Loi d'orientation agricole : quatre questions après la censure de plusieurs articles par le Conseil constitutionnel

Les Sages ont censuré totalement ou partiellement près d'un tiers des articles du texte.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Temps de lecture : 7min
Des moutons dans un verger de Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), le 13 janvier 2025. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)
Des moutons dans un verger de Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), le 13 janvier 2025. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

Cap modifié pour la loi d'orientation agricole (LOA) ? Le Conseil constitutionnel a censuré totalement ou partiellement, jeudi 20 mars, près d'un tiers des articles de ce texte très attendu pour répondre à la colère des agriculteurs. Franceinfo revient sur cette décision des Sages, qui avaient été saisis par des députés des groupes La France insoumise et Ecologiste et social.

1 Quels sont les principaux articles censurés ?

Le Conseil constitutionnel a censuré un article qui consacrait la "bonne foi" présumée des agriculteurs lors des contrôles. Cette disposition répondait à une demande des agriculteurs, notamment de la Coordination rurale, syndicat classé très à droite qui gagne du terrain chez les agriculteurs, et souhaite la suppression de la police de l'environnement, l'Office français de la biodiversité (OFB).

Le Conseil constitutionnel a également censuré la présomption de "non-intentionnalité" pour certaines atteintes à l'environnement, notamment en cas d'atteinte aux espèces protégées ou à leurs habitats. Néanmoins, il a maintenu la dépénalisation de certaines atteintes à l'environnement, lorsqu'elles ne sont pas commises "de manière intentionnelle", au profit d'une amende administrative de 450 euros au maximum ou du suivi d'un stage de sensibilisation.

Les Sages ont surtout rejeté le principe contesté de "non-régression de la souveraineté alimentaire", qui entendait ériger la souveraineté alimentaire au rang "d'intérêt fondamental de la Nation". Cette notion se posait en miroir de celle, déjà consacrée, de non-régression environnementale, et qui signifie la nécessité d'améliorer en continu la protection de l’environnement en fonction de l'avancée des connaissances scientifiques et techniques. Les débats avaient été vifs au Palais du Luxembourg, en février, rapportait Public Sénat, la gauche dénonçant une "logique très productiviste" et la droite revendiquant "une fierté à exporter". "Nous voulons encourager la production de nos agriculteurs et pas le productivisme", avait plaidé la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard.

2 Comment réagissent le gouvernement et les oppositions ?

Tout le monde affiche une certaine satisfaction. "La LOA va enfin entrer en vigueur ! L'essentiel des mesures concrètes pour les agriculteurs a été validé (…). Les censures prononcées sont essentiellement liées à de purs motifs de forme et ne marquent pas l'enterrement des mesures proposées : le travail continue", s'est félicitée la ministre de l'Agriculture Annie Genevard. Sur la "non-régression de la souveraineté alimentaire", le ministère estime qu'elle est "validée de manière opérationnelle à travers les conférences de la souveraineté alimentaire" annoncées par la ministre.

La décision du Conseil constitutionnel constitue "une petite victoire, face à tant de reculs environnementaux que proposait cette loi d'orientation agricole", a réagi de son côté Benoît Biteau, député écologiste de Charente-Maritime. Pourtant, le Conseil constitutionnel a jugé conformes deux mesures largement critiquées par la gauche et les écologistes. La première invite le gouvernement à "s'abstenir d'interdire les usages de produits phytopharmaceutiques autorisés par l'Union européenne" en l'absence d'alternatives viables, ce qui correspond à l'argument "pas d'interdiction sans solution", martelé par la FNSEA. L'autre disposition, elle, accorde une présomption d'urgence en cas de contentieux sur la construction d'une réserve d'eau.

3 Le texte est-il vidé de sa substance ?

La décision du Conseil constitutionnel est "très sévère" pour l'exécutif, estime auprès de franceinfo Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement, qui dénonce une "loi défouloir" et "politique", utilisée comme "mégaphone pour répondre à certains agriculteurs". Dans son viseur, plus particulièrement : l'article 2, sur le principe de non‑régression de la souveraineté alimentaire.

De façon générale, cette décision des Sages était "totalement prévisible", car il s'agit, selon lui, d'une "loi extrêmement mal rédigée", comportant beaucoup trop de flou. Les membres du Conseil constitutionnel ont censuré "une écriture pas assez précise", abonde Carole Hernandez-Zakine, juriste, spécialiste du droit de l'environnement et membre de l'Académie d'agriculture, saluant une décision "équilibrée".

Malgré l'importante quantité d'articles retoqués totalement ou partiellement, elle estime que la trame de fond du texte est validée, l'agriculture étant élevée au rang d'"intérêt fondamental de la Nation". Carole Hernandez-Zakine souligne que le Code rural va s'ouvrir avec ce nouvel article L. 1 A : "L'agriculture, la pêche, l'aquaculture et l'alimentation sont d'intérêt général majeur en tant qu'elles garantissent la souveraineté alimentaire qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation." "C'était ça, le cœur de cette loi", insiste-t-elle.

En soi, le fait de consacrer l'agriculture comme faisant partie de l'intérêt fondamental de la Nation "n'a pas de portée juridique directe pour les particuliers ou pour l'État", concède Carole Hernandez-Zakine. "Mais cela signifie qu'à partir de maintenant, il va falloir travailler sur une législation, des décrets et des stratégies complémentaires."

Lecture plus cassante pour Arnaud Gossement, qui parle de "neutrons législatifs", c'est-à-dire "des phrases dans une loi qui n'ont aucun effet". "C'est de la communication, qui ne comporte aucune obligation de faire ou de ne pas faire. Cela ne va modifier le comportement de personne, ni entraîner de sanction."

4 Les dispositions retoquées sont-elles définitivement enterrées ?

Le Conseil constitutionnel dit avoir censuré 10 articles les considérant comme "cavaliers législatifs", autrement dit comme des dispositions n'ayant rien à voir avec le sujet du texte. Mais leur censure "ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles", souligne l'instance dans son communiqué. C'est pourquoi Carole Hernandez-Zakine ne doute pas que plusieurs d'entre eux pourront prochainement revenir sous une autre forme législative.

Pour certains articles, cela risque d'être plus compliqué. C'est le cas du 31, qui porte sur la "présomption d'absence d'intention" de nuire volontairement aux espèces protégées. Pour lui, le Conseil constitutionnel censure "absolument tout", pointe Arnaud Gossement. "Il s'agissait d'une disposition disant aux agriculteurs : 'l'OFB ne va plus vous embêter avec les destructions d'habitats [des animaux]'", décrypte le juriste.

Les Sages écrivent que le texte doit "définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis". Effort qui, selon eux, n'a pas été réalisé ici par les rédacteurs. Pour Arnaud Gossement, cette disposition n'a aucune chance d'être reprise, même sous une autre forme, car "elle serait nécessairement contraire soit à la Charte de l'environnement, soit au droit de l'Union européenne".

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