Pascal Amoyel, le pianiste conteur d'histoires
Pascal Amoyel est un musicien qui aime raconter des histoires. Au piano seul, interprétant Liszt ou Chopin (ses "Nocturnes" ont fait merveille). Sur les planches, mêlant musique et paroles. Ou enfin, avec un festival qu'il a créé, "Notes d'Automne", aujourd'hui à sa 6e édition, où la musique côtoie la littérature. Rencontre.
Pascal Amoyel est un interprète et un passeur. Pianiste formé à l'Ecole normale de musique de Paris et au Conservatoire, son nom est souvent associé au virtuose d'origine hongroise György Cziffra, mort en 1991, qui l'a repéré très jeune. Un parcours salué par le public et la profession (une Victoire de la musique - Révélation en 2005), et notamment à l'occasion de l'enregistrement de quelques disques, comme "Harmonies poétiques et religieuses", de son compositeur fétiche Franz Liszt, les "Funérailles" du même Liszt ou "L'intégrale des Nocturnes de Chopin".
Mais là n'est peut-être pas le plus important pour ce musicien de 43 ans. Pascal Amoyel a reçu le plaisir de la transmission en héritage. Professeur, il est aussi conteur d'histoires. Qu'il les écrive (dans sa "Petite histoire de la grande musique"), qu'il les compose, ou qu'il leur donne la forme de pièces musicales ("Le Block 15", "Le pianiste aux 50 doigts").
Son festival "Notes d'automne", au Perreux sur Marne, non loin de Paris, dont la sixième édition commence le 10 novembre, associe littérature et musique. Au programme, un hommage aux écrivains russes, toutes sortes de rencontres musicales, et notamment le dernier spectacle de Pascal Amoyel, "Le jour où j'ai rencontré Franz Liszt". En intervenants, cette année : Richard Bohringer, Philippe Geluck, Barbara Hendricks et tant d'autres musiciens.
Pourquoi s'intéresser aux relations entre littérature et musique à travers un festival ?
Ça me paraissait intéressant de pouvoir lier la musique à un contexte historique, affectif, social, d'un auteur ou d'un compositeur. Dans notre société actuelle, la vie musicale est souvent très déconnectée de l'humain, étant très orientée par la performance : il faut jouer tel concerto en Corée ou tel autre ailleurs. Et on ne parvient plus à avoir le moindre contact avec le public qui, lui, ne vient que pour assister à cette performance. Il ne lit le plus souvent même pas le programme de ce qu'il va écouter… C'est important : le concert traditionnel classique - qui est de moins en moins suivi - souffre beaucoup de ce "non lien" entre le public et l'artiste.
Vous-même, vous sentez-vous le produit du lien (qui n'existe plus) entre l'artiste et son contexte historique et culturel ?
Oui. Chaque œuvre que j'interprète provient toujours d'un désir, souvent lié à une thématique propre à l'œuvre. Et même si l'œuvre naît de manière "inconditionnée", spontanée, elle a trait au spirituel, à la philosophie, à toute la recherche préalable qu'a effectuée le compositeur, ou tout simplement au mystère de la vie sur les questions éternellement ouvertes que l'on peut se poser à travers l'art.
Un exemple ?
Quand j'ai imaginé ce festival, c'était fort de l'expérience d'un spectacle que j'ai conçu avec la violoncelliste Emmanuelle Bertrand, "Block 15", autour de la thématique de la barbarie du XXe siècle. Et notamment à travers l'histoire vraie d'une violoncelliste, Anita Lasker (qui vit toujours, habite Londres), et un pianiste, Simon Laks qui ont été déportés à Auschwitz et qui ont réussi à survivre grâce à la musique. Ce spectacle était inspirant pour moi à double titre : d'abord à cause de l'ambigüité de voir que des bourreaux pouvaient pleurer en écoutant du Schubert et allaient faire leur travail aussitôt après, et ensuite parce cela pouvait donner à entendre des œuvres de manière totalement différente.
Qu'est-ce qui lie littérature et musique ?
Attention : l'idée, c'est moins de marier, de manière factice, la littérature à la musique, et à d'autres formes d'art, que de faire un retour à la source : donc à l'inspiration même d'un artiste. Ecouter les dernières sonates de Beethoven après avoir découvert qu'il lisait des livres sur le bouddhisme, ou Bach en sachant que le rapport aux nombres (et notamment le 12) était si important chez lui… On n'écoute plus de la même manière ! Bien sûr, la musique se suffit à elle-même. Mais cette entrée dans l'univers du compositeur crée des conditions d'écoute souvent très importantes ! Or celles-ci sont souvent occultées, et parfois décriées par quelques puristes qui pensent que la musique ne doit pas être encombrée par les mots.
Deux personnalités musicales semblent vous avoir marqué irrémédiablement : le pianiste virtuose, français d'origine hongroise György Cziffra (1921-1994) et un autre hongrois, Franz Liszt (1811-1886).
La rencontre avec Cziffra est due au plus grand hasard : la gardienne de l'immeuble où nous habitions quand j'avais 11 ans, qui m'entendait faire mes gammes, est venue me dire que le musicien Cziffra habitait là et qu'il venait de créer une fondation à Senlis pour les jeunes. "C'est peut-être ton destin de le voir et d'aller là bas", ajouta-t-elle et elle avait raison car ce fut mon destin.
Votre passion de la transmission et de la pédagogie, vient-elle de Cziffra ?
Sans doute. En tout cas, ce sont pour moi des idées phares : la transmission et le respect de l'élève. Le but est de l'accompagner dans sa propre voie, et non de lui imposer la mienne. Quant à Liszt, il est au cœur de votre dernier spectacle, "Le jour où j'ai rencontré Franz Liszt" - créé au festival "Notes d'automne".
Mon grand-père m'a fait écouter Liszt pour la première fois et ça m'a marqué. D'emblée, le désir m'est venu d'interpréter ces œuvres dès que possible. Par la suite, découvrir que Cziffra était aussi le grand interprète de Liszt, ça a beaucoup compté. Ce qui me fascine chez Liszt est que cet enfant prodige de sept ans qui n'aimait pas sa vie de pérégrinations à travers l'Europe avec son père grâce à son talent et les mondanités qui s'en suivaient, va finir par se laisser porter par le jeu. Dès lors, il va tout inventer : il va créer le récital, être le premier à jouer par cœur, le premier à ouvrir le piano, ou encore à jouer tout le répertoire. Et cet homme aura une notoriété dont on peut difficilement se rendre compte aujourd'hui. Elvis Presley et les Beatles réunis n'ont pas connu la célébrité qu'avait Liszt. Mais tout cela l'insupporte. A 35 ans, il décide d'arrêter totalement sa carrière pour se consacrer à la contemplation et à la composition, peu à peu aspiré par le silence. Et c'est pourtant un compositeur qui est souvent oublié, décrié…
Revenons à vous. Vous êtes aussi compositeur. Qu'est-ce qui vous guide dans cette tâche ?
Ça, ça fait partie des choses qui nous échappent. Car il y a une forme de désappropriation totale quand on compose (et d'ailleurs souvent aussi lorsque l'on joue) : il y a beaucoup de lâcher prise, car on est dans un état de réceptivité totale. C'est fascinant. Gustav Mahler disait : "je suis composé". Evidemment, je ne me compare pas à Mahler mais dans l'acte d'écriture il y a ce quelque chose de très indéfinissable qu'on peut appeler l'âme, l'énergie, la vie, d'autres disent Dieu, peu importe… C'est une "impersonnalisation" qui me semble être au plus près des questions sur l'existence humaine.
Il y a une gravité et une poésie dans vos propos. Qui tranchent avec l'humour - et l'amusement, qui font aussi intégralement partie de votre univers…
Parce que quand on parle du mystère de l'existence, on n'y voit de la gravité ou quelque chose de sérieux. Or, ce ne l'est pas forcément. Tout arrive, des choses graves, sérieuses, joyeuses, drôles, des bêtises, des folies. Il ne faut rien refuser.
Donc par exemple enregistrer, comme vous l'avez fait, un disque "classique" de variations autour du thème de "Happy birthday to you" est tout aussi estimable qu'interpréter du Liszt…
Autant que jouer avec son enfant de trois ans à sa sortie de l'école n'est pas moins estimable que lire un livre de Hegel….
Notes d'automne
Festival musical et littéraire
Du 10 au 16 novembre 2014
Le Perreux-sur-Marne
Le Festival SenLiszt rend hommage à Georges Cziffra
les 7, 8 et 9 novembre 2014
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