Interview "Ton ennemi, c'est l'excès", martèle Olivier Chaput, fondateur du festival #BON et chef préféré des enfants

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Le chef Olivier Chaput, fondateur du festival #BON. Ramène tes parents. (AGENCE WEREAL)
Le chef Olivier Chaput, fondateur du festival #BON. Ramène tes parents. (AGENCE WEREAL)

Pour Olivier Chaput, chef engagé pour la santé et le bien-être des jeunes générations, "un enfant sur trois ne sait pas identifier les aliments qu’il mange quotidiennement".

Olivier Chaput est un chef engagé dont le style se caractérise par l'audace et la mise en valeur des produits sans artifice tout en mélangeant tradition et influences du monde entier pour créer des saveurs originales. Champion du monde de la poule au pot d'Henri IV et de la piperade béarnaise, il détient le record du monde de la plus longue bûche de Noël. Médaillé de l'Ordre national du mérite agricole, membre de l'Académie culinaire de France, des Toques françaises et disciple d'Escoffier, il est connu pour son travail d'enseignant et de consultant en art culinaire.

Il se consacre à des projets de transmission et d'éducation à travers son association Eatinhérente avec deux programmes : Les enfants cuisinent (ateliers culinaires dans les écoles et dans les structures accueillant des jeunes pour apprendre aux enfants et aux jeunes de 2 à 20 ans à manger mieux et à cuisiner) et le festival #BON. Ramène tes parents (lieu d'expression, d'éducation et d'inspiration culinaire destiné à sensibiliser enfants et parents à une alimentation saine et s'initier au "bon et bien manger").

​Rencontre passionnante avec ce militant de l'éducation à l'alimentation, à l'occasion du festival #BON. Ramène tes parents qui se tient à Albi du 26 au 28 juin. Il est du constat "qu'un enfant sur trois ne sait pas identifier les aliments qu'il mange quotidiennement".

Franceinfo Culture : vous baignez dans l'univers de la cuisine depuis votre enfance. Quel est votre plus lointain souvenir lié à celle-ci ?

Olivier Chaput : le plus loin que je me rappelle, c'est mon premier coup de fourchette. J'aime vraiment beaucoup manger et j'ai eu une maman qui cuisinait, même si on avait des petits moyens. On faisait notre potager et j'ai le souvenir de la première fois où j'ai ramassé une tomate et croqué dedans !

Chef de restaurant, animateur TV, vous êtes multicasquette ?

Je suis né à Limoges en 1976. J'ai toujours été passionné de cuisine, de tout ce qui était environnement de la table et de ses produits. L'école était un milieu que je n'arrivais à comprendre et à accepter, je voulais vraiment cuisiner. À la fin de la 6e, j'ai eu la chance d'être accompagnée par une proviseure qui m'a aidé à rentrer au lycée hôtelier en 1990. J'ai passé un CAP et un BEP en 4 ans, puis un brevet professionnel. Cela a été la révélation : j'ai fait les saisons, je suis parti comme commis de cuisine en Angleterre, puis j'ai travaillé dans pas mal de pays (Lettonie, Pakistan...) avant de rentrer en France. À l'âge de 26 ans, j'ai acquis mon premier restaurant. Ensuite, je suis monté sur Paris pour progresser dans l'univers de la brasserie que je ne connaissais pas, du bistrot et des milieux gastronomiques...

En 2008, j'ai créé Adapt'acarte, une boîte de consulting en restauration. En 2011 et pendant deux ans, j'étais sur la chaîne Gulli où je faisais une émission Un chef à ma porte. J'ai créé aussi l'association Les enfants cuisinent, relancée en 2016 lors du lancement du festival #BON à Villejuif, et devenue ensuite Eatinhérente. J'ai tenu, de 2013 à 2020, le restaurant Show Devant à Villejuif (Val-de-Marne) avec mon associé Philippe Journoud. Puis, j'ai développé une table d'hôte privée de 8 couverts avec gîte, à Taîx, à côté d'Albi, pour garder l'aspect cuisine/création. En parallèle de mon association Eatinhérente, je fais des salons, des tables rondes, des conférences et des cours de cuisine avec une partie consulting pour le soutien aux familles.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l'alimentation des enfants ?

J'essaie d'être le bon parrain des familles en aidant les parents à dédramatiser : je leur dis, ne vous inquiétez pas, un enfant ne se laissera jamais mourir de faim, mais il faut lui proposer de jouer et goûter.

Pourquoi avoir cofondé le festival #BON en 2016 ?

Quand j'ai créé l'association Les enfants en cuisine, il n'y avait pas encore cet esprit d'éducation alimentaire, mais j'étais persuadé qu'il fallait aider les enfants et les familles perdus dans tout ce panel d'alimentation. Je me suis dit que le meilleur moyen était de créer un événement : le festival a mis la lumière sur l'association et alors partenaires, écoles et mécènes nous ont appelés. Après Villejuif, on est parti dans toute la France et, aujourd'hui, nous sommes en Occitanie, à Albi, les 26, 27 et 28 juin 2025.

C'est un parcours ludique reprenant la phrase manger-bouger que l'on voyait partout. On part du potager, puis on va au marché (poissonnier, boucher, boulanger, maraîcher...) et on fait découvrir aux enfants les produits bruts que l'on cuisine en live. On aborde également tout ce qui est nutrition, santé, développement durable, climat pour finir avec l'activité physique. On montre tout ce panel d'alimentation (petits producteurs, agroalimentaire, industriels) et on explique comment l'adapter en fonction du temps et du budget de chacun en gardant à l'esprit que bien manger, c'est le moteur, c'est l'essence.

Nous sommes des professionnels qui apprennent aux enfants à s'y reconnaître, à être plus dans la technique, à comprendre le gaspillage. Ce qu'on a appris en école hôtelière, on le met à leur service pour que cela rentre dans les foyers où l'enfant a tendance à manger un peu tout le temps la même chose, car ce sont des recettes qui rassurent. Nous essayons de montrer qu'une courgette se mange cuite, crue, en vinaigrette, en gratin, en passant par l'éducation positive sans être moralisateur.

​Ce festival dédié aux enfants est-il le seul événement de ce type ?

C'est le seul événement en France entièrement dédié autour de l'alimentation et du bien-être de l'enfant à travers le développement durable, mais aussi le climat et le tri sélectif.

Lors du festival, le jeudi et le vendredi sont dédiés aux scolaires, le samedi, lui, est ouvert au grand public et à leur famille. Gratuites pour les enfants, les entrées sont reversées à une association locale. Cette année, c'est SOS Bébé 81. On essaye d'être le roux [un mélange à parts égales de farine et d'une matière grasse que l'on cuit doucement pour lier et épaissir sauces, potages ou plats mijotés) qui va lier la sauce pour faire quelque chose de bien.

Quelle est la mission de l'association Eatinhérente ?

Celle de sensibiliser à une alimentation saine et responsable. Les enfants étant des prescripteurs au sein de leur famille, l'ambition du festival est de rassembler parents et enfants autour d'un moment de partage et de ramener le fait maison au cœur des foyers. C'est transmettre au plus grand nombre les bonnes clés d'une alimentation sans jamais pointer du doigt. Par exemple, on explique qu'il y a des labels (IGP, AOP, Label rouge, démarche Bleu blanc cœur) et on apprend à l'enfant à travailler les produits bruts. L'objectif est de les amener à être acteur de leur alimentation en trouvant les bonnes clefs.

Comment transmettre sans être moralisateur en restant ludique lorsqu'on s'adresse à un jeune public ?

On agit de 2 ans à 20 ans : le but est que quand l'enfant arrive à l'âge adulte, il soit autonome dans son alimentation et qu'il sache se débrouiller. On essaye de jamais être anti et on ne dénigre pas, non plus, la façon de se nourrir à la maison. La question que nous posons est : ce que tu apprends à la maison, ce que tu manges à l'école ou dans les restaurants, tu en fais quoi ? Il y a des parents démunis et ils sont contents, car les enfants ramènent des recettes : on donne des livrets pédagogiques liés au programme scolaire. La phrase que l'on répète en permanence, c'est : ton ennemi, c'est l'excès. Être moralisateur, c'est le pire. Nous accompagnons avec bienveillance et répondons à des questions simples car on reste apprenti toute sa vie ! En quinze ans, on a pu voir des enfants évoluer, c'est assez touchant et on se sent plus utile que dans un restaurant.

Affiche du festival #Bon. Ramène tes parents, 2025. (DR)
Affiche du festival #Bon. Ramène tes parents, 2025. (DR)

Quel est le programme du festival 2025 ?

Dans ce festival, le parcours reste quelque chose d'intéressant, mais le plus important, c'est le plaisir qu'il procure : celui de voir des enfants goûter plein de choses et être émerveillés.

Cette année, pour la première fois, on a deux chefs internationaux, Mogkadi et Abiro. L'un vient du Ghana, l'autre d'Afrique du Sud. Je les ai rencontrés à la FAO, la branche de l'agriculture et de l'alimentation de l'ONU. Ce sont des personnes extraordinaires qui ont une autre culture, une autre façon de faire à manger et qui œuvrent beaucoup pour l'alimentation pour les futures générations dans leur propre pays.

Enfin, à la fin du festival, comme on prône l'anti gaspi, les personnes peuvent venir à partir de 19h pour la grande criée du marché où l'on vend les produits donnés par les partenaires, par lots. Les gens s'amusent et surtout, on écoule notre marchandise sans gaspillage.

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