dans un tiroir douillet durant les concerts.

Le récit n'oublie pas l'épisode mouvementé de l'enregistrement de l'album Band on the Run des Wings à Lagos, capitale chaotique du Nigeria, où ils se font braquer leurs démos et rencontrent un Fela Anikulapo Kuti d'abord suspicieux – étaient-ils venus piller la musique africaine ? – puis généreux : le concert de l'inventeur de l'afrobeat auquel le groupe assista dans son club The Shrine à ce moment-là reste pour McCartney "l'une des plus grandes expériences musicales" de sa vie.

Au-delà du récit, cette BD est un bonheur sur la forme. À la fois au texte et au dessin, Hervé Bourhis sort régulièrement du cadre, explose les cases et s'étale sur une ou deux pages, s'adonnant même à des parenthèses inspirées – superbe portrait de McCartney page 28 qu'on serait capable d'encadrer. Les couleurs, où dominent le rose fluo et le violet psychédélique, ajoutent une dose de peps à ce scénario bien ficelé, tandis que les caricatures des Beatles, de Paul et de son entourage sont très drôles (mention spéciale à Lennon qui rappelle Panoramix, le druide avec sa barbe, sa moustache et ses cheveux longs).

En faisant le portrait réjouissant de ce songwriter de génie, l'auteur parvient comme il y tenait à réhabiliter un McCartney bien plus avant-gardiste qu'on a voulu le montrer – féministe et végétarien avant l'heure, notamment – toujours en avance sur le tempo.

"Paul - La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973)" d'Hervé Bourhis (scénario et dessin), Casterman, 88 pages, 20 euros.