Oscars 2025 : anatomie de la chute de Karla Sofia Gascon, star d'"Emilia Pérez" mise au ban après la découverte d'anciens messages racistes

Le conte de fées finit mal. Karla Sofia Gascon, vedette du film Emilia Pérez, était en passe de devenir un symbole de la lutte contre les discriminations. Première personne ouvertement transgenre à être nommée pour l'Oscar de la meilleure actrice, la comédienne de 52 ans était donnée favorite dans la course à la statuette depuis plusieurs semaines. Mais la découverte d'anciens messages racistes écrits par l'Espagnole paraissent avoir ruiné ses chances, et même sa carrière.

En mai 2024, lorsque Karla Sofia Gascon, était montée sur la scène du palais des Festivals à Cannes pour la projection d'Emilia Pérez, elle était alors au faîte de sa gloire. "A toutes les personnes trans qui souffrent tant. Je veux que ces personnes arrivent à croire qu'il est toujours possible de s'améliorer", remerciait-elle, seule au micro. "C'est très beau d'être un exemple. Un exemple [du fait] que les rêves se réalisent.".

"J'ai eu une vie un peu étrange", confiait-elle à l'AFP lors du festival, où elle a reçu le prix d'interprétation féminine aux côtés de trois autres actrices du film, Selena Gomez, Zoe Saldaña et Adriana Paz. "J'ai fait des choses bien et des erreurs, comme tous les êtres humains. Et ce qui m'arrive maintenant est la conséquence de faire les choses bien, de faire les choses avec amour." 

Jacques Audiard, qui a le don de transformer en or les carrières d'acteurs, a changé sa vie en écrivant cette comédie musicale à nulle autre pareille. A sa bonne fée, Karla Sofía Gascón, qui a fait sa transition de genre à 46 ans, a dit qu'elle voulait jouer les deux rôles, celui d'Emilia, mais aussi celui de Manitas, redoutable boss du narcotrafic qu'Emilia était avant sa transition.

Au début de sa carrière, dans les années 1990, Karla Sofia Gascon a joué dans des séries populaires en Espagne, comme Isabel et El super, et fait de la figuration et de la pub. Après avoir émigré au Mexique, elle a joué en 2013 dans Nosotros los nobles (2013), un des plus gros succès cinématographiques du pays. Le confort financier acquis grâce à ce film a décidé Karla SofIa Gascon à entamer sa transition complète.

De son expérience, elle a sorti un livre autobiographique, qui l'a exposée à l'homophobie et à la transphobie. Son prix à Cannes lui a valu de nouvelles attaques transphobes. Elle a porté plainte en France pour "outrage sexiste" contre l'eurodéputée Marion Maréchal.

"Une actrice devenue radioactive"

Désormais, le rêve est parti en fumée. Ceux qui la connaissent la décrivaient certes comme "intense", d'autres disent même "incontrôlable". Mais personne n'imaginait qu'elle ait pu écrire sur Twitter (aujourd'hui X) que l'islam de "foyer d'infection pour l'humanité", qu'elle y ait raillé la diversité dans le divertissement, ou encore le mouvement anti-raciste né après la mort de George Floyd, un Noir américain tué par la police en 2020.

Netflix, qui a énormément misé sur le film, l'a effacée de sa campagne pour les Oscars, selon les médias hollywoodiens, lui préférant Zoe Saldaña, second rôle, dans sa promotion. En Espagne, une maison d'édition a renoncé à rééditer sa biographie. Elle est aussi nommée aux Bafta britanniques et aux César, mais n'a plus guère de chance.

La défense de Karla Sofia Gascon a été confuse. Dans un communiqué transmis par Netflix, elle a présenté ses excuses "en tant que membre d'une communauté marginalisée". Elle s'est défendue d'être "raciste" dans une interview à CNN.

Mais elle a refusé de se retirer de la course aux Oscars. Sur Instagram, elle évoque une époque où elle se sentait "perdue dans [sa] transition, cherchant l'approbation dans le regard des autres". Elle se dit également victime de la "cancel culture", en français culture de l'effacement ou de l'annulation, un processus qui vise à exclure de la mémoire collective une personnalité dont les comportements sont jugés répréhensibles.

Finalement, elle a annoncé vendredi qu'elle garderait "le silence", dans l'espoir de permettre "au film d'être apprécié pour ce qu'il est, une belle ode à l'amour et à la différence". Jacques Audiard a coupé le cordon avec une actrice devenue radioactive. "Je ne veux pas lui parler. Elle est dans un processus d'autodestruction", a-t-il déclaré au média spécialisé Deadline. "Elle joue à la victime (...) Comme si elle pensait que les mots ne font pas de mal".