: Entretien "Micromania a subi tous les impacts de la crise" : pourquoi l'enseigne française de jeux vidéo est menacée après l'annonce de sa mise en vente
La maison mère américaine GameStop cherche un repreneur pour les boutiques Micromania en France. L'enseigne française subit une double concurrence des grandes surfaces et de l'explosion des achats dématérialisés, selon Olivier Bénis, journaliste spécialiste des jeux vidéo à France Inter.
Est-ce bientôt la fin des magasins de jeux vidéo Micromania ? GameStop, le propriétaire américain de l'enseigne française, a annoncé mardi 18 février chercher un repreneur. Plus de 300 boutiques et 1 200 emplois sont menacés. GameStop avait racheté Micromania en 2008, à une époque où la concurrence était bien différente et où les achats physiques étaient encore la norme. "Le jeu vidéo ne s'est jamais aussi bien vendu, en revanche il ne se vend quasiment que sur internet", constate Olivier Bénis, journaliste spécialiste des jeux vidéo à France Inter, joint par franceinfo.
Franceinfo : Comment expliquer cette revente ?
Olivier Bénis : Le marché du jeu vidéo a énormément changé depuis 2008, il est maintenant presque entièrement dématérialisé. À une époque, on achetait des jeux vidéo PC dans des magasins, avec des boîtes physiques. L'arrivée de la plateforme Steam a totalement cassé le marché en proposant des jeux dématérialisés, souvent moins chers, avec des promotions très fréquentes, parfois jusqu'à 80, 90% de réduction, ce qui est énorme pour du jeu vidéo qui se vend à 50, 60, voire 80 euros aujourd'hui. Le "dématérialisé" a commencé à se tailler une grande part du marché et les jeux PC en boîte ont peu à peu disparu des étals.
Un phénomène amplifié par le monde des consoles ?
Ils ont regardé ça avec intérêt et se sont demandé si ça valait le coup en disant : 'Nous, on a quand même des joueurs qui sont attachés au côté matériel parce que les acheteurs aiment bien avoir un objet à la maison, la boîte de jeu, une jolie jaquette, un manuel à l'intérieur, et ils aiment pouvoir revendre le jeu à un moment s'ils en ont marre'. Petit à petit, les fabricants de console ont mis un pied dedans. Xbox et Microsoft sont allés plus loin en proposant le Game Pass, un système d'abonnement à la Netflix des jeux à la demande, uniquement en téléchargement.
"Plusieurs centaines de titres en téléchargement illimité sont proposés pour une somme par mois négligeable sur le papier par rapport à ce que coûte l'achat d'un nouveau jeu tous les mois."
Olivier Bénis, journaliste spécialiste des jeux vidéosà franceinfo
Les boutiques dématérialisées se sont aussi beaucoup développées, Nintendo s'y est mis, avec des promotions, y compris sur les nouveautés, tout comme Sony et Microsoft. Les gens qui venaient acheter les boîtes de jeux ont fini par perdre de vue l'intérêt de le faire et c'est redevenu un peu un truc de collectionneur.
Est-ce que c'est donc aussi dû à de nouveaux usages ?
Il y a aussi eu un changement culturel dans les années 2000. Les mentalités ont évolué et les joueurs se sont dit : 'si le jeu est dématérialisé, c'est pas très grave, je l'ai peut-être payé moins cher, je peux le télécharger quand je veux'. Les connexions internet aussi ont évolué, on peut télécharger maintenant très rapidement quand on a une très bonne connexion. Les gens se sont dit que c'était comme s'ils possédaient vraiment le jeu, même si ce n'est pas vraiment le cas.
Qu'est-ce que ça dit du marché des boutiques ?
Il a subi beaucoup de choses ces dix ou vingt dernières années. Il y a une première grosse vague de fermetures et de grosses crises des magasins de jeux vidéo en 2012-2013. Les dernières chaînes qui existaient, comme Game, ont toutes plus ou moins coulé car il devenait compliqué de survivre dans ce milieu très concurrentiel. Beaucoup ont été rachetées par Micromania, ce qui fait que l'enseigne, en 2013-2014, s'est retrouvée en situation de quasi-monopole, ce qui est encore le cas aujourd'hui. Et donc elle se retrouve en première ligne, elle a subi tous les impacts de la crise. Pour s'adapter, l'enseigne a fusionné avec Zing, et Micromania-Zing vend du jeu vidéo et des produits dérivés autour de la pop culture. Ça n'a pas suffi, la maison mère GameStop trouve que ce n'est pas assez rentable. Et le seul concurrent qui pourrait rivaliser, c'est Gamecash, qui a seulement 60 magasins en France et en Belgique.
C'est aussi lié à une crise plus profonde dans le secteur du jeu vidéo ?
La crise a commencé avec le Covid, qui a été une bénédiction pour l'industrie, les ventes ont explosé sur les jeux vidéo dématérialisés, parce que les gens ne pouvaient plus sortir de chez eux. En parallèle, ce qui est assez étonnant, c'est que le jeu vidéo n'a jamais rapporté autant d'argent en France qu'actuellement. Selon les dernières données (2023) du Sell, le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, le chiffre d'affaires atteint 6 milliards d'euros, c'est du jamais vu. Le jeu vidéo ne s'est jamais aussi bien vendu, en revanche il ne se vend quasiment que sur internet.
Est-ce que c'est la fin de ce genre de boutique traditionnelle ?
Il y aura toujours des boutiques de jeux vidéo, il y a notamment plein de boutiques indépendantes dans les moyennes et grandes villes, où on peut acheter de l'occasion. Elles sont de plus en plus axées "retrogaming". Si GameStop ne trouve pas de repreneur, toutes les boutiques mettent la clé sous la porte. Mais il n'est pas totalement impossible qu'il trouve.
"En 2013, quand l'enseigne Game avait fermé, il y avait plusieurs repreneurs, dont Micromania – qui a récupéré la plupart des boutiques – mais aussi Illiad, l'entreprise de Xavier Niel, qui était très intéressée."
Olivier Bénis, journaliste spécialiste des jeux vidéoà franceinfo
À voir si, douze ans plus tard, c'est toujours le cas, parce que le secteur a sacrément changé et ce n'est peut-être plus vraiment un bon investissement. Auquel cas, ça ne se fera pas sans casse. Un autre problème, c'est que les grandes surfaces vendent aussi des jeux vidéo, elles ont des espaces culturels, des rayons dédiés et vendent souvent les mêmes jeux que Micromania, mais moins cher, y compris sur les nouveautés. Les hypermarchés ont aussi pas mal cassé le marché.
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