: Interview Exposition "Disco" à la Philharmonie : "Nous voulons rétablir la vérité sur cette musique", prévient son commissaire
Jean-Yves Leloup, qui a conçu cette riche exposition, une première mondiale sur la musique disco, nous éclaire sur ses intentions et la réalisation de ce parcours qui révèle le politique sous la boule à facettes.
La musique disco est à l'honneur à la Philharmonie de Paris à partir de vendredi 14 février avec l'exposition Disco, I'm Coming Out. Il y a cinquante-cinq ans tout pile, le 14 février 1970, un certain David Mancuso organisait chez lui, dans son loft new-yorkais, une fête baptisée Love Saves the Day pour la Saint-Valentin. Il mixait jusqu'au petit matin pour une faune très mélangée, unie sur la piste de danse. Ainsi naissait le premier club disco baptisé The Loft.
Les années suivantes, le disco essaimait et gagnait en popularité jusqu'à devenir un phénomène planétaire à la fin de la décennie. C'est l'histoire singulière de ce mouvement musical festif et politique, ancré dans la culture afro-américaine et compagnon de route de la visibilité gay, que raconte l'exposition Disco, I'm Coming Out, bien au-delà des paillettes. Tour d'horizon en avant-première avec le journaliste, auteur et commissaire d'exposition Jean-Yves Leloup.
Franceinfo Culture : Qu'est-ce que le disco ?
Jean-Yves Leloup : Le disco est une évolution de la musique noire américaine du début des années 1970, qui puise dans la soul, le funk, le gospel pour le chant, avec des fragments de jazz et de percussions latinos et africaines pour les sections rythmiques. C'est une musique dynamique, enjouée, portée par des paroles optimistes, hédonistes et des thématiques d'émancipation – gay, afro-américaine et féministe. Cette musique noire américaine, dédiée au plaisir de la danse et de la fête, va être jouée par une jeune génération de DJ majoritairement italo-américains, qui vont y trouver une énergie adaptée aux clubs, avant même que le disco ne se conçoive comme un genre musical.
Quel est votre rapport personnel au disco ?
Je suis né en 1968, donc en 1978, au pic de la popularité du disco, j'ai 10 ans. Enfant, cette musique fait partie de mon environnement culturel : Village People, Patrick Juvet, La Fièvre du samedi soir, ce sont des morceaux qu'on entend à la radio, dans les émissions de variété à la télé. Le premier disque que j'ai acheté, c'était un maxi 45T de Village People, YMCA. J'ai vibré très jeune aussi au thème disco électronique de la BO de Midnight Express, The Chase de Giorgio Moroder que j'écoutais énormément. Après, je suis plutôt allé vers le rock, la new wave, la musique industrielle, des choses réputées anti-disco, mais en me plongeant dans la culture house, techno, électro, je me suis rendu compte que le disco est à l'origine de la dance culture telle qu'on la connaît aujourd'hui.
Qu'aviez-vous le plus à cœur de montrer dans cette exposition ?
Dans cette exposition, on parle de technologie, de société, de politique, d'instruments, de discothèques, de persistance du phénomène jusqu'à nos jours. Nous avons voulu avoir une approche panoramique du disco, qui n'est pas que musical. L'une des ambitions de ce projet est de rétablir la vérité sur le disco, qui est à la fois afro-américain, mais aussi européen, lié à des minorités, mais ultra populaire. Donc rétablir la nuance et la complexité, la richesse de son histoire. Montrer ses origines africaines américaines, et le lien entre cette musique et les luttes sexuelles, raciales, identitaires, politiques, féministes de son époque. Nous exposons dans un musée de la musique, donc nous essayons de toucher à une certaine vérité historique du mouvement. Ce qui m'intéresse, c'est d'articuler la création musicale et son contexte, quel en est l'arrière-fond politique et historique, comment la société se reflète dans la musique.
Certains considèrent que Hollywood, avec le film La Fièvre du samedi soir, a en quelque sorte tué le disco.
Je vois ça avec plus de recul et d'objectivité. À l'exposition, on ne juge pas l'histoire, on montre une réalité. C'est un film phénomène très important, sorti en 1977, dont on voit des extraits à l'exposition sur de nombreux écrans, avec John Travolta dansant sur la musique des Bee Gees. Il y a un avant et un après. À l'époque, il y a déjà des tubes disco, mais le film va mondialiser cette musique, qui se répand alors dans toutes les classes sociales. Tout d'un coup, le disco sort de New York et de ses sphères underground pour rayonner autour du monde. Alors, il est vrai que cet événement culturel, cette caisse de résonance, a aussi précipité l'overdose disco qui, à la fin des années 1970, était partout, dans la publicité, les films, les séries et les céréales du matin, toute la culture populaire s'étant mise au diapason après le succès du film.
De grandes figures du disco ont-elles collaboré à l'exposition ?
Ceronne a participé très facilement. Les Français connaissent la Philharmonie et la qualité des expositions donc ce n'était pas trop difficile, même avec des photographes de l'époque du Palace comme Pierre & Gilles. Pour les artistes américains, ça s'est avéré très compliqué, à part Nile Rodgers qui nous a répondu tout de suite favorablement, même s'il ne nous a accordé que peu de temps. Pour les autres artistes américains, il est presque impossible de passer le barrage du management et des héritiers, car c'est une musique qui génère encore énormément d'argent, de royalties. Nous avons surtout eu affaire à des "estates", qui veillent à la conservation de la mémoire de personnalités. Des associations gay de San Francisco et New York nous ont prêté des documents immédiatement, parce que pour eux, cette préservation de l'histoire est très importante. La GLBT Historical Society de San Francisco nous a notamment prêté les deux très beaux costumes de Sylvester.
Comment réalise-t-on une exposition sur un genre musical qui donne avant tout des fourmis dans les jambes ?
Cette exposition n'entend pas remplacer une boîte de nuit ! Même si la bande son mixée par Dimitri From Paris sonorise tous les espaces et réunit les visiteurs au son d'une même musique. Pour l'exposition, il fallait créer un environnement esthétique et sensoriel qui témoigne de la ferveur du disco, mais avec une volonté pédagogique, muséale, historique, pour montrer la réalité d'une époque. C'est-à-dire créer un environnement à la fois drôle, délirant, coloré, mais aussi marqué par la gravité des luttes sociales et politiques et l'arrivée du sida – c'est quand même une expo peuplée de fantômes et de personnes disparues. Nous avons donc essayé de marier ces différentes dimensions pour créer une expérience de visite qui soit à la fois puissante, touchante et instructive.
Exposition "Disco, I'm Coming Out" du 14 février au 17 août 2025 à la Philharmonie de Paris,
221 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris
Horaires : du mardi au jeudi de 12h à 19h, vendredi de 12h à 21h, samedi et dimanche de 10h à 19h, tarifs : 15 euros, 11 euros (26 à 28 ans), 9 euros (moins de 26 ans), gratuit (moins de 12 ans)
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