Sans artistes LGBT mais avec une star patriotique... On vous présente l'Intervision, le remake russe de l'Eurovision

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un membre de la délégation cubaine fait un cœur avec les doigts devant le logo du concours Intervision, le 16 septembre 2025, à Moscou (Russie). (SOFYA SANDURSKAYA / SIPA)
Un membre de la délégation cubaine fait un cœur avec les doigts devant le logo du concours Intervision, le 16 septembre 2025, à Moscou (Russie). (SOFYA SANDURSKAYA / SIPA)

Le concours organisé par la Russie après son exclusion du télécrochet européen en raison de la guerre en Ukraine a lieu samedi à Moscou. Il entend promouvoir "l'identité nationale" et les "traditions des pays participants".

Les Beatles chantaient Back in the U.S.S.R. en 1968, mais dans les faits, c'est Vladimir Poutine qui semble vouloir ressusciter l'Union soviétique en chanson près de six décennies plus tard. Le concours Intervision, rival communiste de l'Eurovision diffusé sur les écrans de télévision du bloc de l'Est des années 1960 à 1980, fait son retour samedi 20 septembre 2025. Exclue du grand raout européen de la chanson depuis l'invasion de l'Ukraine, la Russie aussi entend mener la bataille sur le plan culturel, avec une compétition où il ne sera officiellement question "que de culture et pas de politique", une manière polie de dire que pas une oreille ne doit dépasser dans ce grand show conservateur chapeauté par le Kremlin.

Le remake moderne de l'Intervision est pensé dans une approche très différente de l'original. Dans sa première mouture, entre 1965 et 1968, la télévision tchécoslovaque propose (en vain) une collaboration avec l'Union européenne de radio-télévision, l'UER, l'association qui chapeaute l'Eurovision. Le rideau de fer s'ouvre quand même pour quelques chanteurs occidentaux. Sans concourir dans l'Intervision, d'anciens vainqueurs de l'Eurovision comme le crooner autrichien Udo Jürgens ou la chanteuse britannique Sandie Shaw sont invités à chanter.

La chanteuse finlandaise Marion Rung, victorieuse de l'Intervision, à Helsinki en 1980. (JUHA JORMANAINEN / LEHTIKUVA)
La chanteuse finlandaise Marion Rung, victorieuse de l'Intervision, à Helsinki en 1980. (JUHA JORMANAINEN / LEHTIKUVA)

Dans la deuxième mouture du concours, à la fin des années 1970, on voit même des candidats belges ou espagnols... La Finlandaise Marion Rung, candidate malheureuse à l'Eurovision en 1973, remporte carrément l'Intervision en 1980. A l'époque, Moscou suit d'un œil distrait ce concours destiné à attirer l'attention des maisons de disques de l'Ouest vers l'Est : "Pour avoir épluché les archives à Moscou, je peux vous dire que les Russes n'étaient pas spécialement intéressés", abonde l'universitaire Dean Vuletic, spécialiste du concours, dans The Guardian.

Vladimir Poutine à l'action en coulisses

Rien à voir avec la version 2025 du show, organisé dans une salle moscovite, avec le drapeau russe omniprésent et le producteur Konstantin Ernst aux manettes, l'homme derrière... l'Eurovision 2009, organisé cette année-là à Moscou, et la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Sotchi en 2014. Le tout sous le haut patronage de Dmitri Tchernychenko, vice-Premier ministre russe, à la tête du comité d'organisation. Dernier détail qui a son importance : le concours est diffusé sur Channel One Russia, principale chaîne de télévision nationale russe. L'affaire a fait l'objet de tractations au plus haut niveau : Vladimir Poutine en même a touché un mot à son homologue Xi Jinping lors d'une visite en Chine. "Nos amis chinois aiment beaucoup l'idée", glissait le maître du Kremlin en novembre, cité par The Guardian.

Face à l'Eurovision, où des artistes LGBT brillent, comme la drag queen autrichienne Conchita Wurst, gagnante de la compétition en 2014, ou l'artiste suisse non binaire Nemo, vainqueur en 2024, l'Intervision 2025 affiche sa ligne conservatrice. Sur la chaîne Telegram de l'événement, les organisateurs promettent de mettre en avant "l'identité nationale" et les "traditions des pays participants". Le concours entend faire résonner la musique, "la vraie", comme la qualifie la sénatrice russe Lilia Gumerova, et pas des "fausses valeurs qui sont étrangères à toutes les personnes normales". "Je n'ai pas envie de voir des hommes aux cheveux longs chanter sur scène, avec des bas résilles ou des talons hauts", brocarde la candidate biélorusse Nastya Kravchenko, citée par Arte. "Je suis sûre que ça ne se produira pas à l'Intervision. Le niveau sera très élevé. Ça prouvera à l'Eurovision qu'il est possible de produire un show coloré sans avoir recours à ces artifices."

La voix du Kremlin en tête d'affiche

Tête d'affiche du show, le chanteur russe Shaman colle parfaitement à la ligne du régime. Cet ancien concurrent de l'émission "The Voice Russia" a connu le succès au moment où il a adopté une ligne ultranationaliste avec son tube Ya Russkiy, littéralement Je suis Russe, dont le clip a été tourné en dérision par les opposants, mais adopté par d'autres régimes autoritaires. Après une tournée sur la ligne de front ukrainienne qui lui a valu des sanctions occidentales, Shaman a effectué un récital triomphal en Corée du Nord. A Pyongyang, sa chanson a été reprise, devenant Nous sommes les Coréens. Depuis, la carrière de Shaman épouse la politique de Vladimir Poutine : il a poussé la chansonnette avec le président russe lors du Nouvel An interprétant l'hymne national, avant de diffuser de nouvelles chansons à la tonalité guerrière et dont les clips ne sont pas sans rappeler l'esthétique nazie, souligne France 24

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Ce ne sont pas les autres candidats qui devraient lui faire de l'ombre. La prise de guerre que constituait le chanteur américain B. Howard a annoncé dans une vidéo mercredi qu'il ne participerait finalement pas à la compétition, en raison de "problèmes familiaux imprévus". Le pedigree du natif de Los Angeles n'est pas exactement celui d'une star de la pop. Sa célébrité vient plus de la rumeur qui fait de lui le fils caché de Michael Jackson – ce qui n'a jamais été prouvé – que de son duo dans les dunes avec Stomy Bugsy en 2015.

Dans la foulée de son désistement, le concours de chant a fait savoir que Vassy (de son vrai nom Vasiliki Karagiorgos), chanteuse et auteure australienne de musique électronique et pop, représenterait les Etats-Unis. Outre cette candidate, le show rassemble les alliés traditionnels de la Russie (Tadjikistan, Ouzbékistan...), des partenaires des Brics (Brésil, Inde, Afrique du Sud, Egypte...) et des pays du Moyen-Orient (Qatar, Arabie saoudite...). 

Innovation pour l'édition 2025, c'est un jury de personnalités représentant tous les pays participants qui élira le vainqueur. "L'Intervision a toutes les chances de devenir un évènement aussi emblématique que l'Eurovision", veut croire la productrice russe Marina Kuznetsova, interrogé par l'hebdomadaire russe Argoumenty i Fakty détenu par la mairie de Moscou. Il pourrait être suivi d'une nouvelle déclinaison russe d'une institution occidentale, les Oscars, revisités à la sauce eurasiatique, en attendant des Jeux olympiques alternatifs promis par Vladimir Poutine depuis que les athlètes russes sont contraints de concourir sous bannière neutre.

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