Vrai ou faux On a passé au crible quatre affirmations sur l'abattement fiscal de 10% dont bénéficient les retraités

Le gouvernement Bayrou, en quête d'économies, réfléchit à supprimer cette déduction. Une mesure qui pourrait rapporter quelque cinq milliards d'euros à l'Etat, mais qui ferait augmenter les impôts de nombreux retraités.

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Le ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, le 9 avril 2025 au palais de l'Elysée, à Paris. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)
Le ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, le 9 avril 2025 au palais de l'Elysée, à Paris. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)

Le gouvernement va-t-il supprimer l'abattement fiscal de 10% des revenus dont bénéficient les retraités ? La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a évoqué cette hypothèse dans Le Parisien, samedi 19 avril, alors que le gouvernement cherche 40 milliards d'économies pour le prochain budget.

Mais la suppression de cette déduction, qui s'applique aussi aux pensions alimentaires et aux pensions d'invalidité et est plafonnée à 4 399 euros par foyer, est ultra-sensible. La gauche comme la droite, et même certains dans le bloc central, y sont opposés, ce qui a amené les responsables politiques à faire de nombreuses déclarations à ce sujet. Franceinfo a vérifié quatre affirmations pour démêler le vrai du faux.

1 Plus de 18 millions de retraités seront pénalisés : c'est faux

Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes, a affirmé mardi sur TF1 que ce sont "18,5 millions de retraités qui vont payer plus d'impôts" si l'abattement fiscal de 10% sur leurs pensions vient à être supprimé par le gouvernement. C'est inexact. Tout d'abord, parce que le nombre de retraités s'élève à 17 millions en France, selon les derniers chiffres publiés par l'Insee et la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques.

Tous les retraités ne bénéficient en outre pas de cette déduction, puisqu'ils ne sont pas tous imposables : 14,96 millions de ménages sont concernés par cette mesure, selon l'annexe du projet de loi de finances 2025 (document PDF, page 75). Dans une note consacrée à ce sujet, l'économiste Pierre Madec de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) explique que "la suppression de l'abattement fiscal ne toucherait pas les retraités les plus modestes, qui sont généralement moins nombreux à être imposables".

Cette suppression aurait également moins d'impact sur "les retraités dont le niveau de vie est inférieur à la médiane" que le gel temporaire de la revalorisation des retraites, envisagé par le gouvernement avant d'être abandonné. Elle toucherait davantage les foyers aisés : les 5% de ménages les plus aisés verraient leur imposition augmenter de 850 euros par an en moyenne, selon l'OFCE. Selon l'Unsa-Retraités, le taux d'imposition pourrait augmenter pour environ 8,4 millions de retraités.

2 Un demi-million de retraités pourrait devenir imposable : c'est compliqué à estimer

Comme la gauche, le Rassemblement national est monté au créneau pour dire son opposition à la proposition – un ballon d'essai en réalité – lancée par le gouvernement. Le porte-parole du RN et député du Loiret, Thomas Ménagé, s'est dit "profondément choqué" par la mesure, dimanche dans "Questions politiques" sur franceinfo et France Inter. Il a avancé que "500 000 retraités vont être imposés", alors qu'ils ne l'étaient pas jusqu'à maintenant.

Alors que le barème de l'impôt sur les revenus se décompose en six tranches la première, en dessous de 11 497 euros nets de revenus annuels, n'est pas imposable – une suppression de l'abattement fiscal entraînerait mécaniquement l'entrée de foyers dans la deuxième tranche (de 11 498 euros à 29 315 euros), à partir de laquelle une personne est imposable à 11%.

Le syndicat Unsa-Retraités juge qu'ils seraient 500 000 dans ce cas. Une estimation partagée par la Fédération des associations de retraités, mais qu'il est en réalité compliqué de quantifier précisément. "Ceux qui touchent moins de 1 500 euros ne devraient pas être concernés, mais ceux qui se trouvent un peu au-dessus pourraient payer des impôts alors qu'ils n'en payaient pas avant", explique Vincent Touzé, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques.

3 L'abattement a été mis en place au titre des frais professionnels : c'est faux

Le président du Medef, Patrick Martin, avait jugé début janvier "aberrant (…) qu'un retraité bénéficie d'une exonération fiscale pour des frais professionnels", estimant sur RMC que cette déduction était "contre-nature". La plupart des syndicats affirment eux que cet abattement répond à un "souci d'équité".

Cet abattement fiscal a été introduit en 1978 sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing. Il visait à mettre les retraités à égalité avec les actifs, qui bénéficiaient, eux aussi, d'une déduction fiscale automatique de 10% de leurs revenus au moment de leur déclaration, pour frais professionnels. Il ne faut ainsi pas le confondre avec la déduction fiscale forfaitaire dont bénéficient les salariés, qui peut atteindre 14 426 euros (contre 4 399 euros au maximum pour l'abattement fiscal des retraités).

4 Cette suppression rapportera 4 à 5 milliards d'euros à l'Etat : c'est vrai

Alors que le gouvernement prépare les esprits à de nouvelles économies en vue du prochain budget, le ministre de l'Industrie, Marc Ferracci, a affirmé que cet abattement fiscal "coûte à peu près 4 à 5 milliards d'euros" à l'Etat. Ce chiffrage est juste et repose sur des estimations de la Cour des comptes.

Dans un document datant d'avril 2024, l'institution chargée de contrôler la régularité des comptes publics avait calculé que cet avantage avait coûté 4,44 milliards d'euros à l'Etat en 2022 et 4,49 milliards en 2023. Selon le projet de loi de finances 2025, cet abattement devrait atteindre 4,95 milliards en 2025. Supprimer cette déduction rapporterait donc près de 5 milliards de recettes supplémentaires pour l'Etat, au moment où le gouvernement dit vouloir trouver 40 milliards d'euros d'économies en 2026.

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