Interview "Astérix en Lusitanie" : "Nous avons voulu éviter les gros clichés sur les Portugais", expliquent Fabcaro et Didier Conrad pour le nouvel album des irréductibles Gaulois

Dans leur nouvelle aventure, Astérix et Obélix s'en vont à l'étranger, en Lusitanie, le Portugal sous la Rome antique. Comment les auteurs ont déjoué les pièges d'une BD dont le ressort humoristique repose sur les clichés et l'identité du pays visité ?

Article rédigé par Francis Forget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Astérix, Obélix et Idéfix sont au Portugal, en Lusitanie, pour leur nouvelle aventure. (2025 HACHETTE / GOSCINNY / UDERZO)
Astérix, Obélix et Idéfix sont au Portugal, en Lusitanie, pour leur nouvelle aventure. (2025 HACHETTE / GOSCINNY / UDERZO)

Avec Astérix, question voyage, c'est facile, c'est réglé comme du papier à musique. Depuis presque le début de la série, un album sur deux, le petit Gaulois part avec Obélix vivre ses aventures loin du village. Les amateurs d'Astérix et Obélix appellent cela les albums "voyage" pour les différencier des albums "village" qui, les autres années, se déroulent dans ce petit coin de Gaulle où d'irréductibles râleurs résistent à l'envahisseur romain.

Ce 41e album se situe en Lusitanie, province romaine qui correspond grosso modo au Portugal actuel. Fabcaro, l'auteur de Zaï Zaï Zaï Zaï, en est le scénariste. Astérix en Lusitanie, est son deuxième album gaulois puisqu'il avait réalisé le précédent en 2023, L'Iris blanc. Le dessinateur, Didier Conrad, n'a pas changé depuis qu'Albert Uderzo lui a confié le crayon en 2013.

Les deux héros gaulois accompagnés d'Idéfix voyageront par mer pour rejoindre la Lusitanie. (2025 HACHETTE / GOSCINNY / UDERZO)
Les deux héros gaulois accompagnés d'Idéfix voyageront par mer pour rejoindre la Lusitanie. (2025 HACHETTE / GOSCINNY / UDERZO)

Un album d'Astérix, c'est toujours la très grosse cavalerie éditoriale. Avec la régularité d'un métronome, il en sort un tous les deux ans et toujours deux mois avant Noël. Un tirage plus gros qu'Obélix à 5 millions d'exemplaires et traduit simultanément en 19 langues ou dialectes. Conférence de presse, cette année, à l'ambassade du Portugal à Paris, avec un embargo imposé et dûment signé par les journalistes pour pouvoir lire avant publication, le jeudi 23 octobre, le précieux album.

Malgré ses incontestables records de vente, un album d'Astérix n'est pas perçu de la même manière en 2025 qu'au début de la série en 1961. Parodier, rire des traits ou du caractère d'un pays et de ses habitants peut vite tourner aujourd'hui à la polémique sur les réseaux sociaux et dans les médias. Il semblerait que Fabcaro et Didier Conrad aient fait leur une maxime des envahisseurs romains : "Quidquid agis, prudenter agas et respice finem." Ce qui se traduit par : "Quoi que tu fasses, fais-le avec prudence sans perdre de vue la fin." Le résultat donne un album drôle mais pas lourdaud, digne de figurer dans la catégorie des bons albums de reprise d'Astérix.

Fabcaro au scénario et Didier Conrad au dessin du nouvel album "Astérix en Lusitanie". (FRANCIS FORGET / FRANCE TELEVISIONS)
Fabcaro au scénario et Didier Conrad au dessin du nouvel album "Astérix en Lusitanie". (FRANCIS FORGET / FRANCE TELEVISIONS)

Franceinfo Culture : Pourquoi avoir choisi le Portugal, pardon la Lusitanie, comme destination pour les deux Gaulois ?
Fabcaro : J'avais envie d'un album lumineux avec des paysages, du soleil et de la mer. Je suis déjà allé plusieurs fois en vacances au Portugal. J'ai beaucoup aimé. J'ai apprécié aussi leur hospitalité. Un trait de caractère que je voulais mettre en avant dans l'album.

Avec un public aujourd'hui très sensible aux stéréotypes ou aux clichés, est-ce difficile de faire un album d'Astérix ?
Fabcaro : C'était certainement plus facile à l'époque de Goscinny. Aujourd'hui, il faut faire attention et heureusement d'ailleurs. Donc oui, c'est délicat de faire un album voyage, mais si on le fait de façon bienveillante, ça passe.

Des paysages, le soleil et la mer, Fabcaro voulait un album lumineux. (2025 HACHETTE / GOSCINNY / UDERZO)
Des paysages, le soleil et la mer, Fabcaro voulait un album lumineux. (2025 HACHETTE / GOSCINNY / UDERZO)

Alors comment avez-vous fait pour qu'on puisse rire avec les Lusitaniens ?
Fabcaro : J'ai voulu éviter les gros clichés sur les Portugais que nous avons en France. J'ai cherché une porte d'entrée. Un truc pas moqueur, mais qui soit tendre et bienveillant. J'ai senti que la saudade, cette mélancolie très ancienne et si typique des Portugais, serait un beau symbole de leur identité.

Une identité que vous déclinez aussi avec des spécialités culinaires ?
Fabcaro : C'est une tradition. Goscinny le faisait dans les albums d'Astérix. Pour la Lusitanie, je me suis amusé avec une pâtisserie, les fameux pastéis de nata et la morue qu'Obélix, mangeur inconditionnel de sangliers, n'apprécie pas trop. J'évoque aussi l'artisanat comme les rues pavées et l'art du carrelage avec les azulejos.

De la morue, des faïences et deux Gaulois en Lusitanie. (2025 HACHETTE / GOSCINNY / UDERZO)
De la morue, des faïences et deux Gaulois en Lusitanie. (2025 HACHETTE / GOSCINNY / UDERZO)

Vous faites revenir un des rares personnages noirs, le pirate Baba. Cela aussi pouvait être délicat ?
Didier Conrad : Baba est un personnage parodique d'une série de Charlier et Hubinon, Barbe-Rouge. Elle était publiée dans Pilote à la fin des années 1950. Baba y est un ancien esclave noir qui ne prononce pas les "R". C'était dans la série d'origine, Goscinny et Uderzo ont continué comme ça avec un Baba qui bouffe les "R". Depuis quelques albums, ce personnage posait des problèmes. On a eu des retours des éditeurs américains qui étaient très inquiets. On a été obligé d'en tenir compte. Du coup, ça a mis la vigie Baba au placard.
Fabcaro : Je me suis dit que c'était vraiment dommage pour un album voyage. J'adore ce personnage. Je n'avais pas envie qu'il reste au frigo. Un problème, ça se résout. En une case, il a perdu son accent et je le souligne dans l'album. On ne peut plus s'amuser des accents comme on le faisait à l'époque. Tant mieux. Didier le dessine un peu différemment. Le personnage a retrouvé ses "R". Tout va bien. Le problème est réglé, Baba est de retour.

"Astérix en Lusitanie", Fabcaro & Conrad / Goscinny & Uderzo, Éditions Albert René, 10,90 euros en édition classique et 42 euros en édition luxe

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