Grenelle des violences conjugales : trois questions sur le "suicide forcé" qu'un groupe de travail veut inscrire dans la loi
En 2018, 217 femmes se seraient donné la mort en France à la suite de violences au sein du couple. Des experts souhaitent que cette notion de "suicide forcé" dans le cadre conjugal soit désormais prise en compte.
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Faire reconnaître juridiquement la notion de "suicide forcé". C'est l'une des 65 propositions remises par les experts du Grenelle contre les violences conjugales au gouvernement, mardi 29 octobre.
Plus de 200 femmes victimes de violences conjugales se seraient donné la mort en France en 2018, selon un rapport commandé dans le cadre du Grenelle. Le groupe de travail Violences psychologiques et emprise a émis des recommandations pour inscrire ce type de suicide dans la loi. Franceinfo revient sur ce phénomène en trois questions.
Comment définir le "suicide forcé" ?
Selon Yael Mellul, ancienne avocate, qui codirige le groupe de travail sur les "violences psychologiques et l'emprise", le suicide d'une femme victime de harcèlement intervient lorsque "son altération mentale est fatale", cet acte devenant "l'aboutissement du processus, une libération" et "l'unique solution pour sortir de cet enfer". "Je pense au cas où un homme violent a forcé son ex-conjointe à sauter par la fenêtre. N'a-t-il aucune responsabilité ?" illustre Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'Égalité entre les femmes et les hommes, dans un entretien au journal La Croix (article payant).
Yael Mellul est l'une des premières personnes à avoir évoqué la notion de "suicide forcé" dans le cadre de violences conjugales en France, avec la psychiatre Marie-France Hirigoyen.
Nous l'avons évoqué en 2011 devant le Conseil de l'Europe lors d'une audition sur les violences psychologiques. Je pressentais qu'il s'agissait d'un phénomène massif.
Yael Mellul, ancienne avocateà franceinfo
Le groupe d'experts Psytel, spécialisé dans les questions de violences conjugales, a été mandaté par le groupe de travail pour chiffrer ce type de suicide. Selon son rapport, 217 femmes se sont donné la mort en France en 2018 à la suite de "violences psychologiques, physiques et/ou sexuelles subies". Un chiffre qui n'est "pas scientifiquement assuré", tempèrent les experts, mais qui donnerait "un ordre de grandeur raisonné". "Il s'agit d'une estimation réalisée à partir de plusieurs études, ajoute Yael Mellul. Pour avoir un chiffre réel, il faudrait étudier tous les dossiers de femmes qui se sont suicidées en France."
Que prévoit la loi ?
En juillet 2010, les violences psychologiques sont reconnues dans la loi relative "aux violences faites spécifiquement aux femmes et aux violences au sein des couples". Pour Marie-France Hirigoyen, membre du groupe de travail, ce type de violence est "constituée de paroles et de gestes qui ont pour but de déstabiliser ou de blesser l'autre mais aussi de le soumettre, le contrôler de façon à garder une position de supériorité". "87 % des victimes ont déclaré des violences psychologiques. Celles-ci sont le ciment et le socle de toutes les violences contre les femmes. La racine du mal", assure Yael Mellul.
Le harcèlement moral est un délit puni par l'article 222-33-2-1 du Code pénal. Le fait de "harceler son conjoint ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale" est passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, si l'incapacité totale de travail est inférieure ou égale à 8 jours. Dans le cas où cette dernière est supérieure à 8 jours, l'auteur des faits encourt 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Selon le groupe de travail, actuellement, les condamnations pour harcèlement moral au sein du couple sont "anecdotiques". De plus, rien n'est prévu en cas de décès de la victime.
Que recommandent les experts du Grenelle ?
Les membres du groupe de travail comptent remédier à ce vide juridique. "La loi doit punir le suicide forcé", lance Yael Mellul. L'une des propositions du groupe de travail sur les violences psychologiques plaide donc pour la création d'une nouvelle circonstance aggravante au délit de harcèlement moral, quand l'auteur a causé un suicide ou une tentative de suicide. Le responsable serait alors jugé devant une cour d'assises comme pour les "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Il serait passible de vingt ans d'emprisonnement.
Pour établir le lien entre le suicide et les violences commises par le compagnon, Yael Mellul évoque la possibilité d'interroger l'entourage de la victime ou encore d'étudier ses conversations téléphoniques. "Cela a été très bien fait dans l'affaire Mélissa", explique l'ancienne avocate, faisant référence au suicide d'une femme en 2016, harcelée par son conjoint.
Qu'en est-il d'un suicide dont la cause ne serait pas uniquement lié aux violences conjugales ? "Si la cause d'un suicide est multifactorielle, le conjoint qui le provoque partiellement le provoque tout de même", estime, dans Le Parisien, Véronique Wester-Ouisse, vice-procureure de la République placée auprès du procureur général à Brest (Finistère) et contributrice au groupe de travail. Yael Mellul va plus loin, ajoutant que "si une femme qui s'est suicidée avait d'autres problèmes psychologiques, cela constitue des circonstances aggravantes pour le compagnon car c'est en toute connaissance de cause qu'il commet des violences".
Les femmes victimes de violences peuvent contacter le 3919, un numéro de téléphone gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute, d'information et d'orientation est accessible de 9 heures à 22 heures du lundi au vendredi et de 9 heures à 18 heures les samedis, dimanches et jours fériés.
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