A Avignon, "Les Damnés" installent la barbarie dans la Cour d'honneur
C'est l'événement de cette 70e édition. L'adaptation des "Damnés" de Visconti signe le retour de la Comédie-Française au Festival d'Avignon après 23 ans d'absence, sous la direction d'un grand metteur en scène européen, Ivo van Hove (qui a créé cette année "Vu du pont" à l'Odéon, "Kings of War" d'après Shakespeare à Chaillot et "Lazarus" de David Bowie à Broadway). Soir de générale.
Il est minuit passé ce soir de générale. Les martinets se sont tus et la fraicheur de la nuit n'est pas encore montée. La Cour d'honneur n'est plus qu'un champ de morts. La rangée de cercueils, à droite de la scène, s'est remplie. Martin, l'héritier des magnats de la sidérurgie, la famille Essenbeck, s'est transformé en parfait nazi, en tueur.
Martin, c'est Christophe Montenez, qui reprend le rôle d'Helmut Berger dans le film de Visconti. Il livre une performance saisissante dans la peau de ce désoeuvré mélancolique, mal aimé de sa mère, et qui semblait au départ incapable de faire mal à une mouche.
Reportage : F. Poret / O. Ducros-Renaudin / A. Paul
Comment la barbarie naît-elle et comment se laisse-t-on dévorer par elle ? Les compromissions de l'économie avec le politique. C'est ce bouleversement des valeurs, ce basculement d'une famille et de tout un peuple, qu'Ivo van Hove cherche à nous faire toucher.
"Aller au coeur de la violence"
"C'est un des rares metteurs en scène a être aussi capable de mettre la violence en scène, d'aller au cœur de la violence", confie Denis Podalydès qui incarne un des fils, brutal et frustré, qui lui aussi aura un destin tragique. "Il développe en nous une radicalité extrême. On ne peut pas ne pas penser au djihadiste, comment un homme devient un tueur de masse."Le chef d'orchestre de cet opéra barbare, celui qui voit du potentiel dans la haine, la frustration et la peur, celui qui manipule, est un major SS, cousin de la famille, Wolf von Aschenbach. Eric Génovèse l'incarne avec une froideur, une détermination, une inhumanité terrifiante. Mais il en est encore tout secoué, vingt minutes après être sorti de scène.
"A la fin, je n'ai qu'une envie, c'est de fondre en larmes"
"C'est très éprouvant intérieurement. C'est éprouvant parce que ça fait toucher quelque chose de l'humanité qui est en nous, qui est effrayant. Je me dis que ce type a une éducation, une culture, c'est un aristocrate, pouvoir basculer dans l'horreur à ce point là ça pose vraiment des questions. Ça demande l'acceptation d'être à la fois un humain et un monstre. A la fin, je n'ai qu'une envie, c'est de fondre en larmes".Comme dans le très puissant film de Visconti, il faut tous les citer : Guillaume Gallienne (Friedrich Bruckmann), le bras droit de la famille, le parvenu pris dans l'engrenage de la barbarie ; Loïc Corbery, l'âme pure, le seul à percevoir le monde en train de se dessiner et qui va le payer cher ; Elsa Lepoivre, mère abusive de Martin, dégénérée mortifère et puis Adeline d'Hermy, Alexandre Pavloff, Clément Hervieu-Léger, Jennifer Decker et Sylvia Bergé. Ils sont tous superbement choisis et parfaitement crédibles pour composer cette famille, eux qui sont une troupe au quotidien.
"Un rituel qui célèbre le mal"
Pour donner de l'ampleur à sa matière, un scénario, servir sa narration, Ivo van Hove utise des sons, de la musique, de la vidéo filmée en direct, qui rapproche les acteurs et nous livre leurs plus intimes émotions.Parce qu'il construit sa pièce comme un grand rituel de mort ("un rituel qui célèbre le mal" selon ses propres mots ), à intervalle régulier une alarme sonne le rassemblement de tous les personnages, silencieux face au public ; comme si, témoins passifs, nous étions nous aussi responsables de ce qui se joue.
En revanche, il ne cherche pas à utiliser tout le potentiel de la Cour d'honneur. "Les Damnés" se passent en vase clos et doivent selon lui laisser planer une atmosphère irrespirable. On apprécie cependant d'autant plus la fluidité de ce spectacle qui réussit grâce à toutes les techniques d'aujourd'hui à nous mettre au coeur de cet empire, en juxtaposant parfois les séquences.
Parmi les images fortes qui resteront : les séquences familiales du début et notamment le désespoir de Herbert Thallmann (Loïc Corbery) contraint à la fuite ; Montenez travesti entonnant un air de Marlene Dietrich; la Nuit des longs couteaux avec un Podalydès insensé, se livrant avec de jeunes soldats à une bachanale qui se terminera en bain de sang. Et bien sûr la scène où Martin, évoluant vers son statut de criminel, viole une enfant dont il ignore encore qu'elle est juive.
Il y a de la tragédie grecque, du Shakespeare dans la vision de van Hove. "Friedrich, mon personnage, en un mot c'est Macbeth", me confirme Gallienne, "c'est sidérant tellement c'est le même !"
Didier Sandre, le chef de famille, le représentant de la vieille Allemagne, savoure le travail d'Ivo van Hove, sa poésie, sa mise en scène pour un public d'aujourd'hui. "Je suis le premier de cette Allemagne là, à partir en cendre. Une Allemagne qui lit Schiller, qui aime Beethoven, Schubert…"
De la troupe, c'est lui qui a le plus souvent dompté les fantômes de la Cour d'honneur, comme ces nuits où il jouait l'intégrale du "Soulier de satin" avec Ludmila Mikaël, sous la direction de Vitez.
"J'ai été photographier la Vierge, là haut sur l'ogive, et je l'ai envoyée à Ludmila. C'était une aventure extraordinaire, unique. Quand on a joué un tel spectacle, on se dit parfois qu'on peut tout arrêter. Trente ans après je meurs au premier acte, et pas après 12 heures de spectacle" (éclats de rire).
Un spectacle à retrouver sur France 2 et culturebox à 22H50 dimanche 10 juillet 2016, puis en replay.
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