"Zem" : après "Chien 51", Laurent Gaudé rallume la lumière dans le deuxième volet d'une dystopie qui dit le monde d'aujourd'hui
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La solitude, l'exil, la violence, mais aussi cette fois l'espoir, sont au programme de "Zem", le deuxième volet de ce diptyque dans lequel Laurent Gaudé marie avec habileté les ingrédients du polar et de la science-fiction, pour mieux nous faire entendre un message d'alerte sur notre présent.
Malheureux qui, comme Sparak, a fait un horrible voyage. Après trente ans d'exil, comme Ulysse en son temps, le héros de cette dystopie racontée par Laurent Gaudé rentre à la maison, sans savoir ce qui l'attend. Zem, deuxième opus du diptyque entamé avec Chien 51 (Actes Sud, 2022), paraît mercredi 20 août aux éditions Actes Sud.
En refermant Chien 51, on avait quitté Zem Sparak, policier de la zone 3 de Magnapole, en route pour son dernier voyage. Il avait décidé d'en finir avec une surdose d'Okios, cette drogue qui lui permettait de retourner en pensée chez lui, à Athènes, son paradis perdu. Trois ans ont passé depuis que Salia, sa partenaire, l'a sauvé de cette overdose.
Ce sauvetage contre sa volonté a eu raison de leur amitié. Chacun est reparti de son côté. Sparak a repris le fil de sa "triste vie". Il a quitté la police pour devenir le garde du corps de Barsok, l'homme politique ambitieux au service de GoldTex, la multinationale qui dirige le pays. Des "Grands travaux" et de grands projets sont à l'œuvre. "Ça va être énorme", assure Barsok.
Salia, toujours dans les rangs de la police, tente de digérer le traumatisme qu'elle a subi trois ans plus tôt. Alors que se prépare la fête qui doit célébrer la fin des Grands travaux, un événement dramatique vient réunir ces deux âmes fracassées. Cette enquête les conduit aux portes d'un enfer, imaginé par GoldTex pour combler les besoins en énergie de Magnapole, pendant les décennies à venir. Cette nouvelle aventure ramènera aussi Sparak chez lui, en Grèce, quittée il y a trente ans après avoir trahi la cause et ses frères d'armes.
"Renommer le monde ?"
Pouvoir aux mains de multinationales sans scrupules, exploitation des plus faibles au profit des pays riches, intelligence artificielle, hausse des températures, pollution, dôme climatique, ensemencement des nuages, chasse aux icebergs… Cette société du futur qu'imagine Laurent Gaudé dans le deuxième volet de sa dystopie ressemble à s'y méprendre à une version peaufinée de notre monde contemporain.
À travers cette dystopie, ce sont bien les dérives des sociétés occidentales que Laurent Gaudé nous donne à lire. "Zem ne fait que tout réunir, tout concentrer pour nous tendre un miroir déformant et – je l'espère – nous alerter", souligne cet écrivain, poète, dramaturge qui ne cesse de se réinventer en expérimentant diverses formes de littérature pour éclairer notre présent.
Du présent ou du passé, Laurent Gaudé s'en est souvent emparé pour nourrir son œuvre. En 2006, dans Eldorado, il se penche sur le sort des migrants. Danser les ombres, son hommage lyrique à la terre d'Haïti, est publié cinq ans après le séisme qui avait frappé le pays en 2010. Nous l'Europe, banquet des peuples, est un cri d'alarme publié en 2019, à la veille des élections européennes emportées en France par le RN. Son œuvre théâtrale est, elle aussi, traversée par l'actualité, comme récemment Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé, donné en 2024 au théâtre de la Coline, à Paris, un texte qui redonne la parole aux victimes des attentats du 13 novembre.
Tandis que Chien 51, dont l'adaptation au cinéma par Cédric Jimenez sortira le 15 octobre, décrivait un monde sombre et sans espoir, Zem ouvre ici une brèche vers une lumière possible. Une résistance, une opportunité de retour à la raison, après que la folie s'est emparée des humains. Zem se "débarrasse de la honte", retrouve sa terre, son histoire (qui se confond, au pied de Delphes, à celle d'une humanité civilisée), son désir de résistance, et peut-être, même, son nom. Faut-il "renommer le monde ? Reprendre les vieux noms", faut-il "tout effacer ?", s’interroge Laurent Gaudé par la voix de son héros.
On se questionne avec lui sur l'opportunité de réinventer le monde, et l'on en vient à souhaiter, en refermant ce livre, que ce diptyque se transforme en triptyque afin de nous donner la chance de voir éclore les graines d'espoir semées à la fin de Zem.
"Zem" de Laurent Gaudé, éditions Actes Sud, 288 pages, 22 euros
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Extrait : "Dire à ces pentes, ces roches, ce silence caressé par le vent, que Magnapole ne l'a pas terrassé, que d'autres comme lui reviendront bientôt, qu'un combat commence, trente ans plus tard, qu'ils ne le gagneront peut-être pas, pas tout de suite, mais qu'au moins, ils ne cèdent pas le monde à la grande bouche du malheur. Zem regarde la vallée en contrebas. Un vent doux la parcourt. À ses pieds, de gauche à droite, jusqu'à la mer, s'étend un océan d'oliviers comme une coulée verte. Elle frémit avec la même grâce depuis des siècles. Les noms de GoldTex ou de Magnapole ne signifient rien ici. La montagne entend peut-être le bruit des hommes, leurs cris, leurs luttes, mais elle sait qu'ils ne sont pas à son échelle, qu'elle survivra à leur agitation. "Je suis de retour", murmure Zem. Il ferme les yeux puis les rouvre. Il sait que Delphes le sent. Le mystère l'entoure. C'est beau. Rien n'a été sali. Rien n'a été creusé, foré, aménagé, parce qu'il n'y a rien ici, que l'esprit. Et de cela, ils ne savent que faire." (page 263)
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