"Les Indulgences" de la romancière suisse Pascale Kramer : anatomie d’une transgression
Pascale Kramer fait son grand retour avec "Les Indulgences". Une éblouissante saga familiale qui raconte les répercussions d’une passion interdite sur trois générations de femmes. Un livre corrosif où nul n’échappe à ses responsabilités.
À l’heure où la parole libérée de certaines femmes emporte avec elle les derniers lambeaux d’impunité de grands prédateurs, si flamboyants furent-ils, le treizième roman de Pascale Kramer, Les Indulgences, qui vient de paraître aux éditions Flammarion, tombe à pic.
L’histoire : Fin des années 1970, au sein de la grande bourgeoisie suisse des bords du Léman, Clémence, 13 ans, est obsédée par Vincent, son oncle. Quadragénaire solaire, brillant marchand d’art, séducteur compulsif, tout réussit à ce fils préféré dont les manières tranchent dans cette famille empesée par des drames récents. Cinq ans plus tard, Clémence devient brièvement la maîtresse de Vincent. Elle a 18 ans, lui 46. Cette aventure serait restée secrète si Anne-Lise, l’épouse, décidée à divorcer, n’avait pas fini par révéler l’affaire au reste de la famille. Un séisme pour tous les membres du clan, et surtout pour Clémence vers qui les reproches vont converger.
Les excès d’une époque
Construite en cinq chapitres balayant quatre décennies (1977-2016), l’histoire de cette passion interdite nous est contée à travers les points de vue successifs des femmes de la famille. Mère, fille, tantes, grand-mère, chacune d’elles égrène sa version des faits à travers les époques, croisant les attentes et les déceptions. Les emballements et les aveuglements aussi. Ce dispositif permet de comprendre peu à peu les ressorts de l’impunité dont jouit Vincent dans sa famille à une période où l’on considérait ses infidélités incessantes comme faisant partie de "son bon plaisir".
Cet élargissement de focale agit comme un révélateur redoutable des insouciances et des excès d’une époque. S’il paraît évident aujourd’hui que Vincent aurait dû s’empêcher face aux assauts enflammés de cette nièce en manque d’amour, pourquoi personne à l’époque parmi les proches ne s’est interposé ? Chacun a ses raisons, ses lâchetés, et ses intérêts bien compris. Pascale Kramer ne juge pas, mais les torts sont partagés, clairement. C’est dit sans appuyer, dans une langue d’une extrême sensibilité, marque de fabrique de l’autrice, entomologiste hors pair des ambivalences de l’âme.
Personnages complexes
Mais la grande audace du livre réside sans doute dans la complexité des deux personnages principaux, Clémence et Vincent. Clémence apparaît bien comme une jeune femme singulière, éprise de liberté et de sensations fortes. Le contraire d’une victime. Et s’il est pourtant question d’emprise par moments, elle vit une authentique passion pour cet oncle, qui va la structurer et la délivrer d’un quotidien étouffant entre un père mutique et une mère accaparée par une grave maladie. "Il aurait sans doute fallu dire qu’elle regrettait cette histoire, mais c’était si peu le cas. La vérité, la vérité la plus scandaleuse pour un homme comme son père, c’est que ça l’avait plutôt affirmée, renforcée, et qu’elle n’avait cherché longtemps qu’à revivre quelque chose d’aussi fort, interdit, et d’une certaine manière valorisant." Quant à Vincent, si son rapport aux femmes reste figé dans une attitude pathétique au fil des décennies, son personnage n’en reste pas moins un extraordinaire père avec sa fille pourtant bien consciente de ses démons, et contre toute attente un mari présent jusqu’au bout. Autant de nuances qui constituent la richesse du livre et sa dimension la plus transgressive.
"Les Indulgences" de Pascale Kramer, Flammarion, 246 pages, 20 euros.
Extrait : "Mais quel âge as-tu ? C’était dit dans un souffle. Clémence répondit qu’elle allait avoir treize ans. Treize ans, répéta Vincent en levant vers elle un sourire d’heureuse tendresse. Je compte sur toi pour veiller à ce que ces brigands n’aillent pas embêter Anne-Lise. Puis l’index qu’il pointait vers la porte la désigna un instant, avant de se poser sur son poignet dont il parcourut la dépression tendre au creux de l’articulation. Clémence restait sans bouger. La surprise de ce bref contact diffusait violemment en elle." ("Les Indulgences", page 16)
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