"On tape déjà dans le stock de fourrage d'hiver" : comment les producteurs de fromages de chèvre de l'AOP picodon s'adaptent à la crise climatique
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Face aux étés de plus en plus secs et aux printemps humides, les éleveurs ont établi un plan Climat Picodon pour mettre en commun des méthodes d'adaptation.
"Le réchauffement climatique ? On le subit tous les ans maintenant !" Dans le petit village de Préaux, en Ardèche, Grégoire Bobichon dresse chaque été le même constat : les vagues de chaleur sont de plus en plus fréquentes et intenses. "Avec les canicules du mois de juin et du mois d'août, les chèvres ont eu chaud et donc elles produisent moins de lait", souffle ce producteur fermier du territoire de l'appellation d'origine protégée (AOP) picodon. "On n'a pas la clim' ici !, rajoute le jeune éleveur. Elles sont comme nous, elles sont moins efficaces avec la chaleur."
Sous l'influence du réchauffement climatique – dû aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles – ces températures vont continuer à grimper dans les décennies à venir en Ardèche et dans la Drome, les deux départements dans lesquels sont produits ces petits palets de fromage de chèvre. Jusqu'à trois degrés supplémentaires sont attendus dans la région dès 2050. Et les journées à plus de 35°C devraient se multiplier, selon les simulations de Météo-France.
Un bouleversement qui met en difficulté les 140 producteurs de picodons, qui doivent suivre des règles de fabrication strictement encadrées par le cahier des charges de l'AOP, établi en 1983. "Il est aujourd'hui de plus en plus difficile d'avoir une production régulière", explique Nicolas Revol, président du syndicat des producteurs de picodon AOP. Alors, le secteur a décidé de réagir pour sauvegarder ce morceau de patrimoine du plateau de fromage français. Leur projet Climat Picodon a été retenu, lundi 15 septembre, dans le cadre du plan Agriculture Climat Méditerranée lancé par le ministère de l'Agriculture.
Un climat devenu trop sec ou trop humide
L'idée de ce projet a germée au fil des rencontres entre producteurs fermiers, laitiers, transformateurs et affineurs de picodons. Tous partagent depuis plusieurs années leurs difficultés face à une météo de plus en plus variable et aux événements climatiques extrêmes de plus en plus nombreux. En novembre dernier, la crise atteint un point de non-retour. "Nous avions eu une année très pluvieuse, qui a rendu presque impossible le stockage du fourrage pour tous ceux qui n'avaient pas de système de séchage", explique Nicolas Revol.
Cette étape clé est aujourd'hui la plus menacée par le changement climatique. Car pour le picodon, la règle est stricte : le troupeau de chèvres doit s'alimenter en pâturant dans les prairies et les sous-bois, ou avec du fourrage – c'est-à-dire des végétaux coupés. Mais ces derniers doivent venir exclusivement de l'aire géographique du picodon et ne peuvent pas être fermentés, via des méthodes d'ensilage ou d'enrubannage largement utilisées dans l'agriculture conventionnelle.
"La récurrence de ces printemps très pluvieux va être de plus en plus importante et cela met à mal la première coupe pour le fourrage."
Nicolas Revol, président du syndicat des producteurs de Picodon AOPà franceinfo
Et quand ce ne sont pas les fortes pluies, c'est la sécheresse qui vient drastiquement limiter la production des plantes fourragères, comme la luzerne, indispensables à l'alimentation des chèvres.
Du sorgho pour nourrir les chèvres
Face à ces difficultés, le plan Climat Picodon prévoit d'apporter des solutions pour sécuriser la production de fourrage, avec notamment le séchage en grange. "Cela permet de récolter et de stocker le fourrage peu importe la météo", explique Nicolas Revol, qui constate lui-même que la production de sa ferme ardéchoise peut varier du simple au double selon les années. "Une chèvre mange environ une tonne de matière sèche par an, rappelle l'éleveur. Or, tout ce que je ne produis pas, je dois l'acheter !"
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Le syndicat réfléchit également à la possibilité de créer des structures de séchage collectives, pour éviter de demander de nouveaux investissements à chaque agriculteur. "Aujourd'hui, les fermes coûtent de plus en plus cher parce qu'il y a de plus en plus de bâti et de matériel", explique le producteur fermier. "On souhaite associer les adhérents entre eux pour ne pas renforcer la problématique du coût financier lors de la transmission des fermes", complète-t-il.
Face aux étés de plus en plus chauds, de nouvelles ressources fourragères sont aussi explorées. C'est déjà le cas dans la ferme expérimentale du Pradel, à Mirabel, en Ardèche. Les chèvres peuvent désormais y manger du mûrier blanc ou encore du sorgho, une plante très répandue dans les climats tropicaux. Mais avant que ce changement d'alimentation soit validé par l'AOP, il faudra vérifier qu'il ne modifie pas le goût si spécifique des picodons.
"Manger les feuilles des arbres durant l'été"
Les enjeux dépassent largement l'avenir du plateau de fromage des Français. "Au-delà même de faire un très bon picodons, on rend des services de plus en plus indispensables avec le réchauffement climatique. On garde les paysages ouverts et on limite les incendies", explique Nicolas Revol. Les feux dévastateurs dans l'Aude, cet été, ont confirmé l'importance de l'entretien de ces zones agricoles pour éviter la propagation des flammes.
En cette fin du mois de septembre, l'urgence d'agir continue de se faire sentir dans les fermes de la Drôme et de l'Ardèche. "Je suis en train de donner à boire à mes bêtes et les arbres sont secs sur pieds", constate Grégoire Bobichon. Cette végétation est pourtant indispensable à l'alimentation de ses chèvres. "Notre stratégie, c'était de s'adapter en leur faisant manger les feuilles des arbres durant l'été", explique le jeune éleveur. "Mais ils sont secs, alors on tape déjà dans le stock de fourrage d'hiver", souffle-t-il.
Malgré des conditions météorologiques de plus en plus difficiles, les éleveurs veulent continuer de se battre. "La chèvre est un animal qui s'adapte très bien aux territoires secs", assure Nicolas Revol, qui produit jusqu'à 90 000 picodons par an, "de A à Z". Et le cahier des charges de l'AOP promeut une fabrication traditionnelle et peu mécanisée adaptée aux défis climatiques et à la sobriété énergétique. "J'ai bon espoir que le picodon pourra continuer à être fabriqué dans les décennies à venir", rassure le producteur fermier.
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