Interview "Objet utilitaire, symbolique et esthétique, le sac a traversé les siècles, reflété les rites et coutumes d’une société " : Sylvie Marot, commissaire de l'exposition "Sac, sac, sac"

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 13min
L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris. (ROMAIN RICARD)
L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris. (ROMAIN RICARD)

Le Printemps Hausmann met en lumière une pièce essentielle du vestiaire : le sac. Pochette mini ou maxi, cabas XXL, baguette, bowling, multipoches, vintage, minimaliste, ultra-accessoirisé, frangé, imprimé ou géométrique, il se porte à la main, au bras, à l’épaule, sur le dos ou très tendance en cross body.

Objet utilitaire, symbolique et esthétique, le sac a traversé les siècles et triomphé d’autres accessoires - éventails, manchons, ombrelles, gants et chapeaux... Autrefois invisibilisé, caché dans les braguettes de la Renaissance et les jupons du XVIIIe siècle, il est aujourd’hui un It bag surmédiatisé. Prisé pour sa valeur marchande, artefact des plus contrefaits, c'est un pilier de l’industrie de la mode. Reflet de notre culture et de notre identité, il oscille entre représentation publique et expression de l’intime. Longtemps réservé aux femmes, il milite, aujourd’hui, pour une plus grande inclusivité et fluidité du genre.

Après l'exposition Vestologie en 2024, jusqu'au 26 octobre, le magasin du Printemps Haussmann décrypte cet accessoire à l'occasion de l'exposition Sac, sac, sac. More Than a Bag. Ce partenariat avec l'école Esmod International met aussi en lumière des prototypes des talents de demain et le lauréat du prix Printemps X Esmod 2025. Sylvie Marot, Directrice du pôle Art Culture Héritage Esmod et commissaire de l'exposition, est notre guide dans ce parcours très riche et passionnant !

L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris. (CORINNE JEAMMET)
L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris. (CORINNE JEAMMET)

Franceinfo Culture : c’est une histoire aussi bien sociale, culturelle et technique que propose l'exposition ?
Sylvie Marot : avec Marlène Van de Casteele, la commissaire scientifique et enseignante-chercheuse en post-doctorat à Esmod International, nous avons souhaité une exposition riche. Objet utilitaire, symbolique et esthétique, le sac a traversé les siècles, reflété les rites et coutumes d’une société donnée et triomphé de bien des accessoires comme les éventails, manchons, ombrelles, gants et chapeaux de bienséance... Également prisé pour sa valeur marchande, artefact des plus contrefaits, il s’est imposé comme un pilier de l’industrie de la mode. L’exposition se veut transdisciplinaire, faisant dialoguer architecture, sculpture, arts décoratifs, textile et mode. 

Vous avez réuni des pièces historiques et contemporaines rares. D'où viennent-elles ?
De diverses sources : des archives et départements patrimoniaux des maisons de mode et de maroquinerie, des collections privées, de la collection d’étude d’Esmod - je dirige, par ailleurs, le pôle Art Cuture Héritage de cette école - des archives Printemps mais aussi du musée de la Poste et de l’INPI. Cela forme un corpus d’une grande richesse.

Ce sont près de 200 objets, réunis grâce à 40 prêteurs privés et institutionnels. Les accords de prêts ont été pour certains assez difficiles à obtenir : la coupole Wybo du Printemps de la femme est un lieu majestueux, un véritable écrin pour exposer ces objets mais les conditions de conservation préventives ne sont pas - pour certaines maisons et musées - assez optimales, et nous avons essuyé quelques refus. Ce fut un travail considérable : nous avons lancé des centaines de demandes de prêt et avons dû composer avec les contraintes du lieu, de l’espace et des délais assez justes pour monter une telle exposition.

Parmi ces 200 objets, des aumônières, bourses, escarcelles, châtelaines, réticules, pochettes... des termes dont beaucoup ignorent la signification.
La langue française rend bien compte de cette richesse polysémique du mot : sans se désoler d’une certaine paupérisation du vocabulaire de la mode, une langue est vivante et évolue en fonction des usages. L'exposition apporte quelques éléments différenciant la forme et ses fonctions.

Il réside une poésie dans la simple lecture de ces termes et je vous recommande de lire (ou relire) le magnifique catalogue d’exposition Le Cas du Sac - curaté par Olivier Saillard en 2004 - et réalisé par le musée de la Mode et du Textile et la maison Hermès, qui consigne en fin d’ouvrage un lexique étoffé de tous ces termes. Ce livre-catalogue, sous la direction éditoriale de Farid Chenoune, réunit des textes d’ethnologues, d’historiens, d’écrivains et de critiques ainsi que des récits et témoignages, conférant à l’ouvrage un caractère fondateur.

L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris : la section Vide ton sac. (ROMAIN RICARD)
L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris : la section Vide ton sac. (ROMAIN RICARD)

Côté iconographie, vous proposez des documents juridiques (brevets d’invention, dessins, dépôts de modèles) et des vidéos d'interviews inédites. Comment les avez-vous obtenus ?
Parmi quelques documents inédits, ceux de l’Institut national de la propriété industrielle tiennent une place de choix. Ils sont rarement exposés alors qu’ils sont aisément disponibles. Tous les historiens connaissent ces sources, le grand public moins… L’lNPI, acteur majeur de l’innovation, de l’entrepreneuriat et de la création, conserve l’intégralité des archives historiques relatives aux brevets d’invention, marques, dessins et modèles depuis 1791 ! Ces documents forment une source incontournable pour reconstituer l’histoire d’une entreprise, d’un produit et plus généralement pour éclairer l’histoire économique, sociale et culturelle de la France. Ainsi, les documents exposés offrent un aperçu de l’évolution des sacs à main au fil des deux siècles précédents.

Quant aux interviews, nous avons souhaité recueillir les témoignages de personnes qui œuvrent à la défense du droit de la propriété intellectuelle. La section La Main dans le sac explique combien la contrefaçon envahit notre quotidien et le sac à main figure parmi les cibles privilégiées des contrefacteurs. Nous avons eu la chance de rencontrer trois acteurs aux profils différents et complémentaires - Delphine Sarfati, Directrice Générale de l’Union des Fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle, Géraldine Blanche, avocate spécialisée dans le droit de la propriété intellectuelle, et Jérôme Lalande, expert en Haute Maroquinerie auprès de la Cour d’Appel de Paris - nous pourrions passer des heures à écouter leurs anecdotes !

L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris : la section L'envers d'un sac. (CORINNE JEAMMET)
L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris : la section L'envers d'un sac. (CORINNE JEAMMET)

Quels sont les thèmes abordés dans cet espace de 800 m2 ?
Le parcours thématique n’impose pas un ordre strict de lecture : le visiteur peut explorer l’une, puis l’autre de ses sections qui rayonnent sous la coupole Wybo : le luxe et l’ordinaire, le familier et l’iconique, le fonctionnel et l’exceptionnel. Il y en a pour tous les goûts puisqu’un passionné d’histoire pourra être séduit par les quelques pièces historiques que nous avons réunies, un designer/créateur par les objets insolites de la section Ceci n'est pas un sac qui repousse les limites du design ou par les matériaux tactiles que nous présentons dans la section À fleur de peau (x). Un collectionneur appréciera de revoir certains It-bags iconiques et un amateur écoutera les témoignages de personnes anonymes qui livrent leur personnalité et histoires personnelles dans la section Vide ton sac.

Les sections Le cas du sac, À portée de main, De sac en sac s’attachent à définir les fonctions ergonomiques et utilitaires du sac quitte à jouer d’illusion. Ce sont ensuite les fonctions sociales et symboliques qu’abordent les sections Sacrés messages, La main dans le sac. Le sac est un objet de désir, un objet conversationnel et un objet qui attise les convoitises des contrefacteurs. Quant à L’envers d'un sac, Vide ton sac, It bags, ces sections soulignent les fonctions esthétiques, techniques et médiatiques. Sans contrefaçon invite à découvrir les belles archives de l’Institut national de la propriété industrielle. Enfin, la section À porter demain est une fenêtre sur la créativité émergente portée par le Printemps, prescripteur de tendances et dénicheur de talents : dix prototypes de sacs conçus par des étudiants des promotions Bachelor et Master Fashion Design 2025 d’Esmod Paris sont exposés.

L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris : la section Sacrés messages. (CORINNE JEAMMET)
L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris : la section Sacrés messages. (CORINNE JEAMMET)

Comment s'établit ce dialogue entre héritage ancestral et créativité contemporaine ?
Par exemple, le sac Chill Métal 69 de la maison Rabanne réédité en collaboration avec l’artiste Judy Blame en 2011 est révélateur de ce dialogue. Arboré par Françoise Hardy et Brigitte Bardot en Une de magazines, le sac 69, crée par Paco Rabanne cette même année, alors composé de pastilles métalliques en aluminium laqué, était entré dans la légende. Évoquant une cotte de mailles, les pastilles métalliques y sont assemblées sans couture, avec des agrafes, des œillets et des pinces. Relancé en 2011, il apparaît en version souple avec lamelles de vison, pastilles en caoutchouc et anneaux métalliques. Cette même année, le styliste iconoclaste de la scène londonienne, Judy Blame, en fait un objet hybride, associant esthétique sixties et éléments de récupération issus de la sous-culture pun - épingles à nourrice, pièces de monnaie, boutons-pressions ou clés.

Comment des maisons patrimoniales comme Louis Vuitton, Chanel, Prada, Longchamp ou Lancel perpétuent des gestes transmis depuis des générations, tout en les réinterprétant à travers des lignes innovantes et des matériaux d’exception ?
Je peux citer deux autres exemples pour illustrer cette transmission : le Keepall Blown up de la maison Vuitton. Premier clutch introduit dans une collection masculine, cette pochette rigide illustre le thème central du défilé automne-hiver 2023-2024 : le passage initiatique de l’enfance à l’âge adulte. Inspiré des ballons de baudruche, le sac revisite le design du Keepall - sac souple créé en 1930 par Gaston Louis Vuitton - dans une version amplifiée comme gonflée à l'extrême mais contenue par les bandes latérales caractéristiques du Keepall. La toile Monogram, ici déclinée dans une teinte palladium éclatante, entre en résonance avec une chaîne métallique ornée de fleurs, métaphore des souvenirs qui façonnent l’identité. Fruit de 18 heures d’usinage de précision et de 4 heures de travail artisanal pour ajuster les coques intérieures en cuir, cette pochette joue sur le contraste entre la légèreté visuelle de son volume gonflé et la rigueur de sa structure rigide. À la fois ludique et technique, cette pièce s’impose comme une création transgénérationnelle.

Le sac seau Mariner de Prada, symbole d’un luxe en mutation, incarne, quant à lui, la tension entre tradition industrielle et innovation. Son design, inspiré de l’univers nautique cher à Prada, se distingue par une corde coulissante et ses passavela (anneaux) dorés évoquent les amarres marines. Mais c’est dans le choix de sa matière que réside sa singularité. Pionnière dans l’usage du Nylon - fibre synthétique prisée pour sa solidité et son éclat soyeux - dès les années 1970, Prada en propose une relecture engagée avec le Re-Nylon, lancé en 2019. Issu du recyclage de déchets plastiques marins, de filets de pêche et de fibres textiles, ce matériau régénéré est produit selon un processus circulaire de dépolymérisation permettant une recyclabilité sans perte de qualité. Le Mariner devient ainsi le manifeste d’une conscience écologique où l’innovation technique ne renie pas l'esthétique.

L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris : la section De sac en sac. (ROMAIN RICARD)
L'exposition "Sac, sac, sac. More Than a Bag" au Printemps Haussmann à Paris : la section De sac en sac. (ROMAIN RICARD)

Vous avez aussi mis en avant des marques de niche.
C’est tout autant leur singularité, leur design audacieux, leur investissement en tant qu’auteur, leur circuit court, leur rapport à la production (série limitée voire unicité) qui ont retenu notre attention. Les démarches et les parcours d’Hélène Népomiatzi, de Sarah Lévy, d’Alphonse Maitrepierre, de Juliette Angeletti (Phi.1.618), Laurence Kuster (Kustt) ou de Fanny Serouart (Léclisse), pour n’en citer que quelques-uns, sont toutes riches de surprises.

Enfin dans un souci d’engagement pour l’environnement, la scénographie s’inscrit dans une démarche éco-responsable.
Exactement. C’est une politique générale du Printemps : rien ne se perd. Les structures (cimaises et vitrines) sont essentiellement celles de l'exposition Vestologie. Toutefois, pour renouveler la scénographie, et éviter la sensation de déjà-vu, un travail d’habillage a été fait.

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