"L'immense majorité des contribuables visés par la taxe Zucman peuvent s'acquitter de ça sans aucune espèce de difficulté", déclare l’économiste Thomas Piketty

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Thomas Piketty, économiste et professeur à l’École d’économie de Paris, était l’invité de Tout est politique sur Franceinfo, mercredi 24 septembre. Il est notamment revenu sur la taxe Zucman et sur les contributions des plus grandes fortunes françaises.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Sonia Chironi : Vous êtes favorable à la taxe Zucman, qui suscite de vifs débats depuis quelques jours. Bernard Arnault vous accuse de vouloir mettre à mal l’économie française. La droite et le patronat affirment que votre initiative fera fuir les grandes fortunes, et vous répondez. Ainsi, vous déclarez à Bloomberg : « Ceux qui ne paient pas ou qui chercheraient à s’exiler, il faut geler leurs avoirs, il faut les arrêter, même à l’aéroport. » Ne craignez-vous pas d’ajouter de l’huile sur le feu dans ce débat déjà électrique ?

Des fortunes en forte croissance et une contribution minimale

Thomas Piketty : Les contribuables paieront les impôts qu’ils doivent, il n’y a aucun souci à ce sujet. Je précise simplement que ceux qui seraient tentés de ne pas s’acquitter de leurs obligations fiscales seront traités comme tous les Français. Lorsque l’on choisit de ne pas payer ses impôts, des mesures telles que le gel d’avoirs peuvent être appliquées. L’idée selon laquelle les milliardaires pourraient fixer eux-mêmes le montant de leurs impôts, alors que les autres contribuent systématiquement, est tout simplement fausse.

Si des biens ont été placés à l’étranger et qu’une personne arrive à l’aéroport, il est probable qu’on lui demande de se conformer à la loi. Mais essayons de calmer le débat et d’examiner les choses avec sérénité.

Les 500 plus grandes fortunes françaises ont augmenté de 500 % entre 2010 et 2025. Ce n’est pas une estimation personnelle, mais le constat des magazines spécialisés. Ces fortunes sont passées de 200 milliards d’euros en 2010 à 1 200 milliards aujourd’hui. Une taxe minimale de 2 % par an sur ces patrimoines reviendrait, à supposer qu’aucun revenu ne soit généré pendant un siècle, à un siècle pour revenir au niveau de 2010. Il s’agit donc d’une contribution très modeste.

Si l’on prend du recul, on constate que la situation d’endettement public en France est exceptionnelle : c’est la quatrième fois dans l’histoire du pays que nous atteignons un tel niveau. Cela s’est produit lors de la Révolution française et après chacune des deux guerres mondiales. À chaque fois, il a fallu faire contribuer les patrimoines privés, que ce soit de manière transparente ou par des mesures indirectes comme l’inflation, qui constitue un impôt sur les patrimoines.

Actuellement, ceux qui défendent les milliardaires face à une contribution de 2 % par an n’ont rien dit lorsque l’inflation a atteint 10 % à cause de dépenses non financées. Cette inflation a frappé tous les Français, quel que soit le montant de leur épargne, tandis que des mesures directes sur les plus riches restent contestées.

Nathalie Saint-Cricq : Pour les startups ou les entreprises dont la valeur repose sur des perspectives futures, vous considérez qu’il suffit de contribuer en actions. La critique principale porte sur le fait que la taxe inclurait l’outil de travail, pas sur le principe de faire payer les riches.

Thomas Piketty : Or 90 % du patrimoine des plus riches est constitué d’actions. Si l’on exonère ces actifs, autant dire qu’on ne souhaite pas réellement les imposer.

Nathalie Saint-Cricq : En d’autres termes, vous pensez que nous devrions tous être traités de manière égale par la taxe Zucman et que l’idée de menacer d’arrêt à l’aéroport les personnes qui partiraient est un fantasme. Vous franchissez ici la frontière entre économie et morale. Dire "On va les arrêter", c’est évoquer des images très fortes, et c’est précisément pour cela que cette déclaration suscite l’attention.

Une taxe équitable et une question de souveraineté

Thomas Piketty : La grande majorité des contribuables visés par cette taxe, ceux dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros, pourraient s’acquitter de 2 % d’impôt par an sans difficulté. Leurs patrimoines ont progressé de 7 à 8 % par an entre 2010 et 2025. Même pour les entreprises à forte valorisation boursière qui ne génèrent pas encore de profit, la fraction concernée est minime. Dans ce cas, la solution consiste simplement à payer en titres, qui pourraient être intégrés à un fonds souverain. Des pays comme la Norvège gèrent ainsi des fonds souverains représentant plusieurs fois leur PIB, et la gestion est jugée satisfaisante.

Au-delà de la question fiscale, il s’agit surtout d’une question de souveraineté économique.


Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

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