Le guitariste Sylvain Luc raconté par ses proches et ses pairs, avant une grande soirée hommage samedi à Paris et une série de concerts

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 25min
Le guitariste Sylvain Luc, disparu brutalement en 2024, célébré sur plusieurs scènes hexagonales en 2025, dont celle du Théâtre du Châtelet à Paris. (SEBASTIEN BEN DUC KIENG)
Le guitariste Sylvain Luc, disparu brutalement en 2024, célébré sur plusieurs scènes hexagonales en 2025, dont celle du Théâtre du Châtelet à Paris. (SEBASTIEN BEN DUC KIENG)

Guitariste virtuose de jazz, Sylvain Luc nous a quittés brutalement en 2024. Près d'un an plus tard, une grande soirée, samedi 8 février au Théâtre du Châtelet, réunit plusieurs proches comme Marylise Florid, Stéphane Belmondo, Thierry Eliez et de nombreux artistes qui ont croisé sa route. Témoignages croisés de cinq d'entre eux.

Il était une figure de la scène jazz française depuis une trentaine d'années, reconnu et admiré par des stars internationales comme Pat Metheny. Sylvain Luc, virtuose de la guitare, s'est éteint le 14 mars 2024, à 58 ans seulement, provoquant stupeur et chagrin chez tous ceux qui avaient eu l'occasion de l'applaudir ou de le côtoyer, tous genres musicaux confondus.

Onze mois plus tard, ses proches, son épouse guitariste Marylise Florid en tête, célèbrent sa mémoire samedi 8 février à Paris dans le cadre du festival Le Châtelet fait son jazz. Une quarantaine d'artistes participent à la soirée Sylvain Luc Célébration, parmi lesquels Bernard Lubat, Richard Galliano, Thomas Dutronc, Daniel Mille... Ce sont les œuvres de Sylvain Luc, aussi remarquable compositeur que guitariste, qui sont à l'honneur sur la scène du Théâtre du Châtelet.

Dans la foulée du concert, à quelques pas de là, les clubs de jazz de la rue des Lombards où Sylvain Luc joua tant de fois, rendront aussi hommage au virtuose disparu, du Sunside au Baiser Salé. Cette soirée événement sera suivie d'au moins six autres, avec des configurations différentes, à Bayonne (23 février), Marseille (1er mars), puis cet été à Peillon (7 juillet), aux Nuits de la Guitare à Patrimonio en Corse (21 juillet), à Jazz à Sète (15 juillet) et à La Réunion (25 juillet) .

Pour Franceinfo Culture, cinq participants au concert de samedi dont Marylise Florid, le trompettiste Stéphane Belmondo, le pianiste et chanteur Thierry Eliez, le pianiste Paul Lay et le saxophoniste et arrangeur Pierre Bertrand, évoquent le souvenir de Sylvain Luc, un artiste et un être humain extrêmement attachant.



Sylvain Luc, un guitariste magicien

Stéphane Belmondo (ami et complice musical depuis la fin des années 80) : Sylvain Luc a inventé un son qui lui était vraiment propre. Quand il jouait une note, il avait quelque chose de particulier, d’unique. Et dans l'harmonie des accords, il a inventé peu à peu un style - même si je n’aime pas parler ainsi car j’ai horreur des barrières - qui était un ensemble de sons, d'harmonies, de nouveaux horizons. J'adorais le son qu'il avait sur les guitares acoustiques. Et j’aimais tous ces renversements d'accords qu’il jouait, c’étaient des choses qu’il avait inventées ! Il ne jouait pas du tout les accords comme un guitariste mais comme un pianiste, en tout cas dans la largeur du spectre des accords. Sylvain avait la particularité de faire sonner la guitare comme un piano, on va dire ! Pour moi d'ailleurs, ce n’était pas un guitariste, il avait débuté par le violoncelle classique. Ce qui m'a ému aussi chez Sylvain, c'est aussi cette façon qu'il avait d'accompagner. Je pouvais jouer une note pendant deux minutes - tant que je pouvais souffler dans ma trompette - et il y a toute la musique du monde entier qui passait derrière !

Thierry Eliez (ami et complice musical de Sylvain Luc depuis leur adolescence) : L'aisance de Sylvain, cette fluidité, cette facilité à faire de la musique, à en écrire, à en jouer, à en improviser, ont toujours résonné en moi. D’autant plus qu’à une époque, on nous comparait beaucoup, les gens disaient souvent qu'on avait en commun cette compréhension rapide de la musique et cette facilité à exprimer par la musique ce qu'on voulait.

Paul Lay (pianiste) : En plus d'être un artiste d'une humanité, d'une générosité, d'une curiosité comme on en rencontre rarement, un guitariste génial et un virtuose hors pair, ce que j'adorais partager avec Sylvain, c'est cette oralité dans la musique. Il avait une oreille, une oreille intérieure, vraiment exceptionnelle à laquelle je suis sensible. Celle des plus grands improvisateurs qui peuvent réagir dans l'instant et qui entendent à l'avance leur discours... Ils maîtrisent très bien le lien entre l'oreille et leurs doigts. Avec Sylvain, c'était d'un niveau stratosphérique comme j'en ai peu connu, ce qui fait que la communication et le dialogue, musicalement, sont instantanés et très profonds. On a confiance en l'autre parce qu'on entend très clairement son discours. Tout est facile.

Pierre Bertrand (collaborateur artistique sur différents projets à partir de 2012) : Juste avant que Sylvain disparaisse, j’avais sorti mon album Hope et on avait fait un concert pas loin de chez lui, à Vitrolles, en janvier 2024. C’est un disque qui avait été enregistré en quartet, ainsi qu'un orchestre à cordes qui n'était pas du déplacement. Sylvain est venu jouer à ce concert. C’était incroyable : avec sa guitare, il a remplacé les cordes, il a tout rempli, il a tout fait d’oreille… Il avait une oreille et une mémoire ahurissantes. Et comme il était évidemment virtuose, ça lui permettait d'avoir un contact direct entre le son qu'il entendait et ce qu’il pouvait sortir à la guitare. C'est-à-dire qu’il n'avait pas besoin de lire la musique, il n’avait besoin de rien. Sylvain Luc avait des capacités extraordinaires. Il alliait tout, le surdoué et l'immense artiste capable d'émouvoir le public. Il fait partie des très grands que j'ai côtoyés. Je le mets tout en haut avec les grands musiciens internationaux.

Un compositeur mélodiste

Marylise Florid, qui partageait la vie de Sylvain Luc depuis 2000 et l'a épousé en 2016 : Sylvain était un musicien tellement impressionnant sur scène que souvent, les gens oublient à quel point il a composé. Il a écrit énormément. Et sa musique a quelque chose d'assez rare, elle fait du bien parce qu'elle amène son caractère profond qui est cette joie. C'est un grand rythmicien qui possède une richesse harmonique folle et qui compose des mélodies très poétiques. Avec le temps, il avait envie de se consacrer de plus en plus à sa propre musique. Sa personnalité positive ressort dans sa musique d'une façon impressionnante.

Stéphane Belmondo : Sylvain était le même dans la composition comme dans le jeu. Quand il improvisait, il y avait toujours de la mélodie. Mais il n’y avait jamais rien de compliqué, jamais rien de gratuit, et ça c'est important. Pour moi, s'il n'y a pas de mélodie dans la vie et dans la musique, alors il n’y a pas de musique. C'était un mélodiste hors pair, et ses compositions en étaient le reflet. Comme Sylvain, je suis très attaché à la mélodie avant tout. C'est peut-être aussi pour ça qu'on s'est retrouvé sur ce même terrain.

Thierry Eliez : Il y avait une aisance dans la composition, et puis cette façon de ne pas se poser de questions. C'est ça qui était beau, cette facilité, ce naturel : il jouait, il improvisait, puis ça devenait un morceau. Il composait comme il respirait. Une telle spontanéité, c’est quelque chose de rare.

Pierre Bertrand : Je pense que beaucoup de ses compositions étaient des jets un peu intuitifs, ce qui en faisait quelque chose de très organique. C'est un compositeur qui était très basé sur la mélodie et sur des rencontres surprenantes harmoniques venant beaucoup de la guitare.

Une source d'inspiration immuable

Marylise Florid : On était un couple d'artistes mais on n'a jamais été dans la rivalité, ni l'un ni l'autre. Ce n'était pas dans nos caractères. Il existait plutôt une émulation constante entre nous. On s'enrichissait. Chaque jour, lui comme moi, on avait toujours envie de jouer mieux pour faire plaisir à l'autre. Je crois que cela qui nous a enrichis musicalement. On se motivait, on se poussait à aller plus loin. Sylvain m'a donné de la confiance pour être encore plus moi-même dans ma musique, et dans la vie. Depuis toujours, je compose mais je ne jouais jamais mes compositions en public. C'est Sylvain qui m'a encouragée à me lancer. C'était quelqu'un de très rassurant et très motivant. On se tenait la main dans tout ce qu'on faisait. Et je crois qu'il me la tient encore...

Stéphane Belmondo : Ce qui m’a beaucoup marqué chez Sylvain, ce n’était pas le fait qu'il joue trois milliards de notes. Pour un musicien, jouer le silence, c'est difficile. Même quand on avance en âge. On parlait très souvent de ça. Encore aujourd'hui, c'est ce que je cherche. On cherchait ça tous les deux et on commençait à y arriver. Malheureusement, il nous a quittés trop tôt. Je lui parle souvent, je lui dis : "On est en train de le trouver, même si tu es quelque part, loin de nous, on essaie…" En tout cas, je continue ce que j'ai toujours fait : jouer avec lui. Ça ne s'arrête pas et c'est important.



Pierre Bertrand : De mes expériences musicales avec Sylvain, ce que je conserve, c'est l'exigence artistique absolue. Ce n’est pas que je l’ignorais, mais c'est bien qu'on le rappelle, car c'est le plus important, quoi qu'on fasse. Sylvain prônait aussi le lâcher-prise le plus total. Or pour y arriver, il faut travailler énormément, donc l’allier à l'exigence la plus élevée. Il m'a dit souvent : "Arrête de préparer les trucs. Vas-y, on veut t'entendre jouer, lâche-toi." Il m'a encouragé à faire des choses en soliste, alors que j'étais identifié comme chef d'orchestre, arrangeur ou compositeur. Il m'a beaucoup aidé pour affirmer cette facette.

Thierry Eliez : Sylvain m'a transmis cette simplicité, cette espèce de challenge de curiosité dans son rapport à la musique. Avec tous les musiciens avec qui il a joué, je pense qu'il y avait cette culture de l'échange permanent, de l'écoute, ce goût de tenter de nouvelles idées, de nouvelles sonorités,  de nouveaux accords. On se "challengeait" pas mal sur scène ! Mais c'était plutôt une émulation et ça m'a beaucoup apporté, enrichi.

Stéphane Belmondo : J’ai tout appris avec Sylvain, dans le sens où on a avancé ensemble, y compris humainement. J'ai eu la chance de développer avec lui une musique qui était propre à nous deux.

Bienveillant, bon vivant, à l'humour redoutable

Marylise Florid : Sylvain était quelqu'un très joyeux, un être de lumière sur cette Terre. Très vite après sa disparition, quand il a été question d'un hommage, l'une de mes volontés premières a été que l'on célèbre sa vie dans un esprit festif, même s'il y aura forcément des larmes. Je ne voulais pas d'un hommage "plombant", comme il disait. Il n'aimait pas quand "ça plombait" ! Donc j'essaie de garder toujours en tête la joie de vivre qu'il communiquait aux autres, son optimisme constant. Dès le départ, j'ai été frappée par sa bonté. C'était quelqu'un de gentil dans le sens le plus noble du terme, d'une tendresse infinie. Je ne connais personne qui était aimé autant que mon mari. Quand Sylvain est parti, dans chaque commerce de notre quartier où j'ai annoncé la nouvelle, j'ai vu les gens s'effondrer en larmes, des gens qui ne le connaissaient même pas en tant que musicien. J'ai reçu une espèce de solidarité, un élan d'amour hallucinant...

Stéphane Belmondo : Sylvain était plus qu'un ami pour moi, c'était un frère. On était arrivé à un point où on ne se parlait carrément plus. Il y avait juste des regards qui se croisaient, que ce soit pour la musique ou dans la vie. On parlait finalement rarement de musique. On parlait des belles choses de la vie, de bon vin, de bonne bouffe parce que j'adore cuisiner, lui un peu moins donc il profitait de ma cuisine ! Ce qui me réconforte quelque part, c'est qu'il a très bien vécu et qu’il a fait des choses qu'il avait envie de vivre. Les Basques ont un caractère assez ancré dans les "vraies" choses on va dire, ils ne cachent pas leurs émotions. Il y a des gens qui voyaient Sylvain comme un pince-sans-rire, ils ne comprenaient pas son humour ou ses réactions. Côté caractère, Sylvain était l'opposé de moi, et bizarrement on se ressemblait. Il disait tout haut ce que je pensais tout bas. Quand il sentait que je ne voulais pas dire quelque chose, il l'exprimait pour moi, ou inversement : il y avait juste un regard, ou même pas, je le sentais et je répondais pour lui. Parfois, Sylvain disait les choses de manière trop directe - même s'il ne les disait pas méchamment -, ce qui pouvait choquer les personnes en face de lui. Alors que derrière ce personnage et cette facette, se cachait un être humain exceptionnel, rempli de gentillesse et d'amour, la personne la plus sensible de la planète.

Thierry Eliez : Sylvain avait un cœur énorme. En tant que personne, il était d'une générosité et d'une gentillesse immenses. Avec lui, tout était simple. Et il avait beaucoup d'humour, il était très drôle, on riait des mêmes choses. Je me souviens aussi que je le pensais un peu timide dans les premiers temps où on s'était côtoyés quand on était minots, il était un peu sur la réserve. Aujourd’hui je retiens de lui sa bienveillance, cette tranquillité et ce calme qui émanaient de lui.

Pierre Bertrand : La première fois qu’on a travaillé ensemble, c’est sur le dernier album d’André Ceccarelli, Ultimo, sorti en 2012. Après, on est resté en contact. Je ne peux pas dire qu’on s'appelait souvent, mais quand on se parlait ça durait au moins 2 heures. C'est un truc qui m’est resté. On avait une relation assez amicale, assez forte, et donc on pouvait rester un moment sans se parler, mais quand on s'appelait c'était long. C’est quelqu'un qui était très proche des gens, dans le sens où il s’intéressait à eux, posait des questions, se renseignait sur eux, leur famille... Ce n’est pas si courant de la part de quelqu’un qu’on ne connaît pas bien. Il était très attentionné.

Souvenirs et images en vrac

Paul Lay : Il y a un moment très fort, hors du temps, qui m'a touché. En marge du jubilé que le producteur Alex Dutilh avait organisé à Radio France pour fêter ses 40 ans de radio (en mai 2023, ndlr), je me suis retrouvé dans les loges avec Sylvain Luc et Michel Portal. On était trois Basques dans un petit studio avec un piano et on a commencé à improviser, Michel a pris sa clarinette. On a fait quelques minutes de musique ensemble, ça a été un bonheur exceptionnel de s'amuser entre nous, trois gars du pays, trois générations différentes. Il n'y a ni photo, ni enregistrement de ces instants. On se disait qu'on allait se revoir tous ensemble. Avec Sylvain que je connaissais depuis plus de vingt ans, on avait décidé de créer un projet à deux, d'enregistrer un disque et de partir en tournée ensemble...



Thierry Eliez
: Je revois Sylvain quand on était en studio avec Catherine Lara. Il avait amené ses guitares. D’un seul coup il dit : "Alors, qu'est-ce que tu veux, Catherine ? Ah, de la 12 cordes ? OK, je sors la 12 cordes... L'acoustique ? Ok, là on va faire de l'acoustique... Tu veux un solo à cet endroit-là ? Allez, hop. Ah, c'est quoi les accords là ? Tu veux quoi, là ? Rythmique ? Une cocotte (technique de jeu, ndlr) ?" Et Catherine Lara qui me regardait d’un air de dire : "Mais ce n'est pas possible !" Je lui dis alors : "Ben ouais, c'est un numéro à part !". Il me revient aussi une chanson basque que Sylvain chantait dans les soirées un petit peu festives, en duo avec son vieux complice batteur Nicolas Filliatrot avec qui il avait fait du bal (disparu en 2022). C'était à crever de rire ! Sylvain avait quelque chose de surréaliste dans son humour, il pouvait se planter devant moi, sortir une petite phrase qui n’avait aucun sens et tourner les talons !

Pierre Bertrand : J'ai eu des expériences phénoménales avec Sylvain. Lors d’une session en studio, j’ai observé qu’il était capable d'écouter d'une oreille un arrangement qu’on passait, avec toute la structure qui défilait, sans regarder la partition. Tout en écoutant d’une oreille, il n'arrêtait pas de raconter des blagues. Une fois que la bande est passée, il fait une partie guitare dessus, directement, sans partition, et la guitare est incroyable. Puis il dit : "Je peux en faire une autre, un peu différente, ça complétera." Et allez, il en fait une deuxième, différente. Je n'écris pas souvent des arrangements très faciles. Je me disais : "Mais qui c'est ce gars ?" Pour lui, c’était un petit footing matinal !

Des morceaux (compositions ou reprises) à faire découvrir

Marylise Florid : Parmi les mélodies très poétiques de Sylvain, je citerais Vue du 7ème et Les Yeux dans l'eau. Elles font du bien à l'âme quand on les écoute. Il y a aussi 80 vs 2000 dans l'album produit par Renaud Letang, pour citer une composition beaucoup plus rythmique de Sylvain. Parmi les plus belles reprises qu'il a pu faire, j'ai envie de citer son Over the Rainbow, sublimissime, paru dans son dernier disque. On y trouve aussi un titre basque superbe, Nik Baditut Bortuetan.

Stéphane Belmondo : Dans ses compositions, je peux citer Evanescence et Ameskeri. L'une est assez connue, l’autre un peu moins, elles représentent vraiment Sylvain. Bizarrement, c'est deux ballades. Parmi les reprises qu'il aimait faire, je pense à une chanson qu’on jouait très souvent en concert, L’Hymne à l’amour d’Edith Piaf. On avait l’habitude de la reprendre en rappel. On la jouait sans improvisation parce qu'il y a des mélodies qui se suffisent à elles-mêmes, même si c'est un bonheur d'improviser sur ce thème.

Thierry Eliez : Il a écrit beaucoup de choses, des belles ballades, dont une qu’on joue au Châtelet samedi 8 février, L'Impressionniste, extrait de l'album Organic. J'adore cette mélodie, c'est un thème assez long avec des mouvements harmoniques à la fois totalement originaux dans l’écriture et d’une grande fluidité, comme une évidence. Ça me dépasse !

Pierre Bertrand : Côté compositions, je vais citer Eraldi. Et côté reprises, Xarmegaria, un traditionnel basque arrangé et réharmonisé par Sylvain. Il était capable de reprendre n’importe quoi, des choses à l’ancienne, des trucs comme Au clair de la lune, et d'en faire quelque chose de phénoménal. Je l'ai entendu jouer Sous le ciel de Paris. C'était incroyable. Sylvain, je l'ai vu toujours au top, quel que soit le style ! J'avoue qu’il y a un truc où on ne l'entendait pas beaucoup, c'est quand il faisait vraiment du jazz – pur et dur, je veux dire. Un truc swing. Et ça, c'était démoniaque ! Si j'avais eu le courage et la possibilité de lui donner un conseil, je lui aurais suggéré de faire un disque entier comme ça. Il jouait toujours assez moderne et ouvert, mais quand il se lançait sur cette voie, il envoyait de ces phrases, c'était vraiment pas possible ! Il mettait tout le monde d'accord.

Des albums pour se plonger dans son univers

Marylise Florid : J'aurais tendance à proposer un album de Sud (son célèbre trio formé avec André Ceccarelli et Jean-Marc Jafet en 2000, ndlr), peut-être le disque qu'il a fait avec Renaud Létang (Sylvain Luc by Renaud Létang, ndlr) et Nahia (1999, ndlr) qui est magnifique.

Stéphane Belmondo : Le premier album de Sylvain que je peux vous signaler, c'est celui qu'il a enregistré avec ses deux frères, Nahia. Son jeune frère Serge, batteur, est décédé prématurément (en 2010). Il y a aussi son album solo Simple Song sorti en 2023. Après il y a un disque que j'adore, qui a beaucoup d'humour, sur les chansons françaises, Souvenirs d'enfance (2013).

Thierry Eliez : Il y a tellement d'albums à écouter ! Je me souviens de l’album Petits déjà.., avec Louis Winsberg, je l’aimais beaucoup. J’aimais aussi Organic, le son de ce disque, j’ai aimé le faire avec Sylvain... J'aime tous les solos, les participations, ce qu'il a fait avec Stéphane Belmondo…

La vie sans Sylvain Luc

Stéphane Belmondo : Ça va faire bientôt un an. Je suis toujours dans le déni. On était plus que proches, c’était plus qu'un frère pour moi. Ça a été plus qu'un choc et ça l’est encore aujourd'hui, c'est très lourd, c’est compliqué. Mon papa est décédé il y a 5 ans de la même chose. Ça m'a renvoyé 5 ans auparavant. À la limite, j'étais peut-être plus proche de Sylvain que de mon papa, parce que nos parents, on ne les choisit pas ! Mais on choisit nos amis. De toute façon il est avec nous à chaque fois qu’on joue une note de musique. Il y a des périodes où on s'appelait tous les jours. Il était aussi bavard que moi. Quand on se parlait, au bout d'un moment il prenait sa guitare et je prenais ma trompette, et à travers le téléphone, on jouait pendant 30, 45 minutes, une heure… Chaque fois que je joue une note de musique, je n'ai plus cette connexion avec aucun musicien du monde entier... Une connexion telle que quand vous parlez à quelqu'un, pendant dix secondes, vous allez dire exactement les mêmes mots, la même phrase... Parfois ça nous faisait peur ! C’est plus que rare, mais j’ai eu l’occasion de le vivre. J’arrive à 60 ans, j'espère que ça m'arrivera encore… Mais avant tout, Sylvain me manque humainement, je préférerais qu'il soit encore parmi nous et qu'il ne joue plus de musique, ou que moi je n'en joue plus, mais qu'il soit là. Je pense que la musique soigne. Ça nous arrivait tous les deux d'être malades au moment de monter sur scène et de jouer 2h30 voire 3 heures en duo, puis sortir de scène et ne plus être malades. La musique de Sylvain me manque aujourd'hui. Heureusement qu'il a beaucoup enregistré et qu'il nous laisse tellement de belles choses.

Thierry Eliez : Il me manque tout de lui, non seulement l'aspect musical mais l'aspect humain, l'aspect fraternel, car il était comme une espèce de frère de musique, et pas seulement. Son humour, sa voix, son parler, ses petites pointes humoristiques, un peu surréalistes... On s’amusait à citer Jacky Bernard, ce gars qui se prenait pour le meilleur chanteur du monde et qui avait passé une audition devant Fernand Raynaud…

Marylise Florid : Je crois que parmi les choses qui me manquent le plus, c'est de rire avec lui. Vraiment. Il était tellement drôle... C'est certainement quelque chose qui nous manque à tous. Il faut accepter que la vie est plus forte que nous. Ma maman dit une chose très belle : "Il y a une seule chose que la mort ne peut pas nous enlever, c'est l'amour."

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