Interview "Un metteur en scène est nourri par la façon dont sa parole va être accueillie" : De l'écrit à l'écran, le festival qui fait écho aux mots des cinéastes

La volonté d'animer un territoire rural en associant l'écriture au 7e art fait vibrer Montélimar depuis près d'une quinzaine d'années. L'édition 2025 du festival De l'écrit à l'écran démarre vendredi. Entretien avec sa directrice, Vanessa Lhoste.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10min
Affiche de la 14e édition du festival De l'écrit à l'écran qui rend hommage à l'actrice Emilie Dequenne. (FESTIVAL DE L'ECRIT A L'ECRAN)
Affiche de la 14e édition du festival De l'écrit à l'écran qui rend hommage à l'actrice Emilie Dequenne. (FESTIVAL DE L'ECRIT A L'ECRAN)

Avec le directeur de la photographie Alain Choquart, l'actrice, scénariste et réalisatrice Valérie Lhoste ont lancé le festival De l'écrit à l'écran à Montélimar (Auvergne-Rhône-Alpes) en 2011. Il en assure la présidence. Elle, la direction et la programmation. Les cinéphiles sont invités à plus d'une trentaine d'avant-premières de films dont celles d'adaptations littéraires qui sont en compétition. La 14e édition du festival se tient du 19 au 25 septembre.

Franceinfo Culture : Comment est né De l'écrit à l'écran ?
Vanessa Lhoste :
C'est vraiment l'envie d'agir pour le territoire et d'utiliser ce merveilleux outil qu'est la culture. Nous [avec Alain Choquart] avons quitté Paris pour nous s'installer dans la Drôme. On percevait déjà, il y a quatorze ans, les tensions en ruralité, la montée des extrémistes... Que pouvions-nous faire pour rassembler ? La culture est le ciment des populations.

Le titre du festival est né en même temps que l'intention. De l'écrit à l'écran, c'est-à-dire ce qui s'écrit, mais aussi ce qui se pense et se dit. C'est la force de son sujet qui donne à un metteur en scène l'énergie pour faire naître son film. Un metteur en scène est nourri par la façon dont sa parole va être accueillie. J'avais vraiment envie de partir du sens du film et de ne pas être un festival que d'adaptations littéraires. Et dès la deuxième année, nous avons commencé à travailler avec les scolaires de tout le territoire parce que c'est notre ADN. Nous pensons qu'il faut parler aux jeunes, les réunir autour d'un projet d'écriture, d'un film.

De l'écrit à l'écran est un véritable projet de médiation culturelle...
Il est né comme ça. Personne ne nous voulait sur le territoire. Tout le monde nous disait non au début. J'ai donc fait un montage financier un petit peu différent. Je suis allée voir les chefs d'entreprise du territoire. Au moins une vingtaine de sociétés nous soutiennent. Elles sont très fidèles et de nouveau arrivent. Ces entreprises financent à plus de 30% le festival et c'est unique.

Nous avons perdu cette année le Pass culture alors que nous sommes un festival d'éducation à l'image. J'ai contesté et demandé une dérogation. Nous avons cependant trouvé des solutions pour ne pas laisser les enfants sur le carreau. Nous en accueillons plus de 10 000.

Alain Choquart, à gauche, et Vanessa Lhoste, respectivement président et directrice du festival De l'écrit à l'écran. (DE L'ECRIT A L'ECRAN)
Alain Choquart, à gauche, et Vanessa Lhoste, respectivement président et directrice du festival De l'écrit à l'écran. (DE L'ECRIT A L'ECRAN)

Vous venez de rappeler que vous n'êtes pas qu'un festival d'adaptations littéraires. Quelle est votre philosophie ?
Un réalisateur, un scénariste a souvent un mot, une phrase, une pensée en tête quand il écrit son texte. Le festival vient mettre en écho ce qu'il a voulu dire avec des rencontres littéraires, des débats d'idées, des penseurs, mais aussi des scientifiques...

Pour ce qui est de l'adaptation pure, incarnée par les six films en compétition [dans la section cinéma et littérature], je suis intéressée par la transcendance d'un réalisateur qui s'empare d'une œuvre. Ma sélection est guidée par la façon dont le metteur en scène, le scénariste arrive à toucher au subtil d'un livre. Et le subtil d'un livre, c'est que nous ressentons en tant que lecteur. Un metteur en scène se sert de la puissance du texte et y rajoute ce qui lui parle intimement.

"Une adaptation n'a rien à voir avec la fidélité ou un bon récit qui marche, c'est comme une élévation."

Vanessa Lhoste

à franceinfo Culture

"À pied d'œuvre", qui vient de remporter le prix du scénario à la 82e édition de la Mostra, est l'une des six œuvres de la compétition cinéma et littérature. Comment les avez-vous choisies ?
Dès les dix premières minutes, je savais qu'on était dans un très grand film. Valérie Donzelli est totalement à sa place. À pied d'œuvre est un film que l'on a jamais vu. L'Histoire de Souleymane avait apporté quelque chose sur cette misère et cette invisibilité. Et Valérie Donzelli montre que ça pourrait nous arriver à tous. Ce qui est beau dans le film, c'est l'âme de ce personnage qui, dans un monde qui le déshumanise, ne perd pas son humanité. Franck Courtès [dont le roman a été adapté par Valérie Donzelli] sera là.

Coup de foudre absolu pour la beauté poétique de Lumière pâle sur les collines de Kei Ishikawa, film envoûtant doté d'une belle cinématographie. Il y a une finesse visuelle qui est au service de l'œuvre. Nous lançons d'ailleurs cette année le prix Pierre-William Glenn, un grand directeur de la photographie français qui a travaillé sur tous les films de Bertrand Tavernier. Dans L'Inconnu de la Grande Arche, j'ai été émerveillée par l'honnêteté de cet architecte [le Danois Johan Otto von Spreckelsen, choisi à l'issue d'un concours pour réaliser la Grande Arche de la défense], sa vision créatrice et son engagement pour celui qui décide de signer son œuvre [le président François Mitterrand]. Stéphane Demoustier a réalisé un film fantastique.

La Condition, c'est Maupassant à l'ère de la sororité. Jérôme Bonnell a un regard extrêmement moderne tout en retravaillant la délicatesse de Léonor de Récondo [dont le livre Amours est adapté]. J'ai été impressionnée par le culot de Romane Bohringer dans Dites-lui que je l'aime : elle adapte non seulement le livre de Clémentine Autain mais aussi sa propre histoire pour la rendre universelle. Je suis époustouflée par la mise en scène de Kirill Serebrennikov. La Disparition de Josef Mengele est le film parfait en termes d'adaptation. Je suis très touchée qu'Olivier Guez accepte de venir parce que le long-métrage de Serebrennikov a une personnalité tout aussi forte que son livre.

Vous allez remettre le prix De l'écrit à l'écran cette année à l'actrice et réalisatrice Hafsia Herzi. Pourquoi elle et pourquoi maintenant ?
À Cannes, La Petite Dernière m'a sonnée. Je suis admirative du fait que ce petit bout de femme réussisse à réaliser une œuvre aussi puissante et avec une telle finesse. Elle nous dit : "N'ayez pas peur ! C'est long, c'est compliqué, c'est douloureux mais, au fond, il y a votre vérité." On sent que prendre la parole et faire des films, c'est ce qui anime vraiment Hafsia Herzi. Si je devais dire à quoi sert le festival, à quoi servent tous ces mois et années de bataille pour amener un tel événement sur un territoire rural, je dirais qu'Hafsia est le symbole de tout ce que l'on a semencé sur ce territoire.

"L'Étranger", le dernier film de François Ozon, débarque en avant-première à Montélimar après la Mostra où il était en compétition également...
C'est un film sublime qui va faire date. On a l'impression qu'Ozon est totalement libre avec ce texte et dans ce film-là. Il assume le sujet dans sa puissance tout en s'en libérant. Résultat : un film aérien, unique. Et quelle bonne idée ce noir et blanc !

Le festival porte une attention particulière aussi bien aux jeunes qu'aux séniors. Que leur proposez-vous ?
La cinéphilie est très souvent incarnée par les séniors. Mais après le Covid, il y a eu une peur presque physique de retourner dans une salle. Comment leur redonner confiance sur la question de la sortie et plus encore ? Nous proposons un parcours, une intégration au festival grâce aux bénévoles qui les prennent sous leurs ailes. Ainsi, aidants et aidés viennent ensemble voir un film. Des ateliers sont également prévus, cette année, sur le thème du portrait.

Entre 120 et 200 personnes sont attendues pendant le festival. Et puis il y a des gens qui viennent au cinéma pour la première fois. Il y a trois ans, sur le long-métrage de Nakache et Toledano, un monsieur de plus de 80 ans s'est levé à la fin de la projection. Il n'avait pas de question, mais il avait pris la parole pour dire que c'était la première fois qu'il allait dans une salle voir un film avec d'autres personnes.

L'affiche de cette édition 2025 est un portrait d'Emilie Dequenne, disparue en mars dernier et à qui le festival rendra hommage...
J'ai eu la chance de la connaître. Danielle Gain, son agent, était aussi la mienne. Emilie était venue à Montélimar pour les dix ans du festival avec son mari, Michel. Emilie Dequenne est une Magnani [Anna], une Gena Rowlands : deux tigresses pour lesquelles j'ai un respect immense. Son jeu était à ce niveau-là. Elle avait aussi le goût du risque. C'était une femme d'une immense douceur.

Et puis son courage quand elle a été confrontée à la maladie. Beaucoup de gens l'ont découverte uniquement dans son combat, avec ses cheveux courts. C'est pour cela que j'ai choisi cette photo de Richard Gianorio. Je me suis dit que le public aurait besoin de cette image. Tous ses amis seront là, sa fille et son mari. Nous voulons que ça soit très joyeux : c'est ce que m'ont demandé ses proches et c'est ce qu'avait demandé Emilie.

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