"Infamie", "folie", "renoncement"… Pourquoi la suppression du 8-Mai comme jour férié est farouchement dénoncée par les oppositions

Le Rassemblement national et les différentes composantes de la gauche s'insurgent contre la volonté du gouvernement de faire du 8-Mai un jour travaillé, pour réaliser des économies.

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Au sujet de la suppression de deux jours fériés, le Premier ministre, François Bayrou, se dit ouvert à la négociation, mais seulement sur le choix des jours. (THOMAS PADILLA / MAXPPP)
Au sujet de la suppression de deux jours fériés, le Premier ministre, François Bayrou, se dit ouvert à la négociation, mais seulement sur le choix des jours. (THOMAS PADILLA / MAXPPP)

Une idée qui ne passe pas. Parmi les propositions formulées pour réaliser près de 44 milliards d'euros d'économies en 2026, le gouvernement entend supprimer deux jours fériés l'année prochaine : le lundi de Pâques, dont la date est fluctuante chaque année, et le 8-Mai, qui célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945. Cette mesure a été abondamment commentée depuis la présentation des pistes pour le prochain budget par François Bayrou, mardi 15 juillet, en fin d'après-midi.

Immédiatement, les oppositions sont montées au créneau pour dénoncer cette proposition. Elles critiquent non seulement la logique économique de ce raisonnement, mais aussi l'atteinte à un symbole. "La suppression de deux jours fériés, par ailleurs aussi chargés de sens que le lundi de Pâques et le 8-Mai, est une attaque directe contre notre histoire, contre nos racines, et contre la France du travail", a déploré sur X Jordan Bardella, président du Rassemblement national (RN). "Pour le RN, c’est non, car c’est le jour où la France a vaincu le nazisme, le jour où la Seconde Guerre mondiale s’est terminée avec 60 à 80 millions de morts et le jour où on rend hommage à nos héros", a embrayé sur la même plateforme l'eurodéputé Matthieu Valet.

"Quel signal envoie la macronie ?"

La gauche et les syndicats n'ont pas non plus attendu pour fustiger la suppression du 8-Mai, qui serait donc travaillé si le projet de budget était adopté dans les termes présentés par François Bayrou, ce qui est loin d'être une évidence au regard de l'hostilité que ce projet suscite déjà à l'Assemblée nationale. "Vouloir toucher à ce jour, c’est piétiner la mémoire de celles et ceux qui se sont battus pour que la France reste libre", s'est par exemple insurgé Bastien Lachaud, député LFI, sur Facebook. "Alors que l’extrême droite progresse partout en Europe, (…) quel signal envoie la macronie en supprimant le 8-Mai ? Celui d'un effacement, d’un renoncement."

"On ne parle pas de n'importe quoi, on parle de la suppression du 8-Mai, jour de la victoire contre le nazisme. Alors que l'extrême droite est aux portes du pouvoir, (...) le Premier ministre nous annonce qu'il va supprimer le 8-Mai. C'est extrêmement grave", a pour sa part regretté Sophie Binet, patronne de la CGT, auprès de l'AFP. 

Les communistes ont même dégainé une pétition contre "une infamie doublée d'une folie" qui revient à "mettre en danger la République". La députée écologiste Léa Balage El Mariky a elle aussi lancé une pétition pour défendre spécifiquement le jour férié et chômé du 8-Mai. "Nous refusons que la mémoire de la Résistance, la mémoire de la Shoah, la mémoire des crimes nazis, la mémoire des combats pour la liberté soient sacrifiées sur l’autel d’un soi-disant pragmatisme", pointe le texte de cette pétition sur la plateforme Qomon. "Le 8-Mai, ce sont des reportages à la télévision, des cérémonies, un travail sur le fait de se souvenir, ce n'est pas rien", prolonge l'entourage de l'élue, qui dénonce l'exercice de "réhabilitation" auquel se livrerait l'extrême droite en critiquant cette mesure. 

"Le RN veut faire oublier ce qu'il est. Plus globalement, il y a un manque de transmission de cette mémoire, alors que des gens croient encore en cette idéologie."

L'entourage de Léa Balage El Mariky, députée écologiste

à franceinfo

Dans la même veine, Marine Tondelier s'est empressée d'y voir un mauvais tour de la part du chef du gouvernement. "François Bayrou propose donc que le 8-Mai, qui commémore la victoire contre le nazisme, ne soit plus férié. On doit le comprendre comment exactement ?", a lancé sur X la patronne des écologistes. Le ministre délégué chargé de l'Europe, Benjamin Haddad, lui a répondu dans la foulée, sur le même réseau social : "Le général de Gaulle a supprimé le 8-Mai férié et il me semble qu’il était plutôt investi dans la victoire contre le nazisme."

La droite et le centre relativisent l'importance du 8-Mai

Depuis mardi après-midi, le camp présidentiel met en avant l'histoire mouvementée de cette journée de commémoration pour contrer les arguments de ceux qui crient à l'abandon du devoir de mémoire. Cette journée a été instituée en 1946 et devait se tenir un dimanche pour ne pas pénaliser les efforts de reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale.

Devenue fériée et fixée à la date du 8 mai en 1953, à la demande des associations de déportés et résistants, elle se célèbre de nouveau un dimanche à partir de 1959. En 1968, le 8 mai est de nouveau choisi comme date de commémoration, mais il est travaillé. En 1975, le président Valéry Giscard d'Estaing le supprime au profit d'une Journée de l'Europe le 9 mai, symbole de réconciliation franco-allemande. Le 8-Mai redevient férié en 1981, dès l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand, signe que la commémoration de la capitulation allemande n'a pas été immuable.

"La France est un des seuls pays alliés qui célèbrent aujourd'hui le 8-Mai", a par ailleurs rappelé la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, sur LCI, mercredi matin. Le 8-Mai n'est férié que dans deux autres pays européens : en République tchèque et en Slovaquie. A droite, des voix critiquent, quant à elles, la position de la gauche, qui ferait preuve d'exagération sur ce sujet : "Quand j'entends la CGT dire que c'est quasiment le retour du nazisme, il faut se détendre. Les gens ont travaillé le 8 mai et personne n'en est mort", a avancé Jonas Haddad, porte-parole adjoint des Républicains, sur BFMTV.

Une consultation lancée avec les partenaires sociaux

Certaines voix du bloc présidentiel et de la droite semblent toutefois remettre en cause le bien-fondé du choix de François Bayrou. "Puisque le Premier ministre est ouvert à d’autres propositions, nous lui suggérons d’abandonner la suppression du 8-Mai au profit du 15 août. Le 8-Mai incarne la mémoire nationale, la victoire sur la barbarie et les valeurs républicaines. Sa portée est universelle et laïque, à la différence du 15 août", affirment les Jeunes en marche, le mouvement de jeunesse de Renaissance, le parti présidentiel, sur X.

"Conserver le 8-Mai, c’est affirmer notre attachement au sacrifice de ceux qui sont tombés pour la France, transmettre cette mémoire aux jeunes générations et porter un message européen fort de réconciliation et de paix."

Les Jeunes en marche, mouvement de jeunesse de Renaissance

sur X

Quoi qu'il en soit, la proposition du gouvernement sur le 8-Mai, comme sur le lundi de Pâques, n'est pas figée. "Ce qui s'ouvre là, c'est un cycle de consultations avec les partenaires sociaux, sous l'autorité [des ministres] Catherine Vautrin et Astrid Panosyan-Bouvet", a expliqué mercredi matin Amélie de Montchalin, ministre déléguée chargée des Comptes publics, à la sortie du Conseil des ministres. Ces discussions devaient débuter "dans les toutes prochaines heures", mercredi, en fin de journée. L'occasion pour le gouvernement et les oppositions de constater leur très profond désaccord.

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