Dans le documentaire "L'appel de l'océan", le naturaliste David Attenborough alerte sur les ravages de la pêche industrielle
Alors que la communauté internationale discute de la santé des mers, le dernier documentaire du célèbre naturaliste montre, en alternant images de découvertes et scènes de désolations, une réalité difficile à appréhender sur la terre ferme.
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"Après avoir vécu près de cent ans sur cette planète, je comprends maintenant que l'endroit qui compte le plus ne se trouve pas sur la terre ferme, mais en mer." Emmitouflé dans un coupe-vent bleu, les bottes plantées dans le sable, David Attenborough ouvre son dernier documentaire par une réflexion sur le temps qui passe. A 99 ans, le naturaliste britannique a vu l'humanité conquérir les mers, des tropiques aux pôles, du grand large aux abysses. Mais dans L'appel de l'océan, disponible en France dimanche 8 juin sur la chaîne National Geographic, ce témoin privilégié d'un siècle d'exploration s'intéresse à la face cachée de cette aventure humaine "par-delà les vagues" : la surexploitation du milieu marin.
A l'heure où les décideurs du monde entier se réunissent à Nice pour "accélérer l'action et mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement l'océan", David Attenborough signe un puissant plaidoyer contre la pêche industrielle et pour l'introduction d'aires marines protégées.
Bientôt mis à la disposition des écoles, universités, musées et bibliothèques, ce film assume sa fonction pédagogique et sa mission de lanceur d'alerte. Objectif affiché : la protection urgente d'océans qui nourrissent la planète et sont le meilleur allié de l'homme dans la lutte contre le changement climatique.
Des images inédites de pêche au chalut
Sous l'océan, des crabes saisissent des anémones toxiques, qu'ils agitent tels des gants de boxe sous le nez de leurs adversaires. Des algues géantes hébergent des centaines d'espèces qui se dévorent et s'entraident. De minuscules bébés homards errent dans l'immensité, portés par le courant. Ce n'est pas la première fois qu'un documentaire signé David Attenborough donne à voir les maillons de la chaîne alimentaire, du zooplancton à l'orque redoutable. Mais dans ces séquences les plus spectaculaires, L'appel de l'océan nous montre comment l'homme, ultime prédateur, s'est affranchi des règles qui régissent l'ordre sous-marin depuis la nuit des temps.
"Je m'attendais comme d'habitude à de belles images de récifs coralliens, de poissons colorés", raconte le biologiste franco-canadien Daniel Pauly, convié à l'avant-première du film à Londres, début mai. "Mais ce que ce film nous montre aussi, ce sont des images cauchemardesques." Et inédites.
Aussi beau que difficile, L'appel de l'océan présente les premières images sous-marines du chalutage de fond. Les caméras poursuivent un gigantesque piège qui progresse au ras du sol dans un bruit sourd. "Un bulldozer qui traverse une forêt. Sur terre, cela ferait scandale. Mais c'est ce que l'on fait dans les océans tous les jours", expose calmement David Attenborough. "Difficile d'imaginer une façon plus dévastatrice d'attraper du poisson", poursuit le naturaliste. A l'écran, les ruines grisâtres d'un fond marin transformé en cimetière saisissent le spectateur. Ces cicatrices "sont visibles depuis l'espace", confirment des images satellites.
A l'occasion de la troisième conférence de l'ONU sur les océans (Unoc-3), qui s'ouvre lundi, à Nice, ONG et scientifiques attendent que les pays s'engagent à éliminer progressivement le chalutage de fond dans les aires marines protégées. "Quand le grand public verra ce film, cela va être de plus en plus difficile à défendre", espère Daniel Pauly, qui dénonce depuis des décennies cette pratique autorisée dans les zones protégées qui bordent les côtes européennes. Lors d'un point presse auquel a assisté franceinfo, le directeur scientifique du documentaire, Enric Sala, de l'organisation National Geographic Pristine Seas, estime lui aussi qu'avec ce film, "chacun peut constater les effets de cette pratique et se faire une opinion".
Des zones protégées qui fonctionnent
Bateaux-usines qui pêchent et transforment à bord leurs prises en farine de poissons, bateaux filmés comme des monstres des mers… En images, David Attenborough et ses équipes dénoncent la prédation d'une pêche industrielle qui "ne connaît pas de limites".
Mais en donnant la parole à des pêcheurs, ils appellent à la défense d'une activité durable et respectueuse des écosystèmes. "Trois milliards de personnes dépendent du poisson pour se nourrir, tandis que les bateaux de pêche industrielle n'appartiennent qu'à une poignée de pays riches", explique David Attenborough. "C'est du colonialisme moderne en mer", lance le naturaliste, la caméra plongée dans la maigre prise de pêcheurs libériens : quelques sardines dans un seau.
"Nous savons à quel point nous abusons de l'océan. Nous connaissons les effets de la pêche destructrice et de la surpêche", assure Enric Sala. "Nous savons aussi qu'en prenant du recul, l'océan se régénère, qu'il possède cette extraordinaire capacité à renaître", poursuit le directeur scientifique.
Voisin d'une zone interdite à la pêche, un Américain remonte dans son filet un valeureux homard. Ici, tous les pêcheurs bénéficient des effets des aires protégées, explique-t-il. Une biologiste hawaïenne, responsable de l'immense réserve de Papahanaumokuakea, abonde : "Protéger l'océan n'est pas une mesure anti-pèche. La conservation et la pêche ont le même objectif : davantage de poissons, des populations en abondance et un océan en meilleure santé."
"L'élément vital de notre maison"
Dans son troisième acte, L'appel de l'océan délivre ainsi un message d'espoir. En Méditerranée, au large des côtes américaines, à Hawaï… "Partout où on lui a laissé le temps et la place pour le faire, l'océan s'est remis", s'enthousiasme le naturaliste en voix off.
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Avec L'appel de l'océan, David Attenborough emmène le spectateur constater l'efficacité des mesures de protection, âprement discutées dans les sommets onusiens. A l'Unoc, les coorganisateurs français et costaricains "espèrent accélérer l'atteinte de la protection de 30% des zones marines et terrestres à l'horizon 2030", en vertu de l'objectif fixé en 2022 par la COP15 Biodiversité, à Montréal. Ils attendent aussi la ratification du nouveau "traité sur la haute mer" (dit "BBPJ)", signé en juin par les pays des Nations Unies. Or, le temps presse.
"Quand j'étais petit, nous pensions que l'océan devait être dompté, pour le bénéfice de l'homme", conclut David Attenborough. "Maintenant que j'approche la fin de ma vie, nous savons que c'est l'inverse qu'il faut faire. J'espère qu'un jour, nous verrons tous l'océan, non pas comme un endroit sombre, lointain et séparé de nos vies terrestres, mais comme l'élément vital de notre maison." Loin d'imaginer que son destin puisse se jouer dans l'eau, l'humanité a bouleversé des équilibres millénaires, mettant en danger la vie sous toutes ses formes. En lanceur d'alerte, le naturaliste bientôt centenaire nous dit dans ce film que rien ne sert de contempler le temps qui passe. Il faut se saisir du temps qu'il nous reste, "car si nous sauvons la mer, nous sauvons la planète."
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