"Comme en amour" d’Alice Ferney : un roman subtil sur les pièges d’une amitié fusionnelle
Dans son nouveau livre, la romancière retrouve son terrain de prédilection – les sentiments – pour s’emparer de la délicate question de l’amitié entre homme et femme dans un exercice de style d’une grande finesse.
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"En amitié comme en amour, on se perçoit on se respire, on se parle si on se plaît, on se livre on se raconte, sans prendre garde à ce qui naît." Vingt-cinq ans après La conversation amoureuse, Alice Ferney file la métaphore des sentiments dans son nouveau roman Comme en amour (Actes Sud), en librairie le 20 août, et délivre une réflexion brillante sur les aspects vertigineux de l’amitié quand elle tombe dans les travers amoureux.
Styliste renommée, épouse et mère de famille en apparence comblée, Marianne rencontre Cyril lors d’une interview commandée par un grand magazine. Séduisant journaliste, le jeune quadra la ravit instantanément par son humour et son regard légèrement désabusé sur la vie. Entre ces deux-là, la complicité est immédiate et le rapport de séduction initial s’estompe vite pour laisser place à un lien particulier, nouant leurs existences au gré de conversations quotidiennes et d’une entente dont l’équilibre sera remis en question par l’arrivée de Julia, la nouvelle compagne de Cyril.
Un sentiment aux frontières élastiques
Dans ce récit construit en courts chapitres, presque entièrement dialogués, qui suit l’itinéraire de l’amitié entre Marianne et Cyril de sa naissance à sa fin, Alice Ferney décortique les ressorts de ce sentiment singulier entre un homme et une femme, aux frontières parfois élastiques, et qui peut s’avérer aussi destructeur que la passion.
Il y a dans sa démarche quelque chose de similaire – et pas seulement dans la forme - à ce qu’avait décrit Philip Roth dans Tromperie (paru en 1994 chez Gallimard). L’écrivain américain mettait en scène les conversations de son double avec ses conquêtes féminines pour établir, comme il le disait lui-même, "tout ce qui rend adultérin l’adultère" à travers les discussions, la dissimulation, les récriminations contre le partenaire. Ici, le parallèle est tentant puisqu’Alice Ferney suit le même procédé, saisissant par le biais des échanges entre les deux amis tout ce qui compose "la matière de l’affinité", pour en sonder les ravissements et les failles.
Dans les premiers temps, cette connivence apparait comme une épiphanie amoureuse, apportant "un optimisme généreux" dans des vies marquées par une certaine solitude. "La discussion quotidienne nouait une affection et une familiarité. Chacun devint pour l’autre une habitude, un besoin, la source d’une complicité que l’on attend de plus en plus à force de la trouver. (...) Était-il désormais son grand ami ? Celui à qui on peut tout dire et tout demander."
Mécanique cruelle
Cyril devient en effet le confident de Marianne, à l’écoute attentive, infiniment patient. Quand le couple de Marianne se désintègre pour des raisons anciennes, il est celui qui console, rassure, encourage. Quelqu’un qui a "ce don d’alléger l’existence". Pour ce dilettante épris de liberté, vivant à la lisière d’une marginalité mondaine, Marianne incarne un refuge, la famille qu’il s’est choisie. Pourtant, quand Cyril tombe amoureux de Julia, le bel attelage se met à tanguer. Julia veut un enfant. Cyril n’en veut pas. Et Marianne va s’en mêler. A partir de là, insensiblement, l’amitié entre Cyril et Marianne se fissure sur l’autel des meilleures intentions du monde. Ferney déroule une mécanique cruelle dans laquelle manipulations et petites trahisons rongent peu à peu la loyauté de Marianne au profit d’une fidélité à ses propres convictions.
Et l’une des grandes forces du récit, c’est de démontrer à quel point les mots jouent un rôle capital dans la déliquescence du lien amical, peut-être même davantage qu’en amour. Ces paroles que l’on prononce alors qu’on devrait les taire. Autrefois ciment de la relation, le dialogue se transforme en instrument de domination.
Dans cette affaire, chacun a ses bonnes raisons, et il est très compliqué de prendre parti. Tour à tour, l’un devient l’aiguillon de l’autre, rebattant les cartes d’une situation qui évolue inexorablement vers la rupture.
Apparait alors en filigrane l’idée que si l’amitié ne peut être d’un bloc, elle possède néanmoins ses lois. "L’amitié fait moins de concessions que l’amour, elle n’a pas à accepter la trahison, la manipulation, elle est plus libre." Et demeure l’impression qu’il faudrait savoir s’empêcher, conserver une certaine distance et accepter l’altérité dans ce qu’elle a par moments de plus dérangeant. Plus encore qu’en amour.
"Comme en amour" d’Alice Ferney, éditions Actes Sud, 287 pages, 22 euros.
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Extrait :
"D’où vient le goût pour l’autre quand on ne le connaît pas ? D’un attrait qu’il exerce, une sorte de charme immédiat, diffus ou plus précis, presque toujours corporel (l’esprit lui-même habite le corps). En amitié aussi, l’intérêt sensuel joue un rôle, mais il reste latent, inavoué, et lorsque la réciprocité manque, se convertit en béguin secret. La camaraderie retient l’aveu que réclamerait l’amour. Il y a moins de symétrie entre les amis qu’entre les amants, moins d’expression aussi. En silence, camouflée, une invisible composante amoureuse peut persévérer dans l’amitié, l’inverse est plus rare : aucun amant n’aimerait être un ami, mais l’ami qui désire et se réfrène aimerait bien devenir un amant. Ami ou amant, il n’était encore ni l’un ni l’autre." (p.25)
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