Odette Pauvert, peintre oubliée des Années folles, refait surface à La Piscine de Roubaix
Elle fut la première femme à remporter le prix de Rome en peinture, il y a tout juste cent ans. Une exposition la remet à l'honneur.
Traverser la vie une palette à la main, telle était l'ambition d'Odette Pauvert. Comme nombre d'artistes femmes, cette Parisienne est injustement tombée dans les oubliettes de l'histoire de l'art. La dernière exposition que lui consacra le musée Sainte-Croix de Poitiers remonte à 1986. Étonnant quand on sait qu'en 1925, elle fut la troisième femme à décrocher le prestigieux Grand Prix de Rome, après une sculptrice et une compositrice. Et surtout, la première à l'emporter dans la catégorie peinture.
Jusqu'au 11 janvier 2026, pour célébrer le centenaire de cette distinction, le superbe musée roubaisien, aménagé dans une ancienne piscine Art déco, a choisi de faire émerger cette peintre oubliée et de lui rendre l'hommage qu'elle mérite. Ce musée mène une politique volontariste et compte désormais 12% d'artistes femmes dans ses collections "contre environ 7% à l'échelle nationale", selon Hélène Duret, sa directrice. La jeune et passionnante commissaire de l'exposition, Adèle Taillefait, commente pour nous les toiles les plus abouties et les plus significatives de son œuvre.
Pour faire sa connaissance, arrêtons-nous d'abord sur la série d'autoportraits qui ouvre l'exposition. Brune, les cheveux courts et bouclés, la peintre nous observe d'un air sérieux. "Elle est dans une volonté d'affirmation de sa propre image, une stratégie de visibilité, éclaire la commissaire. Aujourd'hui, on dirait qu'elle avait le sens du marketing." Elle précise que l'artiste a développé un style singulier : "Elle n'appartient pas du tout aux avant-gardes, mais sans être pleinement dans le classicisme ou l'Art déco au sens strict."
Née en 1903 à Paris, dans le quartier des artistes de Montparnasse, la petite Odette a de qui tenir. Son père, Henri Pauvert, est copiste, peintre animalier et portraitiste, et sa mère, Louise, réalise des miniatures sur ivoire, une technique qu'elle transmet à ses deux filles. Ces objets se vendent bien et assurent un revenu constant à la famille. L'exposition présente un beau portrait d'Odette Pauvert réalisé par son père et, à proximité, l'hommage inversé de sa fille : le portrait d'Henri Pauvert par Odette. "Dans les années 1920, elle a encore une touche vigoureuse et très visible", détaille Adèle Taillefait.
Les paysages bretons
Odette Pauvert a peint peu de paysages parisiens. C'est dans le Morbihan, où ses parents ont fait construire une maison face à la mer, en 1923, qu'elle s'exerce à travailler sur le motif. La Bretagne lui inspire de petits paysages, des portraits, mais aussi des scènes monumentales et des compositions ambitieuses qu'elle envoie au Salon. La région est vue par les peintres de l'époque, notamment Paul Gauguin, comme une terre primitive où l'irruption du sacré est possible.
Beaucoup de ces toiles se sont perdues. L'exposition présente néanmoins un grand tableau, Invocation à Notre-Dame-des-Flots, que l'artiste elle-même a donné au musée de Locronan en 1934. Dans la baie des Trépassés, un groupe de femmes implore la Vierge protectrice des marins. Le tableau mêle une scène naturaliste et une apparition mystique. Retrouvé en 2012 très endommagé, il a fait l'objet d'une importante restauration.
En 1922, Odette et sa sœur Marguerite réussissent le concours d'entrée de l'école des beaux-arts. Les cours ne sont pas mixtes. Seul le chef d'atelier Ferdinand Humbert est autorisé à accueillir les artistes femmes. Elle va enfin avoir accès à des modèles nus, ce qui n'était pas le cas dans l'atelier de ses parents ni à l'école de dessin de la Ville de Paris où elle a fait ses premières classes. "Elle acquiert très rapidement une maîtrise très poussée du nu", constate Adèle Taillefait. L'exposition présente ses académies masculines et un superbe nu féminin intitulé Après le bain.
En 1925, c'est justement un nu, La Légende de Saint-Ronan, qui lui vaut le Grand Prix de Rome. Ce haut tableau, très expressif, prêté par les Beaux-Arts de Paris, représente un ermite breton, invoquant le seigneur à genoux, deux bouledogues couchés à ses pieds. Précision utile de la commissaire : "Le jury a choisi parmi des œuvres anonymisées, sans savoir si le peintre était une femme ou un homme. Il n'y avait pas de sujet imposé. La seule consigne était de réaliser une figure nue ou drapée." Elle ajoute qu'Odette Pauvert prend pour référence les martyrs peints par les artistes de la Renaissance italienne.
La Villa Médicis
Ce prix de Rome, alors qu'elle n'a que 22 ans, lui ouvre les portes de la Villa Médicis où elle résidera trois ans et demi. "Elle parle alors d'un enivrement, raconte la commissaire. En Italie, elle côtoie au quotidien toute la peinture du XIVe et du XVe siècle qui s'introduit de plus en plus dans son art." Sur une toile intitulée Promotion 1926, Odette se représente avec ses camarades : le compositeur Louis Fourestier, le sculpteur Évariste Jonchère, avec qui elle aura une liaison, et l'architecte Alfred Audoul.
Un autre tableau étonnant la montre avec toute sa famille qui séjournait fréquemment à la Villa Médicis. La référence aux maîtres du "Quattrocento" saute aux yeux. Elle peint la Villa Médicis en arrière-plan, dessine son profil et celui de son père à la manière d'une médaille. Sa mère lui jette un regard en coin tandis que sa sœur, habillée comme au XVe siècle, nous fait signe.
Le tableau le plus imposant de l'exposition est le dernier qu'elle ait envoyé aux membres de l'Institut à Paris en 1929. Elle choisit de travailler sur "un format colossal, raconte Adèle Taillefait, parce que sa grande ambition est de devenir peintre de décors. Elle veut s'attirer des commandes officielles en montrant sa maîtrise". Ce tableau théâtral, de plus de 4 mètres de large, illustre un épisode peu connu de la vie de saint François : La Dernière Visite du Poverello à sainte Claire. Les pensionnaires de la Villa Médicis ont posé pour elle. Malgré un travail de préparation minutieux, l'accueil de cette "fresque" sera mitigé et Odette Pauvert ne peindra pas autant de décors qu'elle l'aurait voulu.
Autre tableau important peint en 1931 après son retour en France : Éros vainqueur de Pan. "Il représente de façon atypique, assez maniériste, un sujet classique", décrypte la commissaire. La victoire de l'amour chaste, incarné par Éros, sur l'amour libidineux et impur incarné par le faune Pan." Elle insiste sur la grande expressivité des visages et souligne l'intérêt de l'artiste pour les marques du temps, un fil rouge dans toute son œuvre. Odette a donné à Pan les traits de son amant Évariste, au moment où leur relation battait de l'aile. Dans la même section, deux tableaux aux thèmes plus modernes accrochent le regard : un portrait de sa future belle-sœur intitulé Paris 1932, un autre représentant l'acteur et danseur noir Habib Benglia, ami de Josephine Baker, entouré de masques africains.
En 1934, Odette Pauvert devient pensionnaire de l'Académie de France de Madrid, inaugurée en 1929. Elle continue à peindre des paysages et se consacre intensément à la pratique du dessin. L'exposition présente une galerie de portraits exceptionnels réalisés au fusain ou à la sanguine. Le Cireur de chaussures, L'Aveugle de Grenade ou encore L'Homme espagnol au chapeau valent plus qu'un coup d'œil. "Ce sont des visages très marqués par la vie, de simples travailleurs qu'elle a rencontrés en Castille et en Andalousie, raconte la commissaire. Elle leur donne une noblesse remarquable."
En 1937, Odette Pauvert épouse André Tissier, ingénieur et grand amateur d'art. Ils auront trois enfants en quatre ans. "Elle va s'embourgeoiser, sourit Adèle Taillefait. Sa vie est transformée et ce foyer heureux devient une nouvelle source d'inspiration". Odette Pauvert peint de charmants bambins, mais aussi des femmes qui s'ennuient. La commissaire raconte qu'un collectionneur privé ayant entendu parler de l'exposition s'est manifesté, ce qui a permis de retrouver un portrait que l'on pensait disparu, celui d'Yves, le seul fils de l'artiste encore vivant. "Nous espérons que d'autres tableaux resurgiront", lance-t-elle, comme une bouteille à la mer.
À l'approche de la Seconde Guerre mondiale, une inquiétude plane sur certains tableaux d'Odette Pauvert, comme sur cette toile intitulée La Veuve. L'artiste peint sa fille Odile s'accrochant au bras d'une nourrice endeuillée. Accaparée par sa famille, la peintre revient à de plus petits formats. Sa carrière connaît alors un net ralentissement. "La Veuve, peut-on lire dans le catalogue publié par les éditions Norma, signe un "retour à la réalité", après l'"enivrement" des années romaines et les ambitions qu'elles ont vu naître".
Odette se referme sur la cellule familiale, ses œuvres sont de moins en moins exposées dans les Salons, de moins en moins commentées et elle ne reçoit pratiquement plus de commandes. On pourrait dire de façon triviale qu'elle disparaît des écrans radars.
L'exposition s'achève sur son dernier tableau, La Jeune Pousse, une toile pleine de tendresse représentant sa belle-fille et sa petite fille. Odette Pauvert mourra prématurément en 1966, à 62 ans, des suites d'un AVC. La volonté louable de cette rétrospective est de lui redonner une place au sein d'une histoire de l'art qui a trop longtemps invisibilisé les femmes.
"Odette Pauvert - La peinture pour ambition au temps de l'Art déco", du 11 octobre 2025 au 11 janvier 2026, à La Piscine de Roubaix
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