Jacques Schwarz-Bart, un jazz de rêve dans "The Art of Dreaming"
Le saxophoniste de jazz s'est produit mardi soir, 3 juillet, à Paris, au New Morning. "The Art of Dreaming", son dernier opus, se rapporte à une quête spirituelle, au chamanisme. Pour Jacques Schwarz-Bart, musique et mystique sont intimement liées. Dans son album, il partage son rêve avec le pianiste Baptiste Trotignon, le contrebassiste Thomas Bramerie et le batteur néerlandais Hans Van Oosterhout. Nous avons rencontré le saxophoniste quelques jours avant son rendez-vous avec le public parisien (voir plus bas).
Jacques Schwarz-Bart, 49 ans, natif des Abymes, en Guadeloupe, fils de deux écrivains, porte une double culture en lui. Celle, juive, de son père André Schwarz-Bart, prix Gongourt 1959, et celle, guadeloupéenne, de sa mère Simone. Bachelier à 16 ans, étudiant à Sciences-Po, il abandonne la belle carrière qui s'offre à lui pour se vouer à la musique.
Celui qui, enfant, jouait de la guitare en autodidacte, tombe amoureux du saxophone à... 24 ans. Malgré cet âge tardif, il s'inscrit à l'école de Berklee, à Boston, et travaille comme un forcené. Au bout de l'effort, l'attendent la reconnaissance de musiciens confirmés, les sollicitations d'artistes prestigieux, les collaborations variées avec le trompettiste Roy Hargrove, les chanteurs D'Angelo et Me'shell Ndegeocell ou le batteur Ari Hoenig.
Reportage D. Poncet, M. Savineau, J. Michaan, S. Medaguine-Chennahi (JT de 22H de France 3 du 1er juillet 2012)
La rencontre avec Culturebox
Rendez-vous était donné le jeudi 28 juin dans un (bruyant !) café parisien du quartier de Tolbiac. Jacques Schwarz-Bart, très serein et décontracté, parle posément, prenant le temps d'expliquer les cheminements de sa vie, tant personnels, spirituels qu'artistiques.
- Culturebox : Vous avez grandi entre deux cultures très différentes. Comment avez-vous géré cette double appartenance, celle de votre père et celle de votre mère ?
- Jacques Schwarz-Bart : Cela n’a pas été facile. J’ai eu des périodes de mon enfance et de mon adolescence où je me sentais plutôt antillais ou plutôt juif. Il m’a fallu un moment avant de pouvoir constituer un tout avec ces parties. C’est plus tard que j’ai cessé de me définir selon mes origines culturelles pour me projeter dans la vision de l’humain que je voulais devenir. Je n’ai pas renié mes origines, au contraire. J’ai impliqué beaucoup d’éléments antillais dans mes musiques, et je projette de faire des disques qui impliqueront aussi la partie juive. Je vis plus que jamais mes identités, mais je ne suis prisonnier d’aucune d'entre elles. En chemin, j’ai d’ailleurs élargi les facettes de mon identité. Aujourd’hui, il y a quelque chose de new-yorkais dans mon approche du monde. Une espèce d’amour de la liberté absolue et du respect total de l’autre, même dans sa folie et dans ce qui pourrait m’offenser par rapport à mes valeurs personnelles. Sur le plan musical, j’ai aussi élargi mon identité. Je suis devenu un jazzman avant tout. Et j’ai trouvé d’autres amours musicales. Au Maroc, je suis tombé amoureux de la musique gnawa qui fait partie de mon identité musicale. Et je suis ouvert à d’autres explorations, d’autres remises en question, de mon identité culturelle.
Teaser de l'album : le quartet évoque le thème du rêve et l'enregistrement du disque, avec des extraits de "Massassoit"
- Vous aviez 24 ans quand vous avez décidé de renoncer à votre carrière dans la haute administration pour vous consacrer à la musique. Imaginiez-vous connaître un tel succès ?
- Jamais. J’ai quitté à 27 ans mon dernier poste au Sénat pour partir étudier à Berklee. Mon objectif n’était même pas de devenir musicien professionnel. Je voulais simplement pouvoir enseigner la musique et jouer le samedi soir dans le club du coin. Par la suite, au fur et à mesure que je me suis trouvé dans des situations professionnelles de plus en plus pointues, mes objectifs ont évolué également. Mais au début, quand je suis arrivé à l’école de Berklee, mes camarades étudiants les plus avancés m’ont dit : «Retourne immédiatement à Paris et supplie ton sénateur de te reprendre ! Tu n’as aucune chance de faire quoi que ce soit sur la scène de la musique en commençant à ton âge. Ca ne s’est jamais vu et ça n’arrivera jamais.»
- Cela ne vous a pas découragé…
- Non. J’étais simplement passionné. Je bossais comme un forcené. J’ai bossé pendant plusieurs années entre dix et douze heures par jour à Berklee, à m’en rendre malade. On pouvait y travailler jour et nuit dans des pièces mises à disposition par l’école. Ce n’est pas très sain d’être dans un petit espace d’un mètre vingt de circonférence et de respirer son propre air. Je sautais les cours et je travaillais. J’ai eu des tendinites, et depuis ce temps, j’ai des bronchites chroniques, et ce, également à cause des conditions dans lesquelles je jouais le soir dans certains lieux, souvent mal famés, où les gens fumaient littéralement à cinquante centimètres de moi. On jouait dans des nuages de fumée, on commençait à 19h30 pour finir à 2 heures du matin, on devait toucher 2 ou 3 dollars de l’heure. Ce sont des situations qui ont forgé mon caractère. Aujourd’hui, chaque fois que je sors d’une longue tournée et que les choses s’enchaînent de façon trop intense, à un moment, je chope une bronchite. Ce sont des choses qui me rappellent l’effort fourni dans le passé, et de ne pas prendre quoi que ce soit pour acquis, car tout peut s’arrêter du jour au lendemain.
- "Massassoit" (hommage à un chef amérindien du XVIIe siècle, signé Trotignon) en live à Radio France (25 février 2012)
- Vous gardez toujours cette idée à l’esprit ?
- Oui. Je suis un lecteur avide de Carlos Castaneda (1925-1998 ; anthropologue américano-péruvien, ndlr). L’un des premiers enseignements de la formation chamanique, c’est de reconnaître la présence permanente de la mort à vos côtés. Pas de façon macabre, mais juste pour faire de chaque jour un événement spécial, parce que cela peut être votre dernier jour.
- La spiritualité, la mystique, sont décidément très présentes dans votre vie, autant personnelle qu'artistique...
- C'est la mystique qui m'a amené à la musique. La mystique africaine. J'ai découvert la musique à 4 ans à travers le tambour gwoka, ainsi que les lewoz, ces espèces de cérémonies qui se déroulaient dans la noirceur absolue des campagnes sans électricité de la Guadeloupe. Pour moi, ces chants et ces rythmes représentaient clairement des appels spirituels. Cette espèce de passion pour l'inconnu demeure intacte et reste une motivation dans ma démarche artistique. Par ailleurs, j'ai eu une éducation religieuse juive et j'ai été fasciné surtout par la mystique juive. Adolescent, j'ai envisagé d'être rabbin, je me passionnais pour les textes religieux, tout ce qui relève du Zohar et de la Kabbale, les grands textes mystiques. Avec un peu de recul, ce sont des oeuvres littéraires prodigieuses. Aujourd'hui, sans privilégier une pratique par rapport à une autre, je suis connecté à ce que je ressens comme des énergies mystiques. C'est derrière toutes mes démarches artistiques. Je pense d'ailleurs que toutes les grandes musiques sont d'inspiration mystique.
- "Peyotl" (du nom d'un cactus utilisé à des fins rituelles par les Amérindiens, signé Trotignon) en live à Radio France (25 février 2012)
- Revenons à la musique elle-même. Pouvez-vous nous parler de ce projet de "The Art of Dreaming", dans lequel vous renouez avec le jazz classique, après des expériences très variées ?
- Mon tout premier disque, "Immersion", était réalisé en quartet. C'est une forme que j'ai pratiquée depuis mes débuts, c'est ainsi que j'ai appris le jazz. Mes précédents disques présentaient des concepts musicaux novateurs. J'ai ressenti le besoin de renouer avec l'art du quartet. J'ai beaucoup évolué en tant que saxophoniste, j'ai développé mon intuition musicale, ce qui me permet d'avoir un jeu beaucoup plus organique, en phase avec des musiciens tels que ceux qui jouent sur le nouveau disque, où il y a un véritable dialogue. C'est ce que j'appelle le rêve collectif, à quatre têtes, d'où le titre du disque. Cela va d'ailleurs au-delà de l'échange. Poussés à un certain point, c'est comme si on devenait un seul être musical. C'est un rêve qui nous permet de nous comprendre sans signal. Une espèce de symbiose dans l'instant. C'est là que la mystique intervient. L'art du rêve est une quête chamanique que je pratique depuis des années, qui fait partie de mon apprentissage musical, c'est aussi le titre d'un livre de Castaneda. Je ne pratique pas que des gammes, j'essaie de m'imposer une discipline intérieure à travers des exercices de visualisation. Trouver la conscience au travers d'un rêve, trouver une connexion onirique en état d'éveil... Jouer avec ce quartet m'a donné l'impression qu'on entrait tous ensemble dans le même rêve.
(propos recueillis par A.Y.)
Jacques Schwarz-Bart en concert le 3 juillet 2012 à Paris
New Morning, 21H
7 & 9 Rue des Petites Ecuries
75010 Paris
Infos et réservations au 01 45 23 51 41 ou en ligne
Le 5 juillet au Parc du Bois-Fleuri de Lormont (Gironde), 20H45
Dans le cadre du Festival des Hauts de Garonne
Avec le chanteur malien Boubacar Traoré
Le 10 août à La Petite Pierre (Bas-Rhin), 21H
Dans le cadre du festival Au Grès du Jazz
Avec le quartet "The Art of Dreaming"
Le 11 août au festival Jazz in Marciac, 21H30
Avec le quartet "The Art of Dreaming"
Le 12 août au festival Jazz en Baie (Mont-Saint-Michel), 18H
Avec le quartet "The Art of Dreaming"
Le 24 août à Callas, 21H00
Dans le cadre du festival Jazz à tout Var
Avec Gregory Privat (piano), Thomas Bramerie (contrebasse), Hans Van Oosterhout (batterie)
Pour "The Art of Dreaming"
Le 25 août 2012 au château de Clermont-en-Genevois (Haute-Savoie), 19H30
Avec le quartet "The Art of Dreaming"
Jacques Schwarz-Bart Quartet
Jacques Schwarz-Bart : saxophone ténor (son site web, son MySpace)
Baptiste Trotignon : piano (son site)
Thomas Bramerie : contrebasse (son site)
Hans Van Oosterhout : batterie (son site)
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