: Interview "Faire du casting, c'est être toujours en alerte" : Jacques Kouao est le directeur de casting en Côte d'Ivoire du "Grand Déplacement" de Jean-Pascal Zadi
Il exerce son métier dans un pays où les productions locales n'ont pas toujours les moyens de s'offrir ses services. Les productions internationales sont de belles opportunités pour Jacques Kouao, devenu directeur de casting grâce au film belge "Les Rayures du zèbre". Entretien.
Jacques Kouao est ivoirien et il est l'un des rares directeurs de casting professionnels dans son pays. Son métier actuel, il l'a appris à l'approche de la quarantaine, formé sur le tas par la Belge Kris Portier De Bellair sur Les Rayures du zèbre (2014) de Benoît Mariage avec Benoît Poelvoorde. Il a récemment travaillé sur des séries ivoiriennes comme Niabla (2023) et Or blanc (2023) et, au cours de la dernière décennie, sur des productions internationales tournées en Côte d'Ivoire. Parmi elles, Papa Lumière (2015) d'Ada Loueilh avec Niels Arestrup, Mon Ket (2018) de et avec François Damiens, Seules les bêtes (2019) de Dominik Moll avec Laure Calamy. Son dernier projet, Le Grand Déplacement de et avec Jean-Pascal Zadi, est à voir actuellement dans les salles françaises. Retour d'expérience.
Franceinfo Culture : Comment avez-vous été contacté pour le casting ivoirien du dernier film de Jean-Pascal Zadi, Le Grand Déplacement, récit d'une mission spatiale panafricaine inédite ?
Jacques Kouao : Je suis le directeur de casting de Boucan Production qui a assuré la production exécutive du long-métrage en Côte d'Ivoire et je travaille depuis mes débuts sur la plupart des projets de Boris Van Gils [producteur belge]. J'ai commencé à travailler sur ce film en décembre 2023 en tant que directeur de casting et chef de file [qui est présent sur le tournage, contrairement au directeur de casting, et en charge d'amener les petits rôles et les figurants].
Comment avez-vous travaillé ?
Le casting a commencé mi-janvier 2024 et s'est poursuivi jusqu'en mars. Nous avons commencé à Abidjan [la capitale économique] et nous sommes ensuite allés à Yamoussoukro [la capitale politique], où plusieurs scènes ont été tournées à l'Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny [le siège de la fameuse agence panafricaine du film]. On a parcouru les rues de la ville pour annoncer le casting pendant des semaines afin de mobiliser les gens. Les messages ont été passés en baoulé, dioula [langues vernaculaires] et en français. J'ai rencontré les communautés religieuses, les chefs traditionnels, les chefs de quartier, les chefs de communauté pour leur parler du projet et m'assurer de la présence de têtes couronnées. La figuration était importante pour l'une des scènes clés du film. Nous sommes passés sur les radios à Yamoussoukro, nous avons fait des spots à la radio et à la télévision. Le tournage en Côte d'Ivoire a commencé en avril-mai et s'est achevé en juin.
On retrouve dans le long-métrage un grand nombre de célèbres comédiens ivoiriens comme Akissi Delta, Adama Dahico ou encore Gbi de Fer. Pourquoi la production a tenu à leur faire appel ?
Jean-Pascal Zadi [né de parents ivoiriens en France] avait une vision précise de ce qu'il voulait. Au final, on retrouve la plupart des acteurs que tout le monde connaît en Côte d'Ivoire. Ces acteurs cités et vus à l'écran ont bercé son enfance. C'était normal pour lui de les faire tourner dans son film. Leur faire appel est sa façon de leur rendre hommage.
Il y a une scène importante où une foule immense, censée représenter la diversité du continent, est reconstituée. Comment travaille-t-on pour réunir autant de monde ?
C'était le plus gros défi du tournage. C'est un peu là où tout le monde m'attendait. Nous l'avons préparée tous ensemble. J'ai rencontré une dizaine de chefs de communauté à qui j'ai confié la recherche de certains profils. Au total, environ 1 500 personnes ont été mobilisées sur l'esplanade de la basilique de Notre-Dame de la paix de Yamoussoukro qui sert de décor à cette fameuse scène. C'est la première fois qu'il y avait d'ailleurs un tournage sur ce site.
Votre métier est-il reconnu en Côte d'Ivoire ? Pourriez-vous l'exercer s'il n'y avait pas de productions internationales ? En vivez-vous ?
Nous sommes très peu à faire ce métier. Avec Adélaïde Ouattara, nous sommes les deux rares professionnels en Côte d'Ivoire. Souvent, ici, pour des raisons budgétaires, les productions essaient de se passer de directeur de casting. Ce sont des lignes budgétaires qui sautent. En plus, beaucoup d'acteurs ici n'ont pas d'agent : ils discutent eux-mêmes leurs cachets et leurs contrats. La plupart du temps, ce sont les productions internationales et quelques productions locales bien structurées qui nous font appel. S'il n'y avait pas de productions internationales, il ne serait pas possible de faire ce métier en Côte d'Ivoire. Et je réponds en toute franchise : directeur de casting à Abidjan ne peut pas te faire vivre. Il y a plein de tournages actuellement, mais je ne travaille pas dessus. En dehors d'un projet qui m'occupe depuis plus d'un an, je n'ai pas encore travaillé depuis Le Grand Déplacement]. Mais je fais quelques castings pour des pubs.
Savez-vous si vos rémunérations sont alignées sur des standards internationaux quand vous collaborez à des productions étrangères ?
Les productions internationales, celles qui arrivent d'Europe, appliquent des normes internationales. Mais sont-elles appliquées quand elles arrivent en Côte d'Ivoire ? Je vous laisse répondre.
Comment êtes-vous devenu directeur de casting ?
Par un concours de circonstances. Boris Van Gils, qui est le producteur du film Les Rayures du zèbre, est arrivé à Abidjan en 2012 avec le réalisateur belge Benoît Mariage et sa directrice de casting, Kris Portier De Bellair. Je la considère comme ma mère spirituelle parce qu'elle m'a tout appris sur le métier. Mon ami, Israël Guebo, venait, lui, de recevoir un prix Harubuntu en Belgique et il était passé sur une radio. Le réalisateur Benoît Mariage l'avait écouté et avait réussi à le contacter pour lui parler de son projet en Côte d'Ivoire.
Le cinéaste avait alors demandé à Israël s'il pouvait accompagner sa directrice de casting à Abidjan. Il n'était pas disponible, mais il leur a parlé de son ami photographe qui avait travaillé dans le tourisme et qui aimait bouger. J'ai donc accompagné Kris partout. J'avais la caméra, je faisais les photos, j'enregistrais les profils, je faisais les classifications… Le casting s'est bien passé. Quelques mois plus tard, Boris avait un nouveau projet et il m'a appelé pour me confier le casting. Je lui ai dit que je ne m'en sentais pas capable. Il m'a répondu que Kris lui avait dit que je serai à la hauteur. Me voilà donc à la télé pour annoncer ce nouveau casting. Et tout s'est encore bien passé par la grâce de Dieu. Depuis ce jour, je gère les castings de Boris. D'autres productions m'ont plus tard sollicité.
Qu'est-ce qui vous a plu dans ce métier ?
C'est le contact. J'ai été formé à la gestion touristique et hôtelière. Après ma formation, j'ai travaillé à la réception dans des hôtels, ce que je n'aimais pas. J'ai ensuite travaillé dans le tourisme, géré des complexes hôteliers et j'ai été photographe professionnel. Je suis entre le cinéma, la photographie et le tourisme où tout est rattaché au contact. Faire du casting, c'est être toujours en alerte.
"Dans les castings, je rencontre de nouvelles personnes. C’est cette humanité-là qui m’intéresse et me donne de la force."
Jacques Kouao, directeur de castingà franceinfo Culture
Qu'espérez-vous pour votre profession en Côte d'Ivoire ?
Je souhaite qu'elle soit reconnue. De même qu'on ne dit pas à un directeur photo la façon dont il doit gérer sa lumière, on doit respecter le directeur de casting. C'est un métier artistique et spécifique J'ai travaillé sur une série ivoirienne sur les albinos, Or blanc. Je suis allé voir les familles pour rassurer les parents et convaincre les enfants de faire les castings. Les gens craignaient de se faire tuer à cause des discriminations et des menaces subies par les personnes albinos. C'est un métier qui demande de la sensibilité et du flair. Il ne faut pas laisser n'importe qui donner son avis sur un casting.
Travailler sur un gros film comme Le Grand Déplacement, c'est une forme de reconnaissance pour vous ?
J'aurais été malheureux de ne pas faire partie de l'aventure, car ce genre de projets est rare. Ce n'est pas une question de budget mais de défi artistique. C'est une formidable expérience : l'occasion de rencontrer des talents, de voir le monde drainé par une telle production, les moyens techniques déployés, l'opportunité d'assister à la construction des décors...
Aujourd'hui, il y a une vraie dynamique en Côte d'Ivoire en matière de production audiovisuelle. Le cinéma est un secteur bien structuré. Il faut juste qu'on laisse chacun travailler à son poste : directeur de casting, régisseur, comédien… Il faut donner un statut à chacun afin de permettre de vivre de son métier. Sur les plateaux, il faut respecter les figurants qui viennent crédibiliser une scène. Il faut également professionnaliser la filière et sensibiliser nos différents interlocuteurs. Par exemple, il faudrait créer un guichet unique pour avoir toutes les autorisations sur l'ensemble d'un tournage.
Quel est l'un des souvenirs qui vous a marqué depuis que vous faites ce métier ?
J'en ai plusieurs, mais j'ai beaucoup aimé travailler sur le casting du polar de Dominik Moll, Seules les bêtes (2019). Ce cinéaste franco-allemand est pointu. Il ne lâche rien, jusqu'aux figurants. Il fallait trouver Marie, une jeune fille qui devait camper la petite amie innocente d'un jeune brouteur qui a escroqué quelqu'un en Europe. Je n'étais pas au départ sur le casting et ils recherchaient ce profil depuis près de six mois. Quand j'ai été contacté, j'ai lancé un casting sauvage et on m'a recommandé une jeune fille qui a fait des essais. Mais Dominik n'a pas été convaincu. Alors qu'elle allait partir, je lui ai demandé de rester pour donner la réplique pendant le casting de celui qui devait jouer son petit ami dans le film. À force de la donner, elle connaissait son texte par cœur et elle jouait sans aucune pression. Le soir venu, Dominik s'est rendu compte que c'était elle en regardant les vidéos. Il la fait tourner en Côte d'Ivoire et en France.
Avez-vous encore envie de vous former à ce métier que vous avez appris sur le tas ?
Je souhaite m'initier à la mise en scène parce qu'on dirige aussi les acteurs pendant un casting. Quand tu diriges bien un acteur ou une actrice pendant son audition et que tu envoies la vidéo, on a déjà une bonne idée de la façon dont le rôle a été compris.
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