Art rupestre : des Aborigènes australiens interpellent l'Unesco pour protéger un site emblématique

Parmi les sites étudiés, on compte celui de Murujuga, une région reculée abritant, d'après les estimations, près d'un million de pétroglyphes. Ces gravures, qui pourraient dater de 50 000 ans, font de cet endroit l'un des plus remarquables au monde en matière d'art rupestre.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
À Sydney, le 26 janvier 2024, des milliers de manifestants brandissent le drapeau aborigène pour réclamer la reconnaissance des droits des Aborigènes lors de l'Australian Day. (THEO ROUBY / HANS LUCAS / AFP)
À Sydney, le 26 janvier 2024, des milliers de manifestants brandissent le drapeau aborigène pour réclamer la reconnaissance des droits des Aborigènes lors de l'Australian Day. (THEO ROUBY / HANS LUCAS / AFP)

Originaires de la péninsule de Burrup, dans le nord-ouest de l'Australie, jusqu'au siège de l'Unesco à Paris, des Aborigènes australiens se mobilisent pour défendre un site majeur d'art rupestre, une nouvelle étape dans un conflit qui les oppose à des géants miniers, mais aussi à leur propre gouvernement. Trois représentants du peuple Mardudhunera ont parcouru des milliers de kilomètres pour rencontrer cette semaine à Paris des délégués venus du monde entier, réunis pour la 47e session du Comité du patrimoine mondial, qui doit décider quels sites seront inscrits sur la liste protégée.

Parmi les sites examinés figure celui de Murujuga, une région isolée où se trouvent, selon les estimations, près d'un million de pétroglyphes, des gravures qui pourraient remonter à 50 000 ans, faisant de ce lieu l'un des plus importants au monde en matière d'art rupestre.
Raelene Cooper, gardienne traditionnelle de Murujuga, lutte depuis plusieurs années pour préserver ce lieu sacré de la culture aborigène, menacé directement par l'exploitation minière. "Regardez", alerte-t-elle en montrant des vidéos de sa région où de vastes installations industrielles surgissent au milieu de la terre rouge. "Vous voyez l'ampleur de ce chantier ?"

Des sites sacrés menacés

"Nos ancêtres nous ont laissé ces gravures pour que nous maintenions notre culture à travers ces sites sacrés. Là, à cet endroit, j'emmenais les anciens régulièrement", précise son fils Mark Clifton, en désignant sur une photo une zone désormais recouverte de constructions industrielles. La région du Pilbara, riche en ressources naturelles, suscite depuis des décennies l'intérêt des géants miniers. Du minerai de fer est notamment exporté via le port de Dampier, à l'entrée de la péninsule. La ville de Karratha, non loin de là, abrite une usine de gaz naturel liquéfié. L'entreprise australienne Woodside Energy exploite notamment North West Shelf, un complexe industriel comprenant des plateformes offshore, des pipelines sous-marins et des installations de transformation des hydrocarbures.

La présence de ces groupes miniers a déjà causé des dégâts, soulignent des associations environnementales et autochtones. Benjamin Smith, professeur d'archéologie à l'université d'Australie-Occidentale et spécialiste d'art rupestre, a observé des dommages.
"Des oxydes d'azote et des oxydes de soufre sont émis par l'industrie, attaquent le manganèse et créent des centaines de trous à la surface. Cela provoque la dégradation des surfaces d'art rupestre", explique-t-il à l'AFP.
Woodside Energy assure, pour sa part, avoir "pris des mesures proactives depuis de nombreuses années – y compris des réductions d'émissions, le partage de données et un soutien continu au programme de monitoring d'art rupestre de Murujuga – pour s'assurer que nous gérons nos impacts de manière responsable."

Fermeture reportée

Cependant, fin mai, le gouvernement australien a donné son feu vert, sous conditions, à la prolongation jusqu'en 2070 de l'exploitation du site, dont la fermeture était initialement prévue pour 2030.

Se sentant ignorée par Canberra, la petite délégation menée par Raelene Cooper est venue demander que l'Unesco impose un moratoire sur tout nouveau dommage comme condition à l'inscription au patrimoine mondial de l'humanité du site de Murujuga.

Action en justice

"Nous ne nous opposons pas au classement au patrimoine mondial de l'humanité", précise Raelene Cooper, qui a par ailleurs engagé une action en justice contre le ministre australien de l'Environnement. "Cependant, il doit y avoir, au plus haut niveau, des garanties et des mesures de préservation."

Face à eux, le gouvernement australien a également dépêché une délégation, comprenant des membres de la communauté aborigène locale, signe de la complexité du dossier. "L'inscription au patrimoine mondial renforcerait les protections déjà importantes mises en place pour préserver ce site d'une importance capitale", affirme-t-il dans une déclaration transmise à l'AFP. "Cette nomination a été préparée en partenariat avec les propriétaires et gardiens traditionnels de la Corporation aborigène de Murujuga ainsi qu'avec le gouvernement d'Australie-Occidentale", souligne-t-il.

État d'urgence

L'Icomos, ONG spécialisée partenaire de l'Unesco, juge "urgent" pour l'État australien de "veiller à l'élimination totale des émissions acides néfastes qui affectent actuellement les pétroglyphes (...) afin de préserver durablement l'intégrité du bien", selon un rapport consulté par l'AFP.

"Si le gouvernement national ne peut pas s'occuper de ce site lorsqu'il n'est pas inscrit au patrimoine mondial de l'humanité, je ne vois pas en quoi son inscription fera une différence", conclut Benjamin Smith.

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