Le metteur en scène américain Bob Wilson est mort à l'âge de 83 ans

"Peter Pan", "Turandot", "Einstein on the Beach"... Ses mises en scène d'œuvres originales comme d'ouvrages du répertoire traditionnel ont créé l'événement partout où elles ont été montrées, notamment en France.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le metteur en scène Robert 'Bob' Wilson pose lors d'une séance photo à Paris, le 1er septembre 2021. (JOEL SAGET / AFP)
Le metteur en scène Robert 'Bob' Wilson pose lors d'une séance photo à Paris, le 1er septembre 2021. (JOEL SAGET / AFP)

Il est connu pour ses créations originales au théâtre comme à l'opéra. Le metteur en scène américain Bob Wilson est mort jeudi 31 juillet à l'âge de 83 ans, a rapporté la fondation préservant son œuvre. "Nous sommes dévastés d'annoncer le décès de Robert M. Wilson, artiste, metteur en scène de théâtre et d'opéra, architecte, scénographe et éclairagiste, plasticien", a déclaré la Robert Wilson Arts Foundation, précisant qu'il s'était "éteint paisiblement" à Water Mill, dans l'Etat de New York, des suites "d'une maladie brève, mais foudroyante".

"Bien qu'il ait affronté son diagnostic avec lucidité et détermination, il a ressenti le besoin de continuer à travailler et à créer jusqu'au bout. Ses œuvres pour la scène, sur papier, ses sculptures et ses portraits vidéo, ainsi que le Watermill Center, resteront son héritage artistique", a ajouté la fondation.

Ce fils d'un avocat né le 4 octobre 1941 à Waco n'était pas prédestiné au théâtre. Waco, c'est "une petite ville du Texas sans musée ni théâtre, parce que Lincoln avait été assassiné dans un théâtre, c'était un péché d'y retourner", confiait-il au magazine Télérama en 2013. Dès l'âge de 12 ans, il joue ses propres pièces dans le garage familial mais à l'école, il se souvient être toujours "le dernier de la classe". Il sera guéri d'un grave problème de bégaiement grâce à un psychothérapeute qui travaillait avec la danse.

À la vingtaine, il atterrit à New York, mais déteste ce qu'il voit au théâtre et se rapproche instinctivement de l'avant-garde américaine : Andy Warhol, John Cage ou les chorégraphes George Balanchine et surtout Martha Graham. C'est elle qui le pousse à s'accrocher, quand il lui lâche : "Je ne fais rien de bien". Si ses créations ne font pas l'unanimité, il ne s'en émeut pas. "Neuf fois sur dix, on se dit ça ne marche pas, mais il faut aller de l'avant".

"Einstein on The Beach", un "ovni" de presque cinq heures

C'est en 1976 qu'il est propulsé sur la scène internationale avec Einstein on The Beach, un "ovni" de presque cinq heures monté à plusieurs reprises depuis sa création, et dont la musique est signée par le célèbre Philip Glass. "Bob et moi nous sommes rencontrés en 1973, dans les coulisses de son exposition "La vie et l'époque de Joseph Staline", à New York. Nous avons commencé à travailler ensemble, Bob dessinant et moi composant. Ce qui avait commencé comme une collaboration naturelle s'est transformé en notre œuvre "Einstein On The Beach". À partir de ce moment, nous sommes devenus amis et collaborateurs pour la vie", a commenté sur Instagram Philip Glass."Bob nous laisse avec sa vision brillante de tout ce qu'il a touché", a ajouté le compositeur américain.

Einstein on the Beach brise toutes les conventions de l'opéra classique. Il n'y a pas d'histoire linéaire, mais plutôt une évocation des thèmes liés à la vie d'Einstein. Il ne s'agit pas d'expliquer la théorie de la relativité, mais de faire percevoir le bouleversement introduit par la notion d'"espace-temps", notamment avec la danse. Esthétique épurée, langage corporel codifié, influencé par les formes théâtrales asiatiques, et jeu de lumières évoquant souvent un monde onirique sont les marques de fabrique de Bob Wilson, dont le travail scénique intègre une large variété de moyens artistiques.

Son histoire d'amour avec la France

Peter Pan, Turandot, Einstein on the Beach... Ses mises en scène d'œuvres originales comme d'ouvrages du répertoire traditionnel ont créé l'événement partout où elles ont été montrées. Mais c'est en France que cet artiste total a le plus fait l'unanimité.

La ministre française de la Culture Rachida Dati lui a rendu hommage : "Bob Wilson était un artiste visionnaire, un maître de la mise en scène, un sculpteur de la lumière" qui a "profondément marqué ses contemporains, notamment en France où il créa tant", a commenté la ministre de la Culture française, Rachida Dati. "Les Français m'ont donné un "chez moi"", racontait à l'AFP en 2021 le Texan, qui avait monté le spectacle d'inauguration de l'Opéra Bastille, à Paris, en 1989.

"Le maître de la lumière s'est éteint (...) Avec lui, disparaît l'un des plus grands inventeurs de la scène contemporaine. Je l'ai rencontré au Festival de Nancy, dans ces années flamboyantes où tout semblait possible. Ce fut un choc esthétique, une révélation", a renchéri l'ancien ministre de la Culture Jack Lang sur X.

L'histoire d'amour avec la France commence par Le regard du sourd, son premier succès, un spectacle "silencieux" de sept heures présenté au festival de Nancy en 1971, puis à Paris. Il ne lui vaut rien moins qu'une citation du poète Louis Aragon qui, bouleversé, écrit "je n'ai jamais rien vu de plus beau en ce monde depuis que j'y suis né". Le spectacle est né d'un incident fondateur : en 1967, Bob Wilson voit un adolescent noir de 13 ans, Raymond Andrews, se faire tabasser dans la rue par un policier. Il se rend compte que l'enfant est sourd-muet : il finit par l'adopter.

Des hommages rendus "sous peu"

Bob Wilson, également plasticien, a multiplié les collaborations : le chorégraphe Andy de Groat, Tom Waits, Isabelle Huppert pour Orlando de Virginia Woolf, Lady Gaga pour des portraits vidéos d'elle au Louvre ou encore la légende du ballet Mikhaïl Barychnikov. Sans oublier une quinzaine d'opéras montés de Paris à la Scala de Milan. 

Il aimait s'entourer de jeunes et a créé en 1992 près de New York le centre Watermill, qui a annoncé sur Instagram son décès d'une brève maladie. "C'est un grand atelier, comme on peut imaginer l'atelier de Véronèse ou Rubens à l'époque : les jeunes peignaient pour le maître qui passe, qui corrige, qui peint un peu", expliquait-il.

La Fondation Robert Wilson pour les arts a indiqué jeudi que des hommages seront rendus "sous peu" à cet artiste multidisciplinaire dans des "lieux qui étaient particulièrement importants à ses yeux".

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