Avec "La Fille aux yeux d'or", Fabrice Jambois signe un oppressant thriller à l'écriture saccadée.

Une enquête sur le fil du rasoir, entre terreur et réalisme, dans un Paris contemporain abritant une galerie de personnages tous plus inquiétants les uns que les autres.

Article rédigé par Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Portrait du romancier Fabrice Jambois, le 17 mars 2022. (PHILIPPE MATSAS / LES ARENES)
Portrait du romancier Fabrice Jambois, le 17 mars 2022. (PHILIPPE MATSAS / LES ARENES)

"Le héros est celui qui, dans les circonstances dangereuses, survit toujours en tuant" : l'épitaphe d'Elias Canetti donne le ton. Tué ou être tué, c'est l'unique choix qui s'offre aux personnages de La Fille aux yeux d'or, deuxième roman de Fabrice Jambois, à paraître le 8 mai 2025, aux éditions La manufacture des livres.

Margot, le personnage principal, est enfermée depuis trois ans dans une cave par un ravisseur qui la laisse sauve si elle lui lit tous les jours du Balzac. La littérature ou la vie, en quelque sorte : Margot devient Pénélope et Shéhérazade tout à la fois, elle attend patiemment son heure face à son bourreau.

Mais son bourreau, lui, a aussi une vie normale : une famille, un fils adolescent qui lui demande le dernier iPhone à la mode. En allant l'acheter à l'Apple Store de l'Opéra à Paris, le ravisseur de Margot va se retrouver au beau milieu d'un attentat perpétré par des écologistes radicaux. Sanglant pour sanglant, cet ancien militaire va agir en pleine attaque face aux terroristes, et passer aux yeux des médias du monde entier pour un héros.

Héros, bourreau : peut-on être les deux en même temps ?

Qui sont les héros ? Peuvent-ils être des bourreaux en même temps ou successivement ? C'est autour de cette question lancinante que l'intrigue du roman est lancée, et va tenir le lecteur en haleine pendant plus de 400 pages. Fabrice Jambois explore inexorablement le mal sous toutes ses coutures dans cet ouvrage à la profonde noirceur où se brisent des destins cachés jusque-là derrière des façades de normalité en carton-pâte.

L'auteur, professeur de philosophie et spécialiste de l'œuvre de Gilles Deleuze, publie ici son deuxième roman, après le magnifique Mycélium, qui racontait une fulgurante épidémie dans un Paris ressemblant fortement au Paris actuel. D'une écriture sèche, saccadée, hyperréaliste et obsessionnelle, crue à la limite de la scatologie, La Fille aux yeux d'or examine des thématiques très actuelles : la crise écologique, les féminicides, les réseaux qui alimentent l'industrie pornographique ou les nouvelles technologies. Un roman ancré dans la réalité brute, qui plonge dans ses recoins les plus effrayants, examinés sans concession, sans fard et surtout, sans aucun ménagement pour le lecteur. On en ressort secoué.

Couverture de "La Fille aux yeux d'or" de Fabrice Jambois. (LA MANUFACTURE DES LIVRES)
Couverture de "La Fille aux yeux d'or" de Fabrice Jambois. (LA MANUFACTURE DES LIVRES)

"La Fille aux yeux d'or" de Fabrice Jambois, paru le 8 mai 2025 aux éditions La manufacture des livres, 454 pages, 21,90 euros

Extrait : "Dans Balzac, Margot a trouvé son salut : son cachot est devenu un univers quand, pour beaucoup, l'univers n'est qu'un cachot.
Margot est un "chef-d'œuvre de la nature". Exceptionnelle, sublime, unique. Et elle lui appartient. Elle est son jardin secret, une source intarissable d'éblouissements. Un émerveillement qui transfigure le quotidien et compense largement les contraintes d'ordre logistique qu'implique son séjour dans la cellule. Si le plaisir de certains hommes consiste à détenir illégalement des animaux achetés au marché noir, Henri est allé beaucoup plus loin ; il a compris, comme Balzac, que "l'amour est essentiellement voleur", et a conquis la liberté ultime, qui est de posséder une autre liberté. Il a eu la force de vivre ce dont les autres n'osent même pas rêver, il s'est approprié la femme dont la beauté l'a le plus ému, autant dire la vérité dans une âme et dans un corps. Une expérience bouleversante qui le place au-dessus des autres ou à côté, et qui le confirme dans sa certitude d'être, lui aussi, un individu d'exception. Parfois, Henri a même le sentiment de toucher du doigt la condition des dieux, il s'est plus d'une fois rêvé en Hadès enlevant Perséphone. Dans l'espace où il l'héberge, il exerce sur son invitée un pouvoir sans limites. Il a ainsi eu la fantaisie de modifier son rythme circadien en créant un cycle artificiel de lumière et d'obscurité de 23 heures, ou moins, comme on fait avec les poules pour les amener à produire davantage d'œufs dans les élevages en batterie."

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