Interview "La marque a tous les ingrédients pour rester quasi éternelle" : Pascal Monfort, auteur du livre "K-Way, 60 ans"

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
Livre "K-Way, 60 ans", aux éditions du Cherche Midi. (ARCHIVES K-WAY)
Livre "K-Way, 60 ans", aux éditions du Cherche Midi. (ARCHIVES K-WAY)

Né en 1965, icône des années 1980, le célèbre coupe-vent s'est réinventé depuis vingt ans. Un ouvrage célèbre avec luxe de détails et d'anecdotes ses 60 ans.

Paris, 1965, au Café de la Paix, un jour de pluie : c'est en observant les passants traverser la place de l'Opéra dans des vêtements trempés que l'entrepreneur français Léon-Claude Duhamel a l'idée de créer la première veste compressible, coupe-vent et imperméable. Le K-Way était né. Soixante ans plus tard, la marque, devenue icône des années 1980, a connu un passage à vide de quelques années, puis une nouvelle jeunesse après avoir été reprise en 2004 par le groupe italien BasicNet. Les collaborations en édition limitée avec des maisons de prêt-à-porter lui ont redonné un souffle plus mode, plus branché et plus luxe.

Pour célébrer ses 60 ans, pendant la semaine d'Art Basel, l'Atelier Richelieu à Paris accueille, après Milan et Londres, du 23 au 26 octobre, l'exposition In Y/Our Life mêlant art, design et vision contemporaine. Des icônes de la culture pop telles que Bic, Borsalino, Chupa Chups, Moon Boot, Rollerblade seront au rendez-vous avec K-Way pour un programme de conférences, ateliers animés par des artistes, avec notamment une salle dédiée à la personnalisation du coupe-vent emblématique. Un ouvrage également, K-Way, 60 ans publié aux éditions du Cherche Midi, retrace cette longue histoire à travers des images d'archive et d'aujourd'hui, des témoignages et des anecdotes souvent savoureuses. Nous avons rencontré son auteur, Pascal Monfort, spécialiste des tendances mode, qui nous relate avec passion son engouement pour cette marque.

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Franceinfo culture : "En créant K-Way en 1965, je n'aurais jamais imaginé que la marque serait toujours là, que l'on parlerait encore d'elle soixante ans plus tard", a indiqué son fondateur Léon-Claude Duhamel. Comment expliquer cette pérennité ?
Pascal Monfort :
Plusieurs raisons l'expliquent : la plus importante étant qu'il a installé un produit et une marque plus qu'iconiques qui sont devenus des institutions. Dans la plupart des cas, lorsqu'on bâtit une institution, même si elle est sujette aux modes et aux tendances, normalement, elle doit s'installer dans la pérennité. C'est un symbole qui va s'implanter dans la mémoire collective et va raisonner, année après année, en créant de plus en plus de liens émotionnels avec les consommateurs.

Quand vous avez installé dans le quotidien quelque chose qui dépasse le simple produit de mode et qu'il a accompagné les existences en multipliant les souvenirs, en principe – à moins de grosses erreurs – vous avez tous les ingrédients pour rester quasi éternel. Quand bien même la marque irait mal économiquement, je pense qu'elle demeurerait, et si le produit n'était plus porté, il en resterait des traces et la marque trouverait un engouement à nouveau. D'ailleurs, elle est inscrite dans le dictionnaire, comme tous les grands hommes, et pour cette raison est devenue invincible.

Dans quel contexte est née cette marque devenue iconique plus tard, dans les années 1980 ?
Ce qui est intéressant concernant l'histoire de la mode des années 1960, c'est qu'elle correspond à un bouleversement de pas mal de codes : c'est la fin du diktat de la mode des adultes et c'est l'explosion de ce qu'on va appeler la mode jeune. Elle est alimentée par les nouveaux courants de pensée et portée par la jeune génération de ceux qu'on appellera plus tard les adolescents. Ces baby boomers vont prendre le pouvoir en termes de goût, d'état d'esprit et marquer l'air du temps.

Le K-Way accompagne ce mouvement, car il se veut fonctionnel, dynamique, pratique, confortable et simplement élégant. Le contexte est celui d'un nouveau goût pour un vêtement qui doit accompagner les nouvelles façons de vivre et non pas répondre simplement à des obligations de statut ou d'élégance. En plus, il s'y ajoute l'ingrédient couleur, donc drôle, fun. C'est un vêtement qui ne va pas nécessairement se prendre au sérieux – alors qu'il est extrêmement sérieux – et qui va vite s'installer comme une obligation. Mon premier souvenir, c'est, en effet, l'obligation d'avoir un K-Way dans son trousseau lorsqu'on partait en colonie de vacances ou pour la rentrée des classes. Je pense que les succès de mode dépendent toujours de l'air du temps.

Livre "K-Way, 60 ans", aux éditions du Cherche Midi. (ARCHIVES K-WAY)
Livre "K-Way, 60 ans", aux éditions du Cherche Midi. (ARCHIVES K-WAY)

Son zip avec son code couleur a fait l'objet d'une protection juridique en 2006 et seul K-Way peut le reproduire. Y a-t-il d'autres vêtements avec ce type de protection ?
Les années 1960 sont marquées par l'invention de la fermeture Éclair – et les couturiers vont en mettre partout – qui facilite et accompagne le mouvement et est associée, là encore, à la culture jeune.

Oui, la protection juridique est quelque chose de très courant, surtout dans le vêtement sportif : dans le sportswear, toutes les innovations techniques ou les nouvelles membranes vont être déposées. C'est pourquoi vous avez toujours des petits ® de copywriting ("Registered", marque déposée). Normalement, quand des marques apportent une innovation technique sur le marché, elle est très vite déposée parce que la copie peut être facile et nuisible.

Mais être copié, c'est souvent extrêmement bon signe. La première personne à l'avoir vraiment compris et défendu, c'est Gabrielle Chanel. Quand on lui disait tout le monde copie vos tailleurs, elle répondait : "C'est plutôt un gage de succès, de toute façon, c'est copié par des gens qui ne s'offriraient pas le mien." Cependant, certains créateurs défendent le fait que la protection ne sert pas à grand-chose, car de toute façon le copieur copiera et que la meilleure façon de défendre sa marque est d'avoir toujours un coup d'avance sur les autres.

Pour le lancer, Léon-Claude Duhamel part à la conquête des boutiques de sport. À l'époque, les boutiques sportswear n'ont pas encore vu le jour et il ne rencontre pas le succès escompté. Les enseignes se montreraient-elles moins timides aujourd'hui ?
Les boutiques de sport s'en seraient emparées sans aucun doute et auraient été les premiers distributeurs à se ruer dessus. Parce qu'encore une fois, il apportait tellement de praticité, de fonctionnalité, d'aisance et de transformation, qu'effectivement, il répondait à pas mal de besoins. Aujourd'hui, les marques de sport ont toutes intégré le secteur outdoor.

Livre "K-Way, 60 ans" aux éditions du Cherche Midi. (ARCHIVES K-WAY)
Livre "K-Way, 60 ans" aux éditions du Cherche Midi. (ARCHIVES K-WAY)

La marque a connu un passage à vide, comment a-t-elle su se réinventer ?
Il y a eu plusieurs tentatives de réinventions avec plusieurs directions assez complexes. Le vrai succès est revenu lorsque le produit a été appréhendé comme un iconique de mode séduisant, une pièce fondamentale du vestiaire avec un rapport qualité prix juste, même si ce n'est pas ça qui va créer une désirabilité.

C'est l'association entre un logo historique – qui rappelle énormément de souvenirs et d'émotions – et la traduction d'occurrences contemporaines en conservant les essentiels – zip, logo, couleur, imperméable – et en le déclinant dans les coupes du moment. Pour faire perdurer cette tendance, ils ont fait de belles collaborations – Saint-Laurent, Comme des Garçons, Ami. Par ailleurs, K-Way a été porté par des leaders d'opinion, qui ne sont pas nécessairement des célébrités grand public mais dont l'apparence vestimentaire inspire et est suivie. La stratégie de séduction était que la marque soit portée par les consommateurs early adopters [les 10 premiers pour cent de la population adoptant une tendance].

Ils ont également mis en place d'autres stratégies utilisées par les marques de mode : être séduisant pour un consommateur avec beaucoup d'appétence pour les tendances et la nouveauté qui fait son shopping dans des quartiers mode de villes stratégiques pour cascader, ensuite, sur un public plus large parce que le produit est devenu une pièce tendance.

Qu'avez-vous appris de plus intrigant lors de l'écriture de ce livre ?
Je suis parti de mes souvenirs, de mon lien à K-Way quand enfant, avec mes cousins et mes copains, on l'avait autour de la taille, en permanence, dès que l'on sortait.

J'ai repensé aussi à tous les moments forts que j'ai vécu : au défilé Jean-Charles de Castelbajac avec son K-Way pour deux personnes, mais aussi à un souvenir très marquant d'un 45 tours que j'avais où l'on voyait un jeune en K-Way faire de la breakdance. Intrigué, j'ai voulu en savoir plus et j'ai contacté notamment la personne qui avait monté l'exposition sur le hip-hop à la Philharmonie de Paris. Elle m'a expliqué qu'à la naissance de la breakdance, contrairement aux Américains qui étaient en survêtements, les Français étaient tous en K-Way, pantalon compris. Ils s'étaient rendu compte que lorsqu'ils dansaient, cela faisait un froissement, un bruit qui rythmait la danse et rendait le truc un peu unique. Par ailleurs, cela permettait des glissades encore plus efficaces lors des figures au sol. Lors d'un concours, un danseur qui faisait une toupie au sol a battu un record et une légende a commencé à s'installer à travers le monde qui s'est diffusée jusqu'à New York. Les Américains sont venus au Trocadéro où ils se réunissaient, et en voyant ces jeunes Français habillés tout en bleu, ils les ont appelés les Schtroumpfs, traduction anglaise, les Smurfs. De retour à New York, cela a donné naissance à cette culture, cette musique, cette danse, le smurf.

Ce qui est intéressant avec K-Way, c'est dès qu'on fouille la moindre histoire, on rentre dans un nouveau monde. Ce qui fait qu'une marque est iconique, c'est que son histoire est pleine de ramifications. Aujourd'hui, elle est en train de vivre un deuxième âge d'or. Son premier âge d'or s'est fait à une époque où les propositions de marques étaient moins nombreuses, dans les années 1970-1980. Si cela s'était passé aujourd'hui, avec les réseaux sociaux et l'ouverture très rapide sur le monde, je pense que K-Way aurait remporté un succès à l'international beaucoup plus fort en Asie, aux États-Unis, en Inde, en Chine...

Livre "K-Way, 60 ans", aux éditions du Cherche Midi. (ARCHIVES K-WAY)
Livre "K-Way, 60 ans", aux éditions du Cherche Midi. (ARCHIVES K-WAY)

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