Fatma Hassouna, photographe palestinienne tuée à Gaza, livre son dernier combat dans le film "Put Your Soul on Your Hand and Walk"

Présenté au festival de Cannes en mai dernier, ce documentaire éprouvant réalisé par une cinéaste iranienne exilée en France, sort en salles alors que la situation dans la bande de Gaza ne cesse d'empirer. Un témoignage aussi bouleversant que nécessaire.

Article rédigé par Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Image de la photographe palestinienne Fatma Hassouna sur l'affiche du film "Put Your Soul on Your Hand and Walk" (2025) de Sepideh Farsi. (REVES D'EAU PRODUCTIONS)
Image de la photographe palestinienne Fatma Hassouna sur l'affiche du film "Put Your Soul on Your Hand and Walk" (2025) de Sepideh Farsi. (REVES D'EAU PRODUCTIONS)

Le titre du film qui sort en salles le 24 septembre, Put Your Hand on Your Soul and Walk, est tiré d'une phrase prononcée par Fatma Hassouna [qui signait son travail Fatma Hassona] : "Quand tu sors à Gaza, tu mets ton âme dans ta main et tu marches". Il aurait pu s'appeler le dernier combat de Fatem, son surnom. Le témoignage de cette jeune photographe palestinienne est au cœur du documentaire réalisé par la Franco-Iranienne Sepideh Farsi.

Fatma Hassouna aurait dû assister au Festival de Cannes en mai dernier, le film ayant été sélectionné par les cinéastes de l'Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) dans une section parallèle. Mais Fatma a été tuée par un missile de l'armée israélienne, à seulement 25 ans, avant de pouvoir s'échapper de sa "prison de Gaza" pour venir témoigner en personne du sinistre sort de ses compatriotes.

La réalisatrice, ancienne prisonnière politique en Iran, exilée en France depuis quarante ans, avait expliqué en son absence que pour la jeune photographe, la caméra était "une arme" et qu'elle voulait "une mort bruyante, éclatante". Ce film documentaire est le récit glaçant, autant que nécessaire, de sa lutte et de sa lente agonie. 

Au début du film, Sepideh Farsi raconte avoir tenté en vain de se rendre à Gaza, via l'Egypte, pour tourner un documentaire. Au Caire, elle a rencontré des réfugiés palestiniens qui lui ont permis d'entrer en contact avec Fatma Hassouna. Par téléphone, elle a alors demandé à cette jeune photographe, 24 ans à l'époque, si elle voulait bien filmer Gaza, chose devenue impossible pour les étrangers. La tragédie gazaouie se déroule à huis clos, les autorités israéliennes imposant un blocus aux journalistes internationaux.

La jeune gazaouie, qui veut absolument documenter cette guerre, accepte de prêter ses yeux à Sepideh. Un étonnant dialogue à distance s'engage alors entre ces deux femmes, de générations différentes. Trente-cinq ans les séparent. Le documentaire témoigne de la vie de Fatem, depuis le déclenchement de la guerre à Gaza après l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023 en Israël, mais aussi de la naissance de leur amitié par écran interposé. Elles échangent en anglais. 

Fatma Hassouna (en haut) et Sepideh Farsi (en bas) communiquent par téléphone dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk", sorti le 24 septembre 2025. (REVES D'EAU PRODUCTIONS)
Fatma Hassouna (en haut) et Sepideh Farsi (en bas) communiquent par téléphone dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk", sorti le 24 septembre 2025. (REVES D'EAU PRODUCTIONS)

Ce qui frappe, avant toute chose, c'est le sourire éclatant de Fatem au début du film. Un sourire immense, dévorant, éclaire son visage d'une lumière de Madone. La jeune femme, visiblement coquette, porte des voiles colorés et des lunettes masquent souvent ses grands yeux verts. Autour d’elle, sur le petit écran de son portable, apparaissent parfois ses proches : de jeunes enfants, ses deux frères âgés de 20 et 15 ans et son père.

À partir du 24 avril 2024, dès que la connexion internet le permet, Fatem raconte à Sepideh, avec une intelligence et une perspicacité rares, sa vie au jour le jour. Elle filme et décrit le monde qui s'écroule littéralement autour d'elle. Cette femme engagée n’ignore jamais que sa parole est tout le temps enregistrée. En se confiant à Sepideh, c’est au reste du monde et à nous spectateurs, qu’elle s’adresse. À propos des Palestiniens, elle assure, bravache : On est des gens importants dans le monde (…) On va rire et vivre notre vie, qu’ils le veillent ou non."

Fatma Hassouna et son frère dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk" de Sepideh Farsi sorti en 2025. (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)
Fatma Hassouna et son frère dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk" de Sepideh Farsi sorti en 2025. (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)

Quand la conversation s'engage au printemps 2024, Fatem a déjà perdu treize êtres chers dont une tante, décapitée par un bombardement. Les questions simples et directes de la réalisatrice sont celles que nous nous posons en voyant à la télévision les terrifiantes images de la bande de Gaza dévastée : que buvez-vous, que mangez-vous, comment vous cachez-vous, as-tu peur ?

La grande limite du documentaire est sa qualité technique. Tout semble bricolé et improvisé, comme dans ces vidéos amateurs qui pullulent sur les réseaux sociaux. On le comprend aisément pour Fatem qui se filme en zone de guerre, bringuebalée d'une cachette à une autre. Moins pour la réalisatrice, installée dans son appartement parisien, qui filme l’écran de son téléphone sans stabiliser l'appareil. Les images tressautent en permanence, ce qui rend le visionnage inconfortable et nuit parfois à la compréhension.

Dans une volonté louable de montrer la réalité telle qu'elle est, Sepideh Farsi insiste sur les multiples ruptures de connexion internet et les efforts que fournit Fatem pour nous envoyer coûte que coûte son témoignage. Peut-être n'était-il pas nécessaire de le faire de façon aussi récurrente, au risque de décourager certains spectateurs.

Le visage de Fatma Hassouna dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk" (2025). (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)
Le visage de Fatma Hassouna dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk" (2025). (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)

Malgré ces faiblesses, anecdotiques au regard de l'enjeu, il est indispensable d'écouter Fatem jusqu'au bout. D'entendre ses rêves de voyage à Rome, de poulet et de chocolat. De comprendre les ressorts de sa résistance. De l'écouter chanter. De voir son beau sourire peu à peu s'effacer, de sentir la fatigue s'installer sur ses traits en même temps que la dépression, de mesurer les effets de la famine sur son corps. Il faut, jusqu'à la fin, admirer les photos magnifiques de Fatma Hassona, qui émaillent tout le film, jusqu'à ce bouleversant plan séquence dans les ruines de son cher Gaza.

Le documentaire s'achève sur la dernière conversation entre les deux amies, le 15 avril 2025. La réalisatrice a enfin une bonne nouvelle à annoncer à Fatem : leur film a été sélectionné pour le fameux Festival de Cannes. La Gazaouie, épuisée, met un peu de temps à comprendre de quoi il s'agit avant de dire que "c'est génial" et qu'elle veut venir en France "bien sûr". La jeune fille a-t-elle vraiment cru qu'elle pourrait quitter l'enfer de Gaza et traverser la Méditerranée ? Nous ne le saurons jamais. Fatem est morte dans la nuit qui a suivi cette dernière captation, victime avec ses frères et sœurs d'un missile israélien qui a tué sept membres de sa famille, n'épargnant que sa pauvre mère.

À propos de la guerre à Gaza, la jeune Palestinienne disait : "Je ne sais pas quand, mais je sais que ça finira." Souhaitons qu'un jour, le plus tôt possible, elle ait enfin raison.

Affiche du film "Put Your Soul on Your Hand and Walk" de la réalisatrice Sepideh Farsi. (REVES D'EAU PRDUCTIONS)
Affiche du film "Put Your Soul on Your Hand and Walk" de la réalisatrice Sepideh Farsi. (REVES D'EAU PRDUCTIONS)

La Fiche 

Genre :  Documentaire
Réalisation : Sepideh Farsi
Avec : Fatma Hassona, Sepideh Farsi
Pays : France
Durée : 1H50 
Sortie :
24 septembre 2025
Distributeur : New Story
Synopsis : Put your soul on your hand and walk est ma réponse en tant que cinéaste, aux massacres en cours des Palestiniens. Un miracle a eu lieu lorsque j’ai rencontré Fatem Hassona. Elle m’a prêté ses yeux pour voir Gaza où elle résistait en documentant la guerre, et moi, je suis devenue un lien entre elle et le reste du monde, depuis sa "prison de Gaza" comme elle le disait. Nous avons maintenu cette ligne de vie pendant plus de 200 jours. Les bouts de pixels et sons que l’on a échangés sont devenus le film que vous voyez. L’assassinat de Fatem le 16 avril 2025 suite à une attaque israélienne sur sa maison en change à jamais le sens.

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