"Un frère" : David Thomas illumine la mémoire de son frère aîné schizophrène dans un récit intime déchirant de beauté
Dans son nouveau livre, l’écrivain prix Goncourt de la nouvelle en 2023 pour son recueil de microfictions "Partout les autres", renoue les fils de la relation à son frère que la maladie avait éloigné de lui, à travers une succession d’instantanés de leurs vies. Eblouissant.
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Jusqu’ici, David Thomas s’était toujours refusé à l’autofiction parce qu’il lui semblait délicat de raconter la vie des autres en racontant la sienne. Dans Un frère qui parait le 22 août aux éditions de l’Olivier, il franchit le pas avec un texte qu’il porte en lui depuis 20 ans. Le récit intime de la vie d’Edouard, son frère atteint de schizophrénie, de sa mort brutale jusqu’aux années de jeunesse. Une façon pour lui de reconstituer le lien primitif et "de transformer une peine en présence".
Sur la photo en noir et blanc qui illustre la couverture du livre, Edouard sourit. Silhouette gracile, il marche sur une plage, le regard baissé, les mains le long du corps. Il ne doit pas avoir plus de vingt ans. Rien n’indique encore sur l’image les tourments que la schizophrénie viendra quelques années plus tard imprimer sur le jeune homme. Une maladie jouant petit à petit les trouble-fête, confisquant ses rêves, abolissant son autonomie. David Thomas débute son récit par la fin d’Edouard. Ce jour terrible où sans nouvelle de lui depuis trois jours, il est allé taper à sa porte, découvrant son frère étendu dans sa chambre, sans vie. Trois ans après sa mort, il retrace comment le besoin de s’atteler à cette histoire s’est imposé à lui. Expliquer qui était son frère, quels étaient leurs liens, son infatigable combat contre "ce tyran" intérieur et les conséquences sur leur famille.
Des images qui impriment la rétine
Mais l’exercice est douloureux, le travail d’écriture plus lent que d’habitude, impliquant une mise à nue totalement inédite. "En parlant de ce qui aura été le gouffre de ma vie, j’ai le sentiment de me montrer plus totalement. (...) Parce que le sujet de mon livre est mon frère, je tremble de le rater." Par quoi commencer ? Décrire les multiples facettes d’une pathologie hors de contrôle les dernières années. Edouard si fragile, prisonnier d’addictions multiples, en proie à une violence et une agressivité irrépressible.
Le romancier procède comme dans ses micronouvelles - récompensées en 2023 par le Goncourt de la nouvelle - par instantanés, d’une pointe sèche. Des scènes marquantes, des images qui impriment la rétine pour exprimer les manifestations de la folie. Telle la description cataclysmique de son appartement parfois submergé de crasse. "Ce n’est pas l’appartement de mon frère qui est sale, c’est sa maladie qui est dégueulasse. Parce qu’elle fait renoncer à ce qui, à nous gens normaux, apparaît comme essentiel."
Moments suspendus de l’enfance
Dans un exercice d’une émouvante sincérité, il reconnaît également la lassitude, les impasses de la psychiatrie et le découragement lorsque les crises succèdent aux répits qu’on pensait durables. "D’un coup, sans l’avoir vu venir, schlack, on est retenu par la laisse, elle nous étrangle pile au moment où on l’avait oubliée, elle nous empêche d’aller trop loin dans la gaieté, elle nous retient de ne pas aller trop loin dans le bonheur." Pourtant des moments suspendus, il y en a eu des dizaines. Quand ensemble ils galopaient dans les collines, au temps de l’adolescence. "Ces lieux où il ne faut jamais revenir pour ne pas les dégrader, pour les laisser simplement abreuver nos vies."
Et ce qui fait de ce livre autre chose qu’un témoignage de plus ou un récit de deuil, c’est la réflexion menée en parallèle par l’écrivain, ses tentatives inspirées pour s’approcher au plus près de la perception du monde d’Edouard. Le récit tutoie alors les cimes. David Thomas trouvant auprès de ses maîtres en littérature - les poètes russes – le fil pour pénétrer le labyrinthe. Ainsi ce vers de Mandelstam qui concentre tout le paradoxe de la vie de son frère : "Ce n’est pas vivre et c’est quand même vivre", lui restituant son humanité. "Et je le vois non pas comme un poète (puisqu’il n’écrivait pas), mais comme un poème. Il est une autre réalité du réel."
"Un frère" de David Thomas, éditions de l’Olivier, 141 pages, 19,50 euros.
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Extrait : "Tous ceux qui ont été témoins de ce que j’ai vécu avec la maladie de mon frère, et surtout dans la dernière décennie, ont évoqué devant moi, frontalement ou avec subtilité, le soulagement que pourrait provoquer sa mort. Les dernières années étaient si dures que la seule solution qui apparaissait pour mettre un terme au calvaire était sa fin. On pourrait imaginer, donc, que sa mort fut pour moi un soulagement. Etonnamment il n’en fut rien. Sa disparition provoqua au contraire chez moi de la tristesse, bien sûr, mais de la colère aussi. Car ce qu’il y a d’insupportable dans la mort de mon frère, ce n’était pas sa mort, c’était sa vie." (p.28)
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