"On travaille à l'aveugle" : le désarroi des forces de l'ordre face aux actions des "gilets jaunes"
Depuis le début du mouvement, policiers et gendarmes ne savent pas trop sur quel pied danser. Certains reconnaissent être dans le flou avant la journée de samedi.
"Oui, je ne vous cache pas que le mouvement des 'gilets jaunes' est compliqué à gérer au quotidien." Au téléphone, Christophe Rouget fait preuve d'une étonnante franchise. "On ne sait pas vraiment à qui s'adresser", lâche le secrétaire général adjoint du syndicat des cadres de la sécurité intérieure SCSI-CFDT. Et l'appel à "bloquer" Paris, samedi 24 novembre, n'arrange rien. "Vous avez compris ce qu'ils voulaient faire ? Nous, pas trop." Il n'est pas le seul à être (un peu) dans le flou ces temps-ci.
>> Blocages des "gilets jaunes" : suivez la mobilisation dans notre direct
Chez Alliance, on y va aussi "à tâtons" avec les "gilets jaunes". "Pour nous, ce genre de mouvement est un peu inhabituel, glisse le syndicat policier à franceinfo. Normalement, une manifestation est portée par un syndicat ou une corporation, comme les salariés de la SNCF, de l'Education nationale... Là, il n'y a pas de plate-forme derrière." Chez les collègues du SCSI-CFDT, on ne dit pas autre chose. "C'est un phénomène hétéroclite, il y a des gens de tous les horizons qui n'ont pas l'habitude des manifestations", analyse Christophe Rouget. Le mouvement, qui se veut "citoyen", a en effet été lancé sur les réseaux sociaux par des particuliers, sans le soutien des syndicats.
Comment leur répondre ? Avec qui entamer les discussions ? Sur quoi ? On ne sait pas.
le syndicat policier Allianceà franceinfo
L'organisation de la mobilisation de samedi est un bon exemple du désarroi provoqué chez les forces de l'ordre. "On ne sait pas combien ils seront réellement dans les rues de la capitale", poursuit Christophe Rouget. En effet, si l'on s'en tient à l'événement Facebook "Acte 2 Toute La France A Paris!!!!", 34 000 personnes ont déjà signifié leur participation vendredi midi, et 212 000 se disent intéressées.
Des manifestations difficiles à anticiper
Surtout, et c'est plus embêtant en termes de sécurité, difficile d'y voir clair dans le parcours envisagé. Aucun plan précis n'a pour le moment été établi. Résultat : la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris table sur trois rassemblements. Un premier (interdit par les autorités) est annoncé sur la place de la Concorde, un deuxième sur la place de la Bastille et un troisième sur le Champ-de-Mars.
Et encore, certains manifestants semblent avoir d'autres plans en tête. "Il faut donner un point de rendez-vous au dernier moment samedi pour prendre à contre-pied", suggère Christophe sur Facebook. Un internaute propose "une itinérance mémorielle, touristique et historique de 'gilets jaunes' sur la place de la Concorde". "Faisons une prise de l'Elysée", s'emporte Nicolas. Francis va même plus loin : "Blocage autour de l'Elysée, sur les axes de leur domicile, le Sénat, l'Assemblée." Ce n'est pas tout : entre "100 et 200 chauffeurs de VTC" ainsi qu'une petite vingtaine de chauffeurs de taxi et de routiers pourraient aussi se joindre au mouvement.
On surveille les réseaux sociaux en temps réel pour essayer de voir ce qui se prépare, pour anticiper les points de rassemblements. Mais c'est très difficile d'avoir des informations.
Christophe Rouget, du syndicat SCSI-CFDTà franceinfo
Et pour compliquer encore plus le travail des forces de l'ordre, certains participants passent uniquement par des canaux de discussion cryptés comme Telegram, ou des pages Facebook fermées.
"On n'a pas d'instructions claires"
Ces jours-ci, ce désordre ambiant donne lieu à des discussions parfois musclées dans les couloirs des commissariats et des gendarmeries. "On n'a pas d'instructions précises sur ce qu'on doit faire, regrette Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat Unité SGP Police FO. C'est du jour le jour, et c'est fatigant."
Depuis la première grande journée de mobilisation du 17 novembre, elle explique que certains de ses collègues "ont des journées à rallonge". "Ils bossent non-stop", "parfois 12 heures d'affilée". "Ce n'est pas tenable, souffle-t-elle, les conditions de travail sont exécrables."
On travaille à l'aveugle. Si c'est plutôt bien géré jusque-là, c'est parce que les agents sur le terrain font preuve de bon sens.
Linda Kebbab, du syndicat Unité SGP Police FOà franceinfo
Mais les forces de l'ordre contactées par franceinfo redoutent de plus en plus "l'attitude d'éléments plus radicaux". D'après un document de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, "80 à 120 militants de l’ultra droite", et "100 à 200 militants de l’ultra gauche (...) pourraient tenter une action médiatique, en fin de journée", samedi, "en direction du palais de l'Elysée". Linda Kebbab raconte que ses collègues de Quimper ont déjà eu "à faire à des black blocs". Et là encore, "les consignes n'étaient pas très claires. On veut qu'on nous dise ce qu'on doit faire. On intervient ? On temporise ? On laisse faire ?"
"On se retrouve dans ce mouvement"
Si les forces de l'ordre tiennent le coup pour le moment, c'est aussi parce que la plupart des policiers comprennent le ras-le-bol des "gilets jaunes" et sont d'accord avec les revendications. "Je ne vous fais pas de dessin, souffle Linda Kebbab. Oui, il y a de la sympathie, on se retrouve dans ce mouvement. On est avant tout des hommes, des femmes, des parents..."
Leur quotidien, c'est souvent notre quotidien. Les problèmes de fin de mois, ça nous concerne aussi.
Linda Kebbab, du syndicat Unité SGP Police FOà franceinfo
Cette "sympathie" pour le mouvement crée "des moments sympas" sur certains blocages. "Il nous arrive d'engager la conversation avec les manifestations, admet Didier Mangione, du syndicat Unité SGP Police FO en Isère. On crée un peu le débat. Moi-même je me suis arrêté pour parler avec des 'gilets jaunes'." Leur hiérarchie veille quand même au respect des rôles. "On a une mission à remplir, et c'est évidemment notre priorité. L'idée, ce n'est pas d'enlever notre uniforme et d'enfiler un gilet jaune."
Il n'empêche, une fois le service terminé, certains membres des forces de l'ordre rejoignent le mouvement, glisse à franceinfo un syndicaliste policier. Ça ne surprend pas Didier Mangione. "D'ailleurs, demain, j'aurai des collègues dans le cortège à Paris."
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