"Nous les moches" : un road-trip emballant de Jean Michelin sur les ratés du rêve américain
Dans son second roman, cet officier nous emmène sur les traces de quatre rockers, fans de thrash metal, dans une surprenante traversée des Etats-Unis. Un livre coup-de-poing sur les déclassés au pays de Donald Trump, doublé d'un roman touchant sur l'amitié et les rêves inassouvis.
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Suivez le guide ! Jean Michelin nous entraîne dans l'Amérique du vide. Celle "des patelins morts de chez mort, des atmosphères de bout du monde" et "des baraques en ruine". Auteur remarqué de Ceux qui restent en 2022, ce colonel de l'armée de terre, né en 1981, a servi durant trois ans aux Etats-Unis. Il a suivi une formation dans une école de guerre de l'US Army dans le Kansas avant de rejoindre le commandement allié pour la transformation de l’Otan, à Norfolk, en Virginie. C’est dans cette ville de la côte est, dans un quartier "planqué derrière la longue ligne de centres commerciaux, de stations-service et de mauvais restaurants" qu’il campe le décor et les personnages de son nouveau roman, paru le 21 août aux Editions Héloïse d'Ormesson.
D'une écriture fluide, très cinématographique, l'auteur imagine la reconstruction bancale d'un groupe de thrash metal, 25 ans après sa formation, à l'âge du lycée et des premières amours. Jean Michelin, passionné de musique et joueur de basse, a le talent d'écrire comme on parle. On jurerait entendre la voix du narrateur, le discret bassiste du groupe, quand il explique : "On a fait du thrash metal mais on aurait pu dire du death metal, du grindcore, du black, du power metal, on s'en fout, on était juste furieux. On voulait du sang sur la scène, on voulait qu'on nous remarque". À qui raconte-t-il toute l'histoire de la création et de la reformation du groupe ? Il faudra faire la route pour le savoir.
L'Amérique des "losers"
La bande-son du livre convoque Metallica, Annihilator, Korn ou encore AC/DC mais son propos rappelle aussi les textes de Bruce Springsteen, et avant lui de Bob Dylan, sur l'Amérique des déclassés et des travailleurs pauvres. Le hard-rock n'est pas le sujet, juste un prisme pour éclairer la colère des "losers". Le cœur du roman bat ailleurs, dans le portrait plutôt tendre de ces rockers désabusés, revenus de tout et surtout de nulle part. Des désenchantés du rêve américain ayant compris assez tôt que pour eux, les portes de la gloire ne s'ouvriraient jamais.
Dès la première page, dans un long inventaire qui n'est pas sans rappeler le manifeste de Virginie Despentes dans King Kong Théorie, Jean Michelin balance qui sont « les moches, les morveux, les fils de presque pauvres » qu'il a choisis pour héros. Il ne parle jamais de Donald Trump, conscient que les phénomènes sociologiques qu'il décrit courent sur des temps longs. L'élection puis la réélection de l'actuel Président ne seraient que les symptômes de fractures déjà consolidées.
La photo de couverture du livre interpelle au moins autant que le titre. Un adolescent vêtu d’un bonnet, une tête de mort tatouée dans le cou et un fil barbelé au-dessus du sourcil, nous fixe d'un regard magnétique, vaguement inquiétant. Nul doute que ce "bad boy" fera son effet sur les étals des libraires.
La tournée des bleds paumés
S'il n'est pas autobiographique, ce roman aux allures de road-trip sonne juste. On le devine enrichi d'expériences personnelles vécues par l'auteur pendant son séjour aux Etats-Unis. Notamment lorsque Jean Michelin décrit des frontières non écrites, érigées à l'intérieur même du pays et entre certains quartiers. Dans une ville, à chaque carrefour, on peut changer radicalement de populations et d'univers.
Le groupe formé de trois amis d'enfance engage un nouveau guitariste, plus virtuose et plus jeune. Ils finissent par prendre la route dans un van, comme ils l'avaient rêvé. Direction : l'ouest mythique. "Dans ce pays on part vers l'ouest, c'est tout, c'est l'ordre naturel des choses" explique le narrateur.
Pour accompagner l'un d'eux, gravement malade, ils entament une tournée dans des petits bleds paumés où les musiciens vont rarement. Quittant l'autoroute, ils échouent dans d'improbables patelins et jouent dans des bars miteux, sur des scènes minuscules, devant de rares et parfois étranges spectateurs. Une autre Amérique, d'un vide sidéral, dont ils ne soupçonnaient pas l'existence, se dévoile.
Inutile d'être un "metalleux" ou même un grand amateur de musique pour apprécier le voyage, bien que certaines références et explications techniques sur le matériel nous échappent parfois. Ce roman, écrit dans une veine naturaliste, dit la force des rencontres et des liens créés à l'adolescence, les désillusions, les rêves brisés. Ses dialogues, teintés d'humour ou d'une lumineuse tristesse, en font un vrai "tourne-pages" que l'on a du mal à lâcher.
"Nous les moches", Jean Michelin, 256 pages, 20 euros, parution le 21 août 2025
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Extrait : "Chacun à notre façon, on avait de bonnes raisons de tout plaquer et d'avoir envie de prendre la route. Ça t'es jamais arrivé ? C'est parce que tu vis sur la côte ouest mon gars. T'es déjà au bout de la route, me regardes pas comme ça, dans ce pays on part vers l'ouest, c'est tout, c'est l'ordre naturel des choses. L'est, c'est le vieux monde, l'Europe vieillotte, les anciennes rancœurs, personne refait sa vie en partant à Boston ou à Philadelphie. Tout ce putain de pays est une histoire de réinvention à sens unique. Moi, j'ai toujours été cramponné à la côte Atlantique et j'ai toujours senti l'appel des grandes plaines. Je crois que ce qui me plaisait le plus quand on jouait au lycée et qu'on pensait y parvenir, c'était pas tant les concerts que l'idée de faire la route. Je voulais dormir sur des aires de repos dans le Nebraska, je voulais voir pousser les Rocheuses au fond de la plaine, je voulais me dire qu'après le col on verrait peut-être naître le Pacifique. Je plains ceux qui sont nés ici ou en Californie et qui ne connaîtront jamais l'appel de la route. Le seul moyen de fuir, ici, c'est vers l'ouest. Dans l'autre sens, c'est la route de la défaite, de l'abandon, du renoncement. C'est rentrer chez ses vieux, retrouver son patron, revenir dans le rang après avoir échoué."
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