Budget : "Il est fondamental qu'un effort soit fait sur la dépense publique", affirme Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes

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Article rédigé par France 2 - G. Bornstein
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Mardi 16 septembre, Pierre Moscovici, était l'invité des 4 Vérités. Le Premier président de la Cour des comptes est revenu sur la situation budgétaire et politique du pays, en mettant l'accent sur la nécessité de maintenir la trajectoire fixée par la France de réduire ses déficits à moins de 3% d'ici 2029.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

Gilles Bornstein : Pierre Moscovici, vous êtes Premier président de la Cour des comptes, attaché à l'équilibre des comptes publics. On va parler du montant souhaitable de réduction du déficit. François Bayrou voulait le réduire de 44 milliards d'euros, les socialistes de 21 milliards d'euros. Le bon montant de réduction du déficit pour vous, Premier président de la Cour des comptes, c'est combien ?

Pierre Moscovici : La Cour des comptes ne parle jamais de 44 ou de 21 milliards d'euros pour des raisons techniques que je vais vous épargner. Disons que si on part des 44 milliards d'euros, il est clair que la France s'est engagée à réduire ses déficits à moins de 3 % en 2029. C'est ce qu'on appelle une trajectoire. Donc on part de 5,4 % cette année et je crois qu'ils seront tenus. Les données sont plutôt bonnes à ce stade, mais ce n'est pas non plus une performance, parce que c'est encore le déficit le plus élevé de la zone euro. Après il faut, chaque année, baisser pour aller vers 3 %. Ce qui était envoyé à la Commission européenne, c'était de faire 4,6 % l'an prochain. Ça reste l'ordre de grandeur. Il peut y avoir telle ou telle bonne surprise, il peut y avoir telle ou telle marge de manœuvre. Mais disons que pour le Premier président de la Cour des comptes que je suis, l'important c'est d'être sur la trajectoire et d'y rester. Pourquoi ? Parce que d'abord, c'est la crédibilité de nos engagements européens. Ensuite, c'est aussi ce qui assure que nos créanciers, les fameux marchés, aient confiance en nous et que le coût de notre dette cesse de se renchérir.

De combien faut-il réduire le déficit ?

Je ne suis pas dans une négociation et je ne suis pas non plus au marché, et donc je ne vais pas donner ce chiffre. Je vous dis que pour le président de la Cour des comptes que je suis, ce qui est important, c'est de respecter la trajectoire telle que la France l'a définie. Si la France, pour une fois, venait à respecter ses engagements de finances publiques, ce ne serait pas mal.

Le projet de budget des socialistes prévoyait le retour à l'équilibre dans trois ans plus tard. Ça vous paraît trop tard ?

Écoutez, c'est trop tard de toute façon. Nous devions le faire en 2024, puis ça a été 2025, puis c'est 2027, puis c'est 2029. Nous sommes aujourd'hui les seuls à être à plus de 3 % dans la zone euro. Et donc ce que je crois, c'est qu'il faut aller le plus vite possible.

Donc on peut en déduire que les 21 milliards d'euros du Parti socialiste, ce n'est pas assez.

Je ne me positionne pas par rapport au Parti socialiste. C'est un parti que je connais et c'est un parti important dans cette période. Parce qu'il n'est pas un parti au gouvernement, mais il est un parti de gouvernement et il n'y a pas de majorité de non-censure sans lui, même si ce n'est pas non plus lui qui va gouverner seul.

Pour respecter la trajectoire, il faut baisser le déficit, donc soit baisser les dépenses, soit augmenter les recettes. François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, qui n'est pas un gauchiste échevelé, dit qu'il faut augmenter la taxation sur les hauts revenus, les hauts patrimoines. Vous êtes d'accord ?

J'ai lu son interview, je ne m'étonne pas, nous nous connaissons depuis un très grand nombre d'années, et je partage exactement ce qu'il dit. La première mesure, la plus importante, ça doit être de faire des économies sur les dépenses publiques. Et ça, si vous voulez, dans le partage entre les économies et la fiscalité, il est fondamental que ce soient les économies d'abord.

Il dit trois quarts un quart, vous êtes d'accord ?

Encore une fois, je ne suis pas en train de peser au trébuchet. Je dis simplement qu'il est fondamental qu'un effort soit fait sur la dépense publique, parce que nous avons le taux de dépense publique le plus élevé de la zone euro, là encore, 57 % du PIB, là où la moyenne est autour de 49 %. Donc, c'est très élevé. Il y a des économies à faire, pas sur le dos des contribuables, pas sur le dos des assujettis. Je suis persuadé qu'il y a des gains d'efficacité, d'efficience dans les politiques publiques. Faire une meilleure qualité de la dépense publique, une meilleure qualité du service public, on peut le faire. Croyez-moi, on peut faire des économies sans pour autant tomber dans l'austérité. Après, la deuxième chose, c'est que la fiscalité n'est jamais un tabou. Dans une démocratie, la fiscalité, c'est le consentement à l'impôt, c'est ce qui fonde l'existence même des parlements. Donc, qu'il y ait un débat fiscal, c'est normal, que cela représente une partie de l'effort, mais pas la principale, ça me paraît aussi normal. Enfin, qu'il y ait un problème de justice fiscale dans notre pays, et qu'on sollicite la contribution de ceux qui sont beaucoup plus fortunés ou beaucoup plus prospères, davantage que l'effort de ceux qui sont dans le bas de l'échelle, ce n'est pas anormal pour quelqu'un qui est attaché dans un pays comme le nôtre à l'équité, à l'égalité.

Les solliciter sur leur patrimoine, comme le demande Gabriel Zucman. Est-ce que c'est une bonne idée ? Et non pas sur les revenus ?

Je ne vais pas me prononcer pour ou contre la taxe de Zucman. Je dirais simplement que cette taxe, on le sait, couvre tous les éléments de la richesse, y compris le patrimoine, et donc il y aura un débat sur ce sujet.

Et taxer l'outil de travail, par exemple, ça vous paraît contre-productif ou productif ?

Je me souviens qu'en 1981, la gauche était arrivée au pouvoir et a vu à ce moment-là l'établissement de l'ISF et qu'on avait exonéré l'outil de travail. Et c'était pourtant la gauche qui était là. Pour le reste, on va voir. Il me semble que ce qui est important, c'est de savoir, et ça, ça peut faire peut-être un point de consensus, qu'une partie ou un élément de taxation des grandes fortunes, des plus hauts revenus de ce pays, est envisagée, envisageable. Ça fera partie du débat, forcément.

Y compris l'outil de travail, pardonnez-moi d'insister.

Je ne suis pas dans ce concours fiscal. D'ailleurs, la Cour des comptes ne s'occupe que des dépenses publiques.

Le Premier ministre a signé un décret visant à encadrer les moyens matériels mis à disposition des anciens ministres et anciens Premiers ministres. Est-ce qu'il a raison ? Est-ce que ce genre de mesures symboliques participe aussi au consentement à l'impôt de tout un chacun ?

Je n'ai pas à faire des commentaires là-dessus, c'est symbolique en tout cas. Pour ce qui représente la dépense publique, je crois que le total des dépenses des Premiers ministres est de 4,4 millions d'euros, alors que nous sommes en train de parler de 44 et même de 21 milliards, donc vous voyez que ça ne va pas être l'essentiel. Par ailleurs, on ne supprime pas tous ces, non pas privilèges, mais avantages qui sont parfois attachés à la fonction. Qu'un ancien Premier ministre soit protégé, qu'un ancien Premier ministre pendant quelque temps puisse disposer d'un véhicule, qu'un ministre de l'Intérieur, qui a été confronté par exemple à des attentats, dispose d'une protection, ce n'est pas scandaleux. Quant aux ministres, j'ai été moi-même ministre sept ans, les avantages n'existent pas. Le jour où vous quittez votre ministère, vous partez à pied et vous prenez le bus ou le métro. Donc, si vous voulez, il faut à la fois ne pas tomber dans la démagogie, ce n'est pas ce que fait le Premier ministre. Il ne faut pas attendre de ça des économies massives, mais il y a aussi un symbole qui est que les Français demandent que leur plus haut responsable contribue aussi à l'effort et ne dispose pas de privilèges, ça me paraît naturel.

Est-ce que vous avez été approché de près ou de loin pour être Premier ministre ?

Non. C'est gentil de l'évaluer, mais sans doute représentais-je une option différente. Le président de la République a fait un choix qui, je crois, est un bon choix. Je connais Sébastien Lecornu, c'est un homme sérieux, habile. Dans cette perspective qui est celle d'une négociation et d'avoir un proche de lui, c'est un bon choix. Après, vous savez, le bon Premier ministre, ça se juge aux résultats à la fin.

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