: Interview "Au moment de la création d'un repas, tout est énergie : les formes, les couleurs et les saveurs", explique la cheffe Émilie Félix, auteure de "L'énergie, ça se cuisine !"
Comment tirer le plus d'énergie possible de notre assiette pour chasser la fatigue et être en forme à tout âge ? Dans son livre "L'énergie, ça se cuisine. Des conseils simples et sur mesure pour une alimentation antifatigue", la cheffe Émilie Félix livre de multiples pistes. Passionnant.
Émilie Félix n'est ni une cheffe, ni une sommelière comme les autres. Diplômée de l'École supérieure de commerce de Paris en 2003 et du Wine MBA de Kedge en 2009, cette cuisinière et chercheuse en diététique énergétique transmet sa méthode à des chefs exerçant en établissements scolaires, sièges de grands groupes, centres de soin, maisons de retraite et hôtels.
Grâce à son expérience – auprès de chefs et sommeliers renommés en France et au Japon – et sa connaissance des savoirs ancestraux de différentes cultures du monde, elle a développé une approche inédite de la cuisine où l'alimentation rime avec bien-être et respect de l'environnement.
Dans ce premier ouvrage, très richement illustré, L'énergie, ça se cuisine ! Des conseils simples et sur mesure pour une alimentation anti-fatigue, Émilie Félix dévoile une cuisine pleine d'énergie. Rencontre avec une passionnée touche à tout et explications pour ne rien s'interdire et retrouver le plaisir de manger. Alléchant !
Franceinfo Culture : Comment êtes-vous venue à la cuisine ?
Émilie Félix : Je n'ai pas commencé dans la cuisine. À la sortie de mon école de commerce, j'hésitais entre la politique (pendant mes études, j'étais élue locale sur des sujets de culture) et l'entreprise. Cette dernière m'a tenté car elle permet d'avoir un impact. J'ai commencé dans les services liés à l'environnement à la direction générale des ressources humaines de Veolia sur des sujets extra-financiers de bien-être et d'initiatives sociales. J'y suis restée quatre ans. C'étaient les prémices du développement durable – j'avais fait mon sujet de fin d'études là-dessus – et cela a été une étape importante, car j'étais entourée de professionnels portant humainement ce projet.
Je les quitte car je veux m'engager sur des sujets qui portent mes valeurs mais dans un métier qui me passionne : la cuisine. Je vais travailler quatre ans entre l'Aubrac et Paris avec un éleveur restaurateur qui a la volonté de faire l'élevage le plus parfait avec bien-être animal associé. Je rencontre des agronomes exceptionnels – notamment Pierre Weill, fondateur de Bleu-Blanc-Coeur – et je vais m'intéresser à la santé humaine. Parallèlement, je fais un Master of Business Administration dans le milieu du vin où je rencontre Franck Thomas, MOF et meilleur sommelier d'Europe, qui va m'ouvrir au Japon dont il est passionné. Il me propose de le suivre à Nice où il enseigne : j'y fais des dégustations de vins, prémices de la dégustation intuitive.
C'est le début de mon parcours vers l'énergie : je comprends que quelque chose anime la matière que l'on mange et qu'il y a une part d'invisible dans le vivant. Je creuse alors par le biais de l'agriculture avec les cours de biodynamique de Pierre Masson en Bourgogne. Puis je vais à Tokyo pour le Mondial de sommellerie, en 2013 : l'objectif est de voir si les Japonais ont une lecture du vin qui serait moins analytique que nous en France. C'est lors de ce voyage que je rencontre la cuisine japonaise !
Si le déclic vient du Japon, vous vous intéressez aussi à d'autres cuisines ?
À mon retour à Paris, je vais voir mon professeur de saké-sommellerie qui m'explique que dans la cuisine japonaise, il y a une science, une discipline, des lois, rien n'est le fruit du hasard. Il me conseille de m'intéresser à la médecine japonaise mais je vais au-delà en me penchant sur d'autres types de médecine (sainte Hildegarde, la grecque, le monde arabe, les Amérindiens...). Comme j'aime beaucoup l'Inde, je communique, aussi, avec un professeur de médecine ayurvédique, Priya Jain, ce qui me permet de faire des comparaisons. En parallèle, je suis les cours de diététique de Richard Zagorsk en médecine chinoise et me forme en cuisine, à Tokyo. Je me rends compte que quand je suis au Japon, j'ai énormément d'énergie. Les rythmes des repas sont très différents de la France : on mange des mets avec des textures, des couleurs et des saveurs dans des petits contenants.
Les interrogations fusent alors : est-ce compliqué de mettre cela en place chez nous et, surtout, dans des endroits où il y a insatisfaction ou péril en la demeure comme l'école, le grand âge et l'hôpital, par exemple ? Est-ce qu'on peut s'inspirer de ses outils et former des chefs pour mettre en place, au quotidien, cette vitalité, cette disponibilité physique et mentale ? Est-ce que l'alimentation peut reprendre sa place dans l'univers du soin et éclairer les gens à une meilleure hygiène de vie sans renoncer au plaisir ? La cuisine santé m'a toujours intéressé. J'ai été une fan de Michel Guérard, j'ai suivi ses cours pour manger sans grossir des mets sophistiqués avec beaucoup de saveurs et sans rien s'interdire.
Que trouve-t-on dans ce livre de 300 pages ?
Ce livre, c'est dix ans de recherche et, surtout, la volonté de vouloir faire quelque chose de concret. À chaque fois que je traitais d'un sujet, je me demandais quelle est l'incidence sur l'énergie ? Mon sujet, c'est ce capital d'énergie inné que nos parents nous ont confié à la naissance.
Y sont déployées les techniques pour choisir, conserver, découper, assembler et préparer les fruits, légumes, viandes ou poissons qu'on achète. Il y a toujours une incidence, un choix à faire mais il faut savoir ce qu'il signifie. Par exemple, quand on mange un mochi plutôt qu'un biscuit sec au goûter, les gens ne savent pas que le mochi, fondant et moelleux, est plutôt calmant alors que le biscuit sec est dynamisant. Il y a deux dynamiques dans l'énergie, celle qui calme et celle qui simule. C'est le paradigme du yin et du yang. Depuis le matin jusqu'au soir, de la naissance jusqu'à la mort, du printemps à l'hiver, l'alimentation nous accompagne à travers nos cycles car on n'a pas les mêmes besoins. Une alimentation diversifiée peut y répondre.
Cet ouvrage est découpé en chapitres, avec code couleur, photos et tableaux explicatifs soignés. L'alimentation, c'est aussi le plaisir des yeux ?
C'était très important que cela soit intuitif avec une chronologie : il faut faire des choix lors de la sélection, de la conservation, de la préparation, de la composition et de la dégustation des produits. Je commence par faire mon marché mais que vais-je faire de ces produits ? Des bocaux, du frais, du congelé ? Comment vais-je les cuisiner et les découper, les chauffer avec ou sans gras, avec ou sans eau ?
Quand je crée ma recette, j'assemble des ingrédients avec l'objectif d'apporter le plus de digestibilité. Il y a un art de déguster le repas, une façon de le dresser qui incitera le mangeur à manger plus calmement (musique, ambiance, état d'esprit). Le cuisinier peut induire un comportement : quand les mets sont proposés, par exemple, dans plein de petits contenants, cela demande de piocher donc les gens mangent plus lentement.
La manière dont nous marions les mets entre eux a un impact sur la digestion ?
Quand on crée les associations, l'un des objectifs est d'avoir dans l'assiette tout ce qui peut répondre à nos besoins. À chaque fois, j'essaye de trouver une céréale qui apporte la satiété, une légumineuse, un légume (c'est l'énergie vitale) car il faut végétaliser au maximum (presque un gros tiers de l'assiette) puis un bon gras qui va nourrir le cerveau (oméga 3, huile de colza, d'olive) et la viande (à privilégier au déjeuner plutôt qu'au dîner). Il faut mieux commencer son repas par quelque chose de végétarien et aller, ensuite, vers la protéine animale puis les céréales en bout de parcours.
Souvent, on pense qu'on ne mange pas les bonnes choses alors qu'en réalité, on les mange mal. La nature répond à nos besoins ?
Il faut avoir en tête que la digestion prend de l'énergie donc il faut l'adapter au moment de la journée – le soir, on digère moins bien que le midi –, au moment de l'année – l'automne et hiver on digère moins bien que le printemps et l'été –, au moment de la vie – à l'adolescence on digère plus que dans le grand âge –, mais il n'y a pas d'interdit. Un fruit, c'est difficile à digérer, donc il faut mieux le melon en début de repas plutôt qu'à la fin et associer les légumineuses à de l'ail et des fines herbes pour une meilleure digestion. Il faut jouxter des éléments qui vont se parler entre eux.
Les règles d'association, c'est aussi considérer que chaque ingrédient est un agent climatique : certains réchauffent, d'autres refroidissent, humidifient ou assèchent le corps. On peut jouer avec ! Cela m'a pris beaucoup de temps de répertorier les ingrédients. Tout est énergie mais les formes, les couleurs, les saveurs, et la couleur ont une incidence : il faut du vert, du rouge, du noir, du jaune, du blanc pour que tout soit équilibré. Derrière chaque couleur, il y a une famille d'ingrédients avec des caractéristiques communes. Et derrière ce plaisir des yeux, il y a une sagesse.
Nous ne sommes pas assez à l'écoute de notre corps ?
Oui. On dit que pour être en bonne santé, il faut s'écouter mais on ne s'écoute plus, le corps en a pourtant besoin. L'homme s'est dissocié de l'espèce : on ne suit plus les cycles. L'hiver, on est dans une phase où l'énergie est basse. Ainsi par exemple, les moines cisterciens faisaient un repas l'hiver car on n'a pas autant de besoins que l'été.
Vous avez fondé, en 2018, les ateliers culinaires Wayo destinés aux professionnels.
Wayo, c'est comme un mot concept au Japon. Wa, c'est l'harmonie, c'est la cuisine originaire du japon. Yo, c'est l'occident, l'interprétation. C'est donc la rencontre entre le Japon et l'occident. C'est, en fait, l'idée d'interpréter l'harmonie et de dire merci au Japon : sans ma rencontre avec ce pays, je ne vous parlerai pas aujourd'hui.
Vous transmettez votre méthode à des chefs exerçant en établissements scolaires, grands groupes, centres de soin, maisons de retraite et hôtels.
Avec ce livre, je veux transcrire au maximum ce que j'ai compris. J'ai eu énormément de chances dans mes rencontres et d'avoir des professeurs qui m'ont tout donné : je suis leur canal et, moi aussi, je transmets. J'ai trouvé cet endroit où j'ai installé mes ateliers : un lieu de pratique, de transmission, un dojo comme au Japon. Mais je n'ai pas totalement oublié l'idée d'avoir un jour, mon lieu, mon restaurant !
Les chefs sont des gens très visuels alors dans mes cours, je ne diffuse que des images, il n'y a pas de textes mais mes planches éducatives. Je suis une fan de la maison Deyrolle, dont je collectionne les images. Je forme des chefs, qui sont au service du public mais aussi de la restauration collective comme les hôpitaux.
Un de mes rêves est de pouvoir les mettre dans les écoles pour que les enfants puissent se repérer. Mon idée, c'est qu'au moment du repas à la cantine, qu'il y ait des animations autour du goût, des saisons ainsi que des conférences et des expositions pour qu'ils comprennent un peu mieux les choix qu'ils font mais aussi qu'ils invitent leurs parents et les défient. Ce serait intéressant de les éveiller. Dans l'une de mes associations Euro-Toques, j'interviens lors d'ateliers dans des écoles hôtelières où il y a des jeunes en CAP qui n'ont pas toutes les connaissances. Je forme certes des cuisiniers déjà expérimentés mais la jeunesse a encore tout à écrire : ce sont eux qui vont dessiner le paysage de demain quand ils feront leurs achats.
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