Comment l'Eurovision se prend les pieds dans le drapeau depuis vingt ans
Cette année, les spectateurs ont droit au drapeau palestinien, mais pas les artistes, privés aussi de celui des fiertés. L'année dernière, personne ne pouvait faire référence au conflit au Proche-Orient. C'est que le règlement change tous les ans, au gré de la géopolitique et des lois du pays hôte.
Ils ont dû renoncer à leur petit pin's. Les humoristes de KAJ, qui représentent la Suède avec l'hilarante chanson Bada Bada Bastu qui vante les vertus du sauna, ont beau être finlandais à la base, ils devront renoncer à la petite broche représentant les deux drapeaux entremêlés sur le revers de leur veste. Comme chaque année, l'European Broadcasting Union (EBU) qui régit le concours Eurovision de la chanson, a planché sur une nouvelle version du règlement concernant les drapeaux, en vigueur pour cette demi-finale, jeudi 15 mai, au Parc Saint-Jacques de Bâle en Suisse.
Pour ce cru 2025, les artistes ont interdiction d'arborer un drapeau autre que celui du pays pour lequel ils concourent. "Le but est de pouvoir identifier immédiatement le pays représenté", s'est justifié le diffuseur néerlandais Avrotros. Ce qui ne va pas sans poser des soucis, puisque ce sont des Finlandais qui chantent pour la Suède, une chanteuse des îles Féroé qui participe pour le Danemark ou une Norvégienne qui représente l'Irlande...
Tous les autres étendards, y compris le drapeau arc-en-ciel des fiertés LGBTQIA+, sont également interdits. Ce qui a inspiré cette blague au chanteur estonien Tommy Cash, interviewé par un journaliste portant une broche évocatrice : "Oh, regardez, il a le drapeau interdit ! Dehors, dehors ! Vilain garçon !"
Le drapeau palestinien, banni l'an dernier en pleine polémique autour de la chanson et de la participation israélienne, est également interdit sur scène, mais autorisé en tribunes.
Evacuer la géopolitique du show
Pour leur défense, les organisateurs du concours de chant s'abritent derrière la loi du pays organisateur : la Suisse. Les spectateurs ont ainsi le droit d'agiter n'importe quel drapeau autorisé par la loi helvète. La législation suédoise, pour le concours organisé à Malmö en 2024, n'était pas si éloignée, mais le contexte explosif de la guerre entre Israël et le Hamas avait poussé l'EBU à proscrire tout symbole propalestinien. Si les drapeaux de l'Etat hébreu n'étaient pas interdits, le contexte a poussé délégation et supporters israéliens à la plus grande discrétion.
Ce qui n'avait pas empêché le chanteur suédois Eric Saade, invité à se produire pour meubler en attendant le résultat, d'arborer un keffieh au poignet. "Mon père me l'avait donné enfant pour que je n'oublie jamais d'où je viens", s'est justifié l'artiste, d'origine palestinienne, auprès de la chaîne suédoise SVT. "C'est comme si on décidait que le 'dala horse' [le cheval de bois rouge typique de la Suède] était devenu un symbole politique." Une astuce qui a échappé aux organisateurs, alors que d'autres étendards de tissus ou dessinés en bodypainting avaient étés recalés avant de passer à l'antenne. Seul le vainqueur, Nemo, avait réussi à camoufler un drapeau du mouvement non-binaire, lui aussi proscrit comme les symboles LGBT+, avant de le brandir, tout chiffonné, au moment de l'annonce de sa victoire. "J'ai peut-être cassé le trophée, s'est justifié l'interprète de The Code. Mais je crois que l'Eurovision a besoin d'être réparée aussi."
Encore cette année, les organisateurs du concours ont rivalisé de phrases façon Bisounours pour évacuer les questions géopolitiques brûlantes du show. Le directeur de l'Eurovision, Marc Green, s'est justifié en espérant que "le concours nous rassemble tous, même si je sais que ça sonne un peu mièvre". Lors du sketch intitulé "Made in Switzerland" diffusé lors de la première demi-finale, les animatrices ont chanté : "Comme la Suisse, l'Eurovision est apolitique et strictement neutre." Avec un ton ironique, certes.
Cette année encore, difficile de nier la dimension politique du concours. Israël envoie la chanteuse Yuval Raphael, survivante du 7-Octobre, avec une chanson au titre évocateur : New Day Will Rise. Lors de sa présence sur le turquoise carpet, sorte de tapis rouge version bâloise, des drapeaux palestiniens étaient bien visibles en arrière-plan, en plus de gestes menaçants qui ont poussé la délégation israélienne à porter plainte.
On ne compte plus les incidents géopoliques qui ont émaillé l'Eurovision. En 2019, Madonna était apparue sur scène avec un danseur arborant le drapeau palestinien, alors même que le concours se déroulait à Tel-Aviv. La même année, dans la green room, la zone mixte où les candidats attendent les résultats, le duo islandais avait brandi des drapeaux palestiniens pile au moment où leurs résultats apparaissaient à l'antenne. La ministre de la Culture israélienne de l'époque, Miri Regev, avait diligenté une enquête interne auprès de la télévision Kan, rappelle Times of Israel. Le montant des amendes – autour de 5 000 euros – n'a pas dissuadé non plus la chanteuse qui représente l'Arménie de brandir celui de la région contestée du Haut-Karabagh en 2016. L'Azerbaïdjan voisin s'étouffe.
Essayer de rester "united by music"
L'Eurovision n'a pas son pareil pour se prendre les pieds dans les drapeaux. En 2024, des spectateurs qui avaient amené la bannière bleue étoilée de l'Union européenne se sont fait confisquer leur étendard, provoquant des protestations au sommet de la Commission européenne. "Pour moi, ce drapeau représente surtout le monde dans lequel nous voulons vivre", s'émeut Dorin Frasineanu, un des spectateurs concernés, dans une tribune publiée par Euronews. Argument des organisateurs : la règle est la même qu'en 2023. Sauf que pléthore de vidéos du concours de cette année-là, remporté par Loreen, montrent clairement des drapeaux européens aux premières loges lors du show de Liverpool.
En 2016, autre boulette de taille : un document interne avait fuité, actant l'interdiction des drapeaux basque et palestinien... aux côtés de celui de l'Etat islamique. "Ça envoie un mauvais signal", a reconnu le porte-parole du concours, lors d'une conférence de presse. Protestations en cascades de l'exécutif régional basque, débat organisé sur la BBC sur l'interdiction du drapeau gallois... Pile l'année où le Royaume-Uni envoyait un candidat de la vallée de la Clwyd. Devant l'ampleur de la polémique, l'organisateur assouplit ses règles en catastrophe. Au point que les supporters de la chanteuse ukrainienne Jamala peuvent agiter l'étendard de la Crimée tatare, décrit The Guardian.
Les toutes premières consignes de l'Eurovision sur la question des drapeaux remontent en fait à 2012. Pour la tenue du concours à Bakou (Azerbaïdjan), c'est surtout la taille des drapeaux agités par les spectateurs au premier plan qui était dans le collimateur des diffuseurs. Pas des vigiles, manifestement, à en juger la taille du drapeau russe qui a ruiné la chorégraphie de la chanteuse chypriote Ivi Adamou. Attendue dans le top 10, la chanteuse de La La Love a échoué à une décevante 16e place.
Pas facile, donc, de rester "united by music", le slogan officiel du concours. Sur un autre aspect visuel, pourtant, l'Eurovision a su évoluer avec finesse. Depuis une quinzaine d'années, les courtes présentations des pays participants ne montrent plus les frontières des pays qu'ils défendent, relève le site ESC Insight. Déjà un problème de moins, vu le nombre de régions disputées en Europe.
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