Sortie de "Kaamelott - deuxième volet " : pourquoi les tribulations du roi Arthur d'Alexandre Astier fascinent depuis vingt ans

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le roi Arthur, interprété par Alexandre Astier, au côté de la reine Guenièvre, jouée par Anne Girouard, dans le deuxième volet de la saga "Kaamelott", qui sort au cinéma le 22 octobre 2025. (SND CINEMA)
Le roi Arthur, interprété par Alexandre Astier, au côté de la reine Guenièvre, jouée par Anne Girouard, dans le deuxième volet de la saga "Kaamelott", qui sort au cinéma le 22 octobre 2025. (SND CINEMA)

Un personnage célébrissime mais malléable, un humour biberonné aux classiques du rire français et, pour grandir avec son public, une évolution du format série télé au long-métrage cinéma. Voilà, en quelques mots, la recette de l'incroyable succès de la saga.

Des millions de téléspectateurs pendant des années sur M6. Des épisodes rediffusés ad nauseam quinze ans après l'arrêt de la série. Le plus gros succès du cinéma français en 2021, dans un contexte post-Covid qui a envoyé au tapis plus d'un blockbuster. Et quatre ans à patienter pour la suite, qui sort en salle mercredi 22 octobre. Kaamelott : deuxième volet, partie 1, écrit et réalisé par Alexandre Astier, pourrait même compenser une année de vaches maigres au box-office du cinéma hexagonal, aux résultats en berne. Mais comment expliquer l'engouement exceptionnel du public pour une saga qui parle de la quête du Graal au Ve siècle, au royaume de Logres ?

D'abord par son thème : articuler la série autour du roi Arthur a tout du choix gagnant. "Les légendes arthuriennes ont connu un retour en force en France au tournant des années 1970-80, avec le film des Monty Python Sacré Graal, et Excalibur de John Boorman", souligne l'historien William Blanc, qui a consacré un essai au personnage, Le Roi Arthur, un mythe contemporain. Pour ne rien gâcher, vu le peu de sources historiques disponibles sur cette période, il est possible de faire ce qu'on veut avec les chevaliers de la Table ronde.

Les romans arthuriens de Chrétien de Troyes, la référence, ont été écrits six siècles après les supposés faits d'armes de Perceval, Gauvain, Lancelot et consorts. Sous la plume de l'auteur d'Yvain ou le Chevalier au lion, le roi Arthur demeure en retrait, plus stratège qu'homme de terrain. Des relectures plus modernes lui ont donné un rôle bien différent : en 1941, le poète Louis Aragon va chercher du côté de la Table ronde des figures pour inspirer la Résistance face à l'occupant nazi, comme l'explique le site de la BNF. Six ans plus tard, virage à 180 degrès : l'auteur de BD René Bastard dépeint dans sa série Yves le Loup un roi Arthur vieillissant, qui regarde son empire s'écrouler en restant terré à Camelot. "Une allusion transparente au maréchal Pétain", souligne William Blanc.

La quête du gaag

Rien de surprenant à ce que le parti pris radical d'Alexandre Astier soit couronné de succès. "Il faut se remettre dans le contexte : au début des années 2000, on vit un âge d'or de la fantasy avec la saga du Seigneur des anneaux et les Harry Potter, souligne William Blanc. Je ne sais pas si la série aurait marché à ce point si elle était sortie dix ans plus tôt."

Alexandre Astier, qui réalise, écrit et met en musique les épisodes de sa série, s'amuse des clichés liés au genre, et pas seulement en transformant des chevaliers épiques en ramassis de bras cassés. L'auteur lyonnais "parvient à décaler l'image d'Epinal qu'on a des chevaliers via la pop culture, pour nous montrer l'arrière-boutique, beaucoup moins spectaculaire", appuie Hugo Alexandre, l'un des deux créateurs de la chaîne YouTube Calmos, qui décortique les procédés narratifs du cinéma.

"Le format d'origine [des sketchs de trois minutes] et son budget l'empêchaient de montrer tout ce qui était épique, il en a pris son parti pour s'amuser des tracasseries du quotidien. Alain Chabat a utilisé le même procédé pour son film sur le père Noël, 'Santa & Cie'."

Hugo Alexandre, cocréateur de la chaîne YouTube Calmos

à franceinfo

Au final, les quatre premiers livres (un livre équivaut à une saison dans le jargon Kaamelott) de la série Kaamelott montrent très peu de scènes de la quête du Graal. "C'est plus une réflexion sur la quête elle-même, la façon dont on la met en scène, appuie William Blanc. A l'image de toutes ces réunions des chevaliers de la Table ronde où ils réécrivent les anecdotes banales qui leur sont arrivées." Comme dans l'épisode Pupi, considéré par les "Kaamelottophiles" comme le plus représentatif de la série. Le roi Arthur, qui se rend incognito à une foire, se fait alpaguer par Karadoc pour assister à une représentation de marionnettes mettant en scène la quête du Graal et les exploits fantasmés des chevaliers de la Table ronde.

Sur la forme aussi, Alexandre Astier puise aux meilleures sources. Ce fils de comédiens a été biberonné aux films de Louis de Funès, avec dissection en famille des meilleures scènes pour en expliquer les ressorts comiques. "De Funès apprend aux acteurs que 'trop' ou 'pas assez', ça n'existe pas. Y'a 'juste' ou 'faux'. 'Faux', c’est irrattrapable", détaille en 2020 Alexandre Astier dans une vidéo tournée par la Cinémathèque française, à l'occasion d'une exposition rétrospective sur la star du Gendarme. Sans le singer – ce ne sont pas forcément les traits les plus caractéristiques du jeu funésien qui font rire Astier –, le roi Arthur de Kaamelott a quelque chose en lui de Stanislas Lefort, le chef d'orchestre acariâtre de La Grande Vadrouille.

"J’espère que j’ai deux trois trucs de De Funès et que ça ne se voit pas. Je le cache sous une mayonnaise personnelle, pour qu’on ne voie pas que c’est vachement lui."

Alexandre Astier

à la Cinémathèque française

Autre membre du panthéon personnel de l'interprète désabusé du roi Arthur : Michel Audiard. "Je regarde deux Audiard par semaine", confiait-il à Télé-Loisirs en 2006. Son paternel Lionnel (le grincheux Léodagan de Kaamelott) décrit au site Toutelatélé (cité dans plusieurs mémoires sur la série) les traditions des longues soirées d'hiver chez les Astier : "Alex et moi, on se passait Le cave se rebiffe, Un singe en hiver ou Mélodie en sous-sol, on coupait le son et on parlait à la place des acteurs en respectant le tempo. Voilà dans quel esprit Alexandre a écrit." De quoi expliquer la rythmique si particulière du fiston, qui a d'abord étudié la musique. "Sa formation musicale se retrouve dans son écriture", décrit en 2018 à franceinfo Nicolas Gabion, le seigneur Bohort de l'autre côté de l'écran. 

Du passé, faisons Table ronde

Kaamelott aurait pu rester un programme court de légende, comme Caméra Café ou Un gars, une fille avant lui. C'était compter sans l'évolution d'Astier vers des épisodes plus longs, des personnages plus creusés, au-delà des archétypes des premières saisons (Léodagan la brute, Bohort le lâche, Perceval l'idiot...), et un roi Arthur toujours plus dépressif. Un état esquissé par petites touches dans les épisodes courts, comme dans l'épisode Legenda (saison 3), où Arthur raconte la quête du Graal revue avec des animaux à un enfant pour l'aider à dormir : "Et voilà, donc ils trouvent pas le vase. Petit ourson, il fait de la dépression et chaque jour, il hésite pour savoir s'il va se tuer ou pas. Et c'est fini. Tu fais dodo maintenant ?"

Alexandre Astier, dans le rôle du roi Arthur, sur l'affiche de "Kaamelott - deuxième volet", en salle le 22 octobre 2025. (SND DISTRIBUTION)
Alexandre Astier, dans le rôle du roi Arthur, sur l'affiche de "Kaamelott - deuxième volet", en salle le 22 octobre 2025. (SND DISTRIBUTION)

Dès le début, la mort est omniprésente dans la série. Le Père Blaise, le moine copiste qui enlumine la légende, faisait déjà visiter la tombe du roi Arthur à des touristes qui ne parlent pas la langue dès le livre I. Tant qu'ils passent en caisse pour acheter une reproduction souvenir d'Excalibur... Alexandre Astier, seul maître à bord de Kaamelott, sème les petites graines de l'évolution des personnages dès les premières prises, et a su assez vite qu'il conclurait sa saga par une série de films. De quoi préparer le public au changement de ton de l'œuvre.

"On retrouve dans la série une atmosphère crépusculaire comme dans Excalibur", le film fondateur de John Boorman, appuie William Blanc. Dans son livre La Psychologie selon Kaamelott, le journaliste Jean-François Marmion imagine un psy débarquant au château et analysant les états d'âme d'un roi Arthur conscient de n'être qu'une marionnette dans les mains de son créateur : "A chaque fois qu'Alexandre Astier a changé de format pour s'exprimer, votre psychologie a changé. Au point qu'il est difficile de dire si vous avez changé parce que le format de diffusion le permettait, ou si le format a changé parce qu'il était devenu trop étroit pour votre psychologie."

"Je n'ai jamais aimé le format court", a d'ailleurs reconnu à BFMTV Alexandre Astier en 2018. Des épisodes étriqués des premiers livres, qu'on pouvait voir dans le désordre, à la noirceur des saisons 5 et 6, avec des épisodes de 52 minutes tournés dans les studios romains de Cinecittà, Kaamelott laisse place à un univers plus épique au cinéma. Grand écran donc de grands espaces, le souffle de l'aventure, un scénario construit comme un jeu vidéo ou un jeu de rôle, avec de multiples quêtes à accomplir pour les très nombreux personnages.

En vingt ans, Kaamelott a brisé tous les formats et tous les codes, ce qui la rend difficile à ranger dans une case pour expliquer son succès. En 2019, une journaliste française du quotidien britannique The Independent décrivait dans un article la gageure de traduire les blagues de Kaamelott à son compagnon américain. Sans parler de l'esprit si particulier de la saga astiérienne.

"Quand on le présente à l'international, on parle de l'équivalent français du 'Sacré Graal' des Monty Python, mais cette comparaison ne fait qu'effleurer la surface de ce qu'est vraiment 'Kaamelott'."

Clémence Michallon, journaliste

dans "The Independent"

L'œuvre a même échappé à son créateur : les médiévistes s'en sont emparés pour un colloque à la Sorbonne, il existe des livres de management inspirés des méthodes du boss de la Table ronde et nombre d'expressions – "C'est pas faux", "On en a gros" ou "Le gras, c'est la vie" – sont entrées dans le langage courant. C'est aussi à ça qu'on mesure la portée d'un succès.

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