: Interview "J'avais envie de filmer cette révolution" confie Richard Linklater, le réalisateur de "Nouvelle vague"
Le réalisateur américain saisit l'ampleur de la révolution à l'œuvre au cours des vingt jours de tournage de ce film culte, et nous offre le spectacle de la naissance d'un génie du cinéma.
Tee-shirt noir, veste kaki, yeux assortis éclairés par une pointe de malice et les derniers rayons de l'été, Richard Linklater enchaîne dans la cour d'un hôtel parisien les séances de photo et les interviews avant la sortie, mercredi 8 octobre, de Nouvelle Vague, en compétition lors de la 78e édition du Festival de Cannes.
Avec Nouvelle Vague, film joyeux et vivifiant, le réalisateur de Slacker (1991) et de Boyhood (2014), qui avait déjà rendu hommage à Orson Welles en 2009, se penche sur Jean-Luc Godard, nous catapultant dans le temps du tournage d'À bout de souffle, son tout premier long-métrage, devenu le filmiconique de la Nouvelle Vague. Richard Linklater livre à franceinfo Culture ces motivations et ses choix pour la réalisation de ce film hautement réjouissant.
Franceinfo Culture : Qu'est-ce qui vous a donné envie de réaliser Nouvelle Vague ?
Richard Linklater : D'abord, c'est le cerveau de Godard qui ne ressemble à aucun autre. Il est tellement unique. Et il y a aussi À bout de souffle, c'est un film cool, sexy, révolutionnaire, qui ne ressemble à rien de ce qu'on avait pu voir avant. C'est un mash-up de classicisme et de modernité. Sa fabrication a été tellement différente. Tout était nouveau, les méthodes qu'il a inventées... Il mérite vraiment son statut de film culte. Et puis, il y a ce couple iconique et sexy, Belmondo et Jean Seberg, ce qu'il a réussi à faire en les mettant tous les deux sur un plateau, l'électricité qui circule entre eux... C'est un film incroyable, drôle, irrévérencieux. Quel film se conclut avec une scène dans laquelle le personnage regarde la caméra droit dans les yeux et dit "va te faire foutre" ? Il y a beaucoup de films de la Nouvelle Vague qui sont iconiques, bien sûr, mais pour moi, celui-là l'est plus que les autres.
Comment décririez-vous Godard en quelques mots ?
Wow ! … Un révolutionnaire cinématographique. Il a apporté sa propre vision, son esprit vif, unique, à ce médium et il a suivi son propre chemin, il a imposé ses règles… Quelqu'un de très cérébral. Un cerveau incroyable !
C'est la révolution à l'œuvre dans le cinéma que vous vouliez raconter ?
Il y a eu à ce moment-là une révolution cinématographique, que l'on peut voir en effet dans le film. C'est une révolution sur la manière de travailler, sur la manière de jouer, sur la manière d'être. Et j'avais envie de filmer cette révolution. Mais c'était aussi une manière de rendre hommage à ce que c'est que de faire un premier film. L'état dans lequel on est, à la fois l'arrogance, la timidité et la peur. J'aurais pu, évidemment, me pencher sur un de mes propres films, ça aurait pu être drôle, mais Truffaut l'avait déjà fait à sa manière dans La Nuit américaine. Et je trouvais ça intéressant de choisir un film que j'admire, qui m'a bouleversé, qui a tellement changé ma vie et qui, en même temps, est un monument de l'histoire du cinéma.
Vous n'avez pas eu peur de vous attaquer à ce film mythique ?
Non, ce n'est pas comme l'Everest du cinéma quand même. Après tout, il a été réalisé par des humains. À bout de souffle, c'est un film à petit budget tourné dans la rue, et ça, c'est quelque chose que je connais bien, que je sais faire [sourire]. Son statut de film iconique dans l'histoire du cinéma est arrivé plus tard. Ce que je ressens pour ce film, c'est un extrême respect, et en même temps, je voulais en raconter quelque chose d'authentique. Donc, ce n'est pas tout à fait de l'adoration… Je dirais que ma relation à ce film est plutôt amicale.
Vous avez écrit ce film au présent, sans tenir compte de ce que le film est devenu ensuite, pourquoi ?
Quand une révolution artistique comme celle-là arrive, ceux qui sont en train de la faire n'en ont pas conscience au moment où ça se passe.
"Je pense que ceux qui travaillaient sur le film ne se rendaient pas du tout compte qu'ils étaient en train de révolutionner le cinéma."
Richard Linklaterà franceinfo Culture
Je ne voulais pas de ce côté pompeux que peuvent avoir parfois les films d'époque. Sur le tournage, j'ai toujours dit à mes acteurs : "Vous n'êtes pas des gens connus, vous êtes des gamins, vous faites votre premier film, vous vivez le présent et vous n'avez aucune idée de ce qui adviendra dans l'avenir. Vous ne savez pas ce que va devenir ce film." Parce que je pense qu'aucun d'entre eux ne pouvait imaginer que soixante-cinq ans plus tard, quelqu'un réaliserait un film sur eux, à part Godard lui-même. Et d'ailleurs, je pense que l'idée lui aurait plu.
Pourquoi avoir choisi des comédiens inconnus pour incarner Godard et tous les personnages de cette époque ?
Parce que Chalamet n'était pas libre ! [rires] Non, je plaisante. Mais je vais vous révéler la raison. Je me souviens de ce sentiment quand, étant enfant, j'allais au cinéma. Pendant que je regardais le film, j'oubliais complètement qui j'étais, où j'étais. Je n'étais plus dans ma propre peau. Quand les lumières se rallumaient, je n'avais pas pensé à moi-même pendant une heure et demie. Et c'est pour ça que j'aime le cinéma, parce qu'il vous emmène dans une capsule temporelle, dans un lieu magique, où on oublie tout de sa propre vie. C'est ce que je recherche toujours en réalisant mes films. Je veux que vous perceviez ce qui se passe dans le film comme quelque chose de réel, comme si c'était la réalité que vous étiez en train de regarder. Or, si ce sont des gens connus qui jouent des gens connus, même si les acteurs sont excellents, vous ne pouvez pas vous empêcher d'avoir un regard critique. Vous allez chercher les ressemblances, vous allez juger s'il le fait bien ou pas.
"Avec un acteur connu, vous êtes tout le temps en train de regarder l'acteur jouer l'autre, et vous restez sur le bord, vous n'êtes pas dans le film."
Richard Linlaterà franceinfo Culture
Je voulais faire taire cette pensée critique, qui s'impose un peu malgré soi. C'est l'avantage de faire jouer des inconnus, encore plus pour incarner des personnages iconiques. Je voulais que le public entre dans le film, comme moi quand j'étais petit garçon. Donc il n'y a jamais eu de débat sur cette question.
Nouvelle Vague est une comédie (on rit beaucoup), c'était une manière de désacraliser un film et un réalisateur cultes ? Godard était comique ou bien c'est vous qui en faites un personnage comique ?
Je trouve qu'il est plutôt drôle, et d'ailleurs son humour est très présent dans ses films. Je l'ai toujours appelé "mon maître farfelu". Il est à la fois très intelligent et très drôle. J'ai pensé que le public pourrait rire avec lui, et aussi de lui. C'est le type qui sait tout mieux que tout le monde, et en même temps qui interrompt le tournage parce qu'il n'a pas d'idées. Il y a quelque chose de comique aussi à faire un premier film. Cela entraîne de nombreuses situations qui prêtent à rire. Quand vous faites un premier film, vous êtes terrorisé, vous ne savez pas ce que vous faites, et en même temps, vous essayez de prétendre que vous savez, que vous maîtrisez, alors qu'en réalité, ce n'est pas du tout le cas.
Quand on regarde votre film, on a presque l'impression d'être dans un film de Godard, il est tourné en noir et blanc, il y a le rythme, le jazz… C'était l'idée ?
Oui, c'est tout le concept du film, de vous ramener en arrière, dans cette époque. Ce n'est pas seulement un film, c'est une époque. C'était toute la difficulté. En général, je trouve que quand on essaie de reconstituer une époque au cinéma, ça ne marche pas. Mais je me suis dit, on va quand même tenter. Je ne sais pas comment on a réussi, mais je pense que le fait d'avoir donné ce look très emblématique de la Nouvelle Vague aide beaucoup à nous transporter dans cette époque.
Vous n'aviez pas peur que cela agace les spectateurs de vous attaquer à un film aussi iconique ?
Oui, ça aurait pu mettre les gens en colère…
Mais ce n'est pas du tout le cas, comment vous expliquez ça ?
Je pense que c'est parce que le film ne se prend pas trop au sérieux, même si nous y avons consacré beaucoup d'efforts. C'est plutôt une célébration. On n'a pas cherché pas à imiter. Ce que je voulais faire, c'est un film qui ressemblerait à un making-of tourné à l'époque (par Jacques Rozier par exemple) qui aurait ensuite été oublié sur une étagère, et que l'on aurait retrouvé soixante-cinq ans plus tard. C'est ce film-là que je voulais faire. Si on avait fait du "jump cut" [raccord "plan sur plan", cher à Godard], ça n'aurait pas fonctionné.
"Je voulais que 'Nouvelle Vague' ressemble à un film de cette époque, avec l'esprit de l'époque, mais pas nécessairement à un film de Godard. Parce qu'on ne peut pas imiter Godard."
Richard Linklaterà franceinfo Culture
Le temps est un de vos sujets de prédilection, est-ce que cette question du temps était présente à votre esprit pour ce film-là aussi ?
Le cinéma est, par définition, lié au temps. C'est l'élément de base du cinéma. Au cinéma, on manipule le temps, au tournage, au montage. Mais pour ce film-là en particulier, je ne dirais pas que c'est le sujet principal. C'est un film d'époque, et c'est un moment d'une époque.
À part À bout de souffle, quel film de Godard recommanderiez-vous aujourd'hui ?
Oh, il y en a tellement... Là, si je devais en voir un ce soir, ce serait Masculin Féminin , mais je pourrais en choisir un différent chaque jour !
Traduit de l'anglais (USA) avec l'aide de Michèle Halberstadt, productrice du film.
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