: Enquête "Du blanchiment textile" : des vêtements neufs issus de l'ultra fast-fashion vendus sur Vinted comme s'ils étaient de seconde main
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De nombreux utilisateurs de Vinted, non identifiés, utilisent des images générées par intelligence artificielle pour reproduire les codes des photos de vêtements de seconde main alors qu'ils sont en réalité neufs, issus de sites d'ultra fast-fashion chinois comme Temu, Shein ou encore AliExpress.
Acheter des vêtements sur Vinted est devenu une habitude pour de nombreux Français. La seconde main représente près de 11% (10,9 %) des achats d’habillement des Français au premier trimestre 2025, selon l’Institut Français de la Mode. C'est même 16,3% chez les 18-34 ans.
La plateforme a conquis l'Europe avec son application de revente et est leader sur le marché. Une position qui en fait un tremplin alléchant pour ceux qui voudraient en tirer profit. En effet, certains vendeurs utilisent la plateforme pour faire du dropshipping déguisé et le phénomène inonde Vinted. De nombreux utilisateurs, non identifiés, utilisent des images générées par intelligence artificielle pour reproduire des photos de vêtements de seconde main alors qu'ils sont en réalité neufs, issus de site d’ultra fast-fashion comme Temu, Shein ou encore AliExpress.
Des annonces d'apparence normale
Ces articles sont vendus trois fois plus cher et souvent référencés dans la catégorie vintage. Une dérive dénoncée par Johan Reboul, un influenceur engagé. Le jeune homme connu sous le pseudo de @lejeunenegage cherchait un pantalon lorsqu'il a remarqué la bizarrerie de certaines annonces.
Des photos à l’esthétique trop idéale, "beaucoup trop professionnelles pour être de la seconde main", explique-t-il, mais qui reprennent les codes des poses des vendeurs. C'est comme cela qu'il a compris que "ce sont des images toutes faites via l'intelligence artificielle, donc des fausses images pour vendre des vêtements neufs." Ces images, plus ou moins sophistiquées, ressemblent parfois même à des clichés pris par des influenceuses. Très stéréotypées, elles représentent souvent des femmes blanches, minces et à forte poitrine.
Ce qui peut mettre la puce à l’oreille quant à l'origine de ces clichés : leur récurrence sur la plateforme, d'abord. Certains apparaissent des dizaines de fois, dans le même article. Pour d'autres c'est plus technique, explique Johan Reboul, qui n'y avait "pas fait trop attention" au début de ses recherches sur la plateforme. "Je me suis dit que la personne avait fait juste une jolie photo. Mais en allant sur le profil des vendeurs sur Vinted, on remarque qu'il y a plusieurs anomalies, détaille-t-il. Déjà, les personnes qui sont prises en photo ne sont jamais les mêmes" sur le compte d'un même vendeur.
Et lorsque l'on regarde les images de plus près, "il y a souvent des erreurs, sur le corps de la personne. Elle peut avoir une main déformée, un pied déformé parce que l'intelligence artificielle peut faire des erreurs. On voit aussi que ce n'est jamais les mêmes chambres en arrière-plan" sur un même article "avec notamment un semblant de vêtements par terre mais beaucoup trop léchés pour être un vrai décor". Autant d’indices qui, additionnés, montrent bien que ces images sont "générées par l'intelligence artificielle pour vendre des vêtements neufs", poursuit le créateur de contenu.
Une tromperie du consommateur
Des articles neufs mais aussi de très mauvaise qualité puisqu'ils viennent, pour la plupart, de sites internet d'ultra fast-fashion comme Temu, Shein ou encore AliExpress. Une provenance relativement facile à vérifier : avec l'outil de recherche image inversée, les correspondances sont révélées tout de suite. Nous avons fait le test avec une robe en tulle bleu clair, à fleurs, vendue comme en "très bon état" sur Vinted à 39,90 euros. Avec la recherche image, nous trouvons le même modèle sur Temu, à 15 euros. Un procédé qui s’apparente à du dropshipping déguisé. Cette pratique consiste à vendre un produit sans stock. Le vendeur devient l'intermédiaire entre le fabricant et les clients et centralise les commandes. En devenant l'intermédiaire, il peut prendre une commission et vendre plus cher les articles.
En France, le dropshipping est très encadré et peut être illégal s'il ne remplit pas certaines conditions. Par exemple, lorsqu'il s'agit d'une pratique commerciale trompeuse, que le particulier vendeur ou le professionnel n'est pas inscrit au registre du commerce et des sociétés, qu'il n’est pas explicitement identifiable. La DGCCRF explique également sur son site que certaines pratiques déloyales sont prohibées dans le cadre du dropshipping et notamment "la diffusion d’informations fausses ou de nature à induire en erreur en matière d'origine du produit".
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L'ultra fast-fashion inonde la plateforme
C’est en cela qu'il y a "tromperie du consommateur", selon Johan Reboul. Les comptes se font passer pour des vendeurs d’articles de seconde main alors qu'en réalité ces produits sont neufs. Des comptes "qui font de l'achat-revente et vont acheter en grande quantité des produits neufs à l'autre bout de la Terre en se faisant passer pour de la seconde main et en le vendant trois à quatre fois plus cher".
Des annonces qui semblent être présentes en quantité industrielle. D'ailleurs, dès que l'on commence à les consulter, l'algorithme propose de plus en plus d'articles du même genre, avec des photos similaires. Ces vendeurs publient activement, ce qui conduit leurs annonces à être mises en avant sur la plateforme, selon les règles de Vinted. Par exemple, depuis que nous avons commencé notre enquête, l'algorithme ne nous propose plus que ce genre d'annonces, avec parfois des photos qui sont exactement les mêmes d'un vendeur à un autre.
Aussi, les témoignages récoltés sous la publication Instagram de @lejeuneengagé, vue plusieurs millions de fois, témoignent aussi de cette tromperie. Johan Reboul a reçu plusieurs centaines de commentaires d’utilisateurs de Vinted qui se sentent floués. L’une d’entre eux rapporte par exemple que ces annonces sont postées "sous des noms de marque 'tendance', 'boutique indépendante', 'boutique parisienne'" qui induisent les acheteurs en erreurs, selon elle.
Des comptes avec parfois des dizaines de milliers d’abonnés et des milliers de commentaires derrière lesquels il est compliqué de savoir qui se cache vraiment. D'autant que très souvent, "ces comptes finissent par être supprimés", ajoute Johan Reboul, puisque les utilisateurs les signalent.
Qui se cache derrière la supercherie ?
Des revendeurs, bien réels, qui font du dropshipping ou des robots ? Difficile à prouver. Néanmoins, pour Laurence Devillers, professeure en intelligence artificielle à Sorbonne Université, à Paris, et chercheure au CNRS, il s'agit de trolls, de robots. Selon elle, "il s'agit d'une énième dérive de l'IA" et il y en "a partout. Dans beaucoup de situations commerciales. Et de façon massive. Et comme c'est 24 heures sur 24, sept jours sur sept, le gain est notable" pour ceux qui en tirent profit, explique-t-elle. Face à cela, les plateformes "ont perdu d'avance" parce que, sans cadre législatif ferme, "c'est le Far West" poursuit-elle. Ce phénomène d'inondation de la plateforme est difficilement mesurable sans les données de Vinted mais on peut se douter qu'il est massif, selon la spécialiste.
Pour la docteure en histoire et spécialiste de l’habillement Audrey Millet, qui a observé le phénomène, "on assiste à un phénomène de blanchiment textile. C'est véritablement une falsification de l'histoire du vêtement, de l'histoire de cette plateforme Vinted et d'un recyclage de la fraude". Une pratique qui prouve, selon la spécialiste, "la mainmise de l'ultra fast-fashion sur Vinted. Ça nous rappelle que l'ultra fast-fashion a un seul objectif, c'est surproduire et survendre et faire des consommateurs les petits soldats du capitalisme".
Audrey Millet explique encore que ce "démarchage déguisé" est massif. "On a des comptes qui ont 38 000 abonnés, 4 000 évaluations, toujours cinq sur cinq. C'est quand même le monde merveilleux du merveilleux vendeur et des milliers et des milliers de vêtements" pour un seul et même compte.
"Est-ce que Vinted, qui est une plateforme gigantesque, peut contrôler tous ces vendeurs ? Je ne le pense pas. Comme on ne peut pas contrôler tous les colis aux douanes."
Audrey Millet, docteure en Histoire et spécialiste de l’habillementà franceinfo
Interrogée, la plateforme nous indique dans un communiqué que "l'usage de l’IA en tant qu’outil de valorisation visuelle n'est pas interdit en soi, tant qu'il respecte nos Conditions Générales et ne nuit pas à la transparence sur la condition de l'article. […] Si ces outils sont utilisés dans le respect de la réalité de l'article mis en vente, cela ne pose pas problème".
"En revanche, les usages frauduleux, incluant des annonces trompeuses ou la mise en ligne de biens inexistants, sont strictement interdits et font l'objet de mesures concrètes, pouvant aller jusqu’à la suppression d’annonces ou le blocage du compte" dit encore le communiqué. Vinted précise aussi suivre "avec attention les évolutions liées à l’usage de l'IA dans les pratiques de nos membres, pour nous assurer qu'elles restent compatibles avec les règles d'usage de la plateforme".
D’autres plateformes sont concernées, comme Leboncoin. Johan Reboul, alias @lejeuneengagé, demande aux plateformes de mieux protéger les utilisateurs face à ce phénomène, parce que selon lui "beaucoup de personnes vont se faire avoir".
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