Faire de la BD et de l'animation "made in Nigeria" en s'inspirant du savoir-faire français

L'expertise française en matière de romans graphiques et d'animation est reconnue à travers le monde. Le cinéaste et producteur nigérian Somto Ajuluchukwu estime que c'est un modèle plein d'enseignements pour son pays où le secteur a du "potentiel".

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Somto Ajuluchukwu, fondateur et PDG de Vortex Corporation, au salon Viva Technology, en 2023. (VORTEX CORP)
Somto Ajuluchukwu, fondateur et PDG de Vortex Corporation, au salon Viva Technology, en 2023. (VORTEX CORP)

Somto Ajuluchukwu ne participe pas cette année au Festival d'Angoulême, mais le cinéaste et producteur nigérian profite depuis plusieurs années de l'expérience française dans le domaine de la bande dessinée et de l'animation. Pour le patron et fondateur de Vortex Corp, créateur de contenus, l'écosystème français est "une source d'inspiration". "C'est un marché qui existe depuis de nombreuses années. Il y a de bons éditeurs, beaucoup de subventions publiques et un énorme festival, Angoulême, qui met en lien les acteurs du secteur avec les marchés internationaux. Ils peuvent ainsi éditer et distribuer dans le monde entier. C'est également une opportunité pour nous de publier en France et à l'étranger", explique Somto Ajuluchukwu.

Il y a un an, Vortex Corp présentait son projet d'animation Detective Jacqueline, un court de 7 mn, au marché du Festival du film d'animation d'Annecy où il a été sélectionné. Ce qui a permis à l'entreprise de lancer la production de la version longue sur laquelle elle travaille actuellement. De même, en octobre dernier, Somto Ajuluchukwu séjournait dans la cité angoumoisine dans le cadre d'un programme de mobilité dédié à des acteurs culturels africains dans le secteur de la BD afin qu'ils découvrent le savoir-faire français. Coordonnée par l'Institut français, l'initiative s'inscrit dans le cadre Création Africa, le forum des industries culturelles et créatives lancé par la France en 2023.

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À l'instar de nombre de ses pairs africains, le Nigérian croit en la puissance de la BD et de l'animation pour changer les discours sur le continent. "Je considère que ce sont des vecteurs pour exporter la culture africaine. Les médias sont l'un des principaux outils pour contrôler le regard que les gens portent sur votre culture, la façon dont les gens vous perçoivent. La BD et l'animation sont un moyen de prendre le contrôle de notre récit en racontant des histoires africaines, celles de nos pays, de la manière dont nous les percevons, avant qu'elles ne soient racontées par d'autres." Pour le réalisateur, c'est un engagement qui va "au-delà d'une carrière, c'est la mission d'une vie".

Si le cinéaste et producteur est enthousiaste, c'est parce qu'il a fait l'expérience du potentiel que représente cette industrie graphique. Sa société est à l'origine de Vortex247.com, une application et plateforme en ligne innovante qui offre à ses abonnés BD et webtoons pour 5 dollars par mois (moins de 5 euros). "Plus de 170 romans graphiques produits dans une vingtaine de pays africains par près d'une soixantaine d'artistes sont disponibles sur le site", indique Somto Ajuluchukwu. La plateforme, qui offre "des contenus africains au monde", compte déjà quelque 13 000 abonnés. Et elle peut profiter de la consommation locale. "Nous disposons d'un énorme marché en Afrique", explique le créateur. "Rien qu'au Nigeria, près de 200 millions d'habitants. La ville de Lagos [la capitale économique du Nigeria] compte, à elle seule, 15 millions d'habitants et nous avons des productions qui sont attractives pour tous."

Inspiré par "Omo Boy"

Somto Ajuluchukwu s'intéresse à la BD depuis son enfance. Ses parents, notamment sa mère, lui en offraient. Sans compter que son frère aîné était un grand fan de cette littérature. Mais la vraie rencontre avec cet univers graphique aura lieu des années plus tard. Né en 1991, le producteur nigérian est à la fac quand il tombe sur sa première BD "made in Nigeria". Il est tout de suite inspiré par Omo Boy. "Je savais que les Nigérians produisaient des BD, mais je ne les savais pas si originaux." La seule BD africaine, Supa Sriker, qu'il avait jusqu'ici eu entre les mains était sud-africaine, mais avec des personnages nigérians. A contrario, "Omo Boy était écrite par un Nigérian, au Nigeria, et publiée par un éditeur nigérian".

"Nous avons du potentiel au Nigeria et l'industrie est en pleine croissance", estime Somto Ajuluchukwu. Côté webtoons et animation, le pays compte plus d'une soixantaine de studios, selon l'entrepreneur qui a lancé VX Studios pour produire son premier court en 2016, Town Crier. Il a signé depuis deux autres œuvres : Orange City. (2019) et Glych (2022) tout en réalisant les clips des stars de l'Afrobeat tels Rema et Wikzid.

"Sur le continent africain, l'Afrique du Sud est le marché le plus important en matière d'animation. Le Nigeria n'est pas loin derrière", indique Somto Ajuluchukwu. Preuve du dynamisme nigérian, note-t-il, Disney a récemment collaboré avec une société ougandaise et nigériane, Kugali, pour produire la mini-série Iwájú.

Cependant, former une nouvelle génération de professionnels reste un challenge. "Notre plus grand défi est la formation, car les établissements d'enseignement supérieur n'offrent pas de cursus dédié à l'animation. C'est pourquoi nous avons mis en place des programmes de formation dans nos studios [Vortex Corp en possède deux] pour nos stagiaires."

Attirer des investisseurs locaux

À la problématique de la formation, s'ajoute celle de l'investissement pour les professionnels nigérians, selon Somto Ajuluchukwu."Faire de l'animation requiert beaucoup de mains d'œuvre", donc des salaires à payer pour les studios. En France, constate l'entrepreneur nigérian, le secteur s'est développé grâce à des subventions et un Etat qui soutient la culture.

Cette nécessité de trouver des fonds explique la participation de Vortex Corp à des rendez-vous internationaux. Dans cette recherche d'investissements étrangers, l'Institut français et la France ont été "de formidables partenaires" en "valorisant (sa) structure". Somto Ajuluchukwu espère, "dans les cinq prochaines années", pouvoir s'adresser aussi à des investisseurs nigérians "qui manifestent de l'intérêt depuis les récents succès enregistrés par l'industrie nigériane de l'animation"

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