"Certains se construisent une image à travers des récits de voyage" : un Français sur deux avoue avoir déjà menti sur ses vacances

Article rédigé par franceinfo - Léa Lebastard
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Touristes sur une plage. Photo d'illustration. (CLARA MARGAIS / PICTURE ALLIANCE / GETTY IMAGES)
Touristes sur une plage. Photo d'illustration. (CLARA MARGAIS / PICTURE ALLIANCE / GETTY IMAGES)

Un sondage révèle qu'un Français sur deux ment sur ses vacances pour sauver les apparences. Dans un pays où partir en voyage est extrêmement marqué socialement, les vacances sont devenues des signes de réussite, décrypte l'experte Armelle Solelhac.

Cette année, 40% des Français ne partent pas en vacances, selon l'Observatoire des inégalités. Et un sondage*, du mardi 22 juillet, réalisé pour l'entreprise d'épargne en ligne Yomoni indique que 54% des Français mentent sur leurs vacances "pour sauver les apparences", notamment sur la durée, la destination ou l'expérience vécue. Autre chiffres clés de cette étude : 42% des sondés estiment que l'inflation impacte leur été et 30% des Français confient avoir recours au crédit pour s'offrir une pause estivale.

Mais alors pourquoi les Français mentent-ils sur leurs vacances ? Un phénomène qui est loin d'être nouveau, alimenté en grande partie par le contexte économique actuel, la géopolitique et les réseaux sociaux. Pour mieux comprendre les enjeux, franceinfo a interrogé Armelle Solelhac, directrice du cabinet SWiTCH et experte en tourisme.

Franceinfo : Quelles sont les raisons qui poussent les Français à mentir sur leurs vacances ? 

Armelle Solelhac : Cette étude révèle notre rapport au statut social, au regard des autres, à la construction identitaire qu'on a au travers du voyage. Le voyage est, dans la culture française, une forme de miroir social et pas simplement un moment de repos. Les vacances sont devenues des signes de réussite, de goût, voire même de valeurs.

"En France, nos vacances sont sacrées ! Nous avons peur du jugement : le fait de se dire que nos choix peuvent être jugés, ça peut être perçu comme une forme d'aveu d'un échec personnel ou professionnel, dans certains cercles sociaux".

Armelle Solelhac

à franceinfo

Finalement, le mensonge devient une forme de mécanisme de protection où l'on va fabriquer un récit qui va être plus valorisant pour préserver son image. Des études sur la population américaine montrent que cette tendance existaient déjà dans les années 1960-70 avec une population nouvellement au chômage, de cadres notamment, qui n'arrivaient pas à avouer à leurs proches ou même dans des sphères sociales un peu plus éloignées, quelle était la réalité de leurs vacances. 

Les vacances nous définissent-elles réellement ?

Les vacances sont une forme d'identité par la consommation. Nous sommes dans une société où l'on est souvent défini parce que l'on consomme, parce qu'on vit et ce qu'on partage. Les vacances ne font pas exception, c'est un moment fort de "personnal branding". Certains se construisent une image d'eux-mêmes à travers des récits de voyage, quitte à les rendre plus spectaculaires qu'elles ne le sont en réalité. Donc ce n'est pas seulement mentir, c'est parfois pour convaincre les autres, parfois pour se convaincre aussi soi-même.

Certains, a contrario, décident de ne plus du tout parler de leurs vacances autour d'eux parce qu'ils vont faire de très belles vacances, et ils ne veulent pas être jugés, ne pas mettre mal à l'aise autour d'eux et à la fois préserver une forme de discrétion. Finalement, ça révèle une forme d'importance symbolique que le voyage a pris dans nos vies dans une société ultra-connectée, ultra-visibilisé et parfois ultra-jugeante. L'inflation peut aussi expliquer pourquoi certains Français n'arrivent plus à payer des vacances, qu'ils arrivaient à payer à une époque. Même si ça n'explique pas totalement le fait de faire des crédits. Enfin, ce n'est absolument pas nouveau : dans les années 1980, des études montraient déjà que ça ne posait pas de problème de s'endetter pour une dépense de loisirs, qui n'est absolument pas indispensable.

Observe-t-on le poids de plus en plus importants des réseaux sociaux sur les vacances ? 

Absolument. Certaines personnes préfèrent enjoliver, exagérer un peu ou carrément inventer des éléments de leur voyage pour s'aligner sur des normes qui peuvent être perçues, des notions d'aventures, de destination qui peuvent être tendance, d'hébergement qu'on va qualifier "d'Instagram". Les réseaux sociaux nourrissent une mise en scène permanente de soi, et on se met en comparaison permanente.

"Finalement, les stories de voyage complètement idylliques créent une forme de pression un peu implicite, comme s'il fallait avoir quelque chose à raconter, que ce soit à la fois beau, original et quelque part un peu enviable."

Armelle Solelhac

à franceinfo

C'est ce qui pousse certains à mentir ou à embellir plutôt que d'avouer qu'ils sont simplement restés chez eux ou qu'ils n'ont pas fait certains types d'activités ou même d'être aller au camping par exemple – comme s'il était honteux d'aller en vacances au camping. De plus, en ce moment, on a une grosse tendance sur la génération Z et la génération Alpha (1995 à 2020) a ne plus prendre la parole sur les réseaux sociaux pour ne pas être jugé et se préserver.

Méthodologie : enquête réalisée par BuzzPress pour Yonomi auprès d’un échantillon représentatif de 1102 personnes résidant en France, âgées de 18 ans et plus. Sondage effectué en ligne en juillet 2025.

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