Entre 26 et 37,5 milliards d'euros... Pourquoi la facture du projet d'enfouissement des déchets nucléaires à Bure pourrait être beaucoup plus lourde que prévue
L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs a publié une nouvelle évaluation du prix de ce chantier hors normes, installé dans la Meuse.
Le coût du projet d'enfouissement de déchets nucléaires à Bure (Meuse) est revu à la hausse. Lancé en 1991, il doit accueillir à 500 mètres sous terre des déchets des centrales nucléaires devant rester hautement radioactifs pendant plusieurs centaines de milliers d'années. Selon la nouvelle évaluation de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) rendue publique lundi 12 mai, le projet Cigéo pourrait coûter entre 26,1 et 37,5 milliards d'euros*, étalés sur 150 années d'exploitation du site. Cette nouvelle estimation représente une hausse de 4,4% à 50% par rapport au coût qui avait été fixé en 2016 par arrêté ministériel : 25 milliards d'euros.
A l'époque, le chiffrage se fonde sur l'hypothèse selon laquelle la "demande d'autorisation de création" du centre de traitement sera validée à l'horizon 2020, afin que les premiers "colis de déchets radioactifs" soient acheminés vers Bure autour des années 2035-2040. Or, cette autorisation indispensable devrait finalement être délivrée "fin 2027-début 2028", estime aujourd'hui l'Andra, repoussant ainsi la mise en service du site à 2050. Ce retard se répercute sur le coût total du projet, financé par les trois plus gros producteurs de déchets nucléaires hexagonaux (EDF, Orano et le CEA).
Du retard qu'il a fallu intégrer au projet
Depuis la dernière évaluation de l'Andra en 2014, beaucoup de choses ont changé. Ainsi, "ce calendrier tient compte du temps supplémentaire qui a été nécessaire" pour franchir certaines étapes clés du projet d'enfouissement, explique l'Andra. Parmi elles figurent la réalisation du dossier qui accompagne la demande d'autorisation de création, un document de 10 000 pages transmis au ministère de l'Energie en 2023 et qui a mobilisé 200 collaborateurs de l'Andra ainsi que l'instruction dudit dossier, toujours en cours. Ce nouveau calendrier "tient également compte du retour d'expérience de la construction de grands projets, notamment en matière de travaux souterrains", qu'il a fallu intégrer au projet initial, poursuit l'Andra.
Pour réduire les coûts tout "en répondant aux mêmes exigences de sûreté et de sécurité", l'Andra a donc réalisé des études supplémentaires, lesquelles "ont permis d'intégrer à la conception de Cigéo (...) certaines pistes d'optimisations". De quoi économiser jusqu'à 3,6 milliards d'euros par rapport au projet tel qu'il a été présenté il y a une dizaine d'années, selon l'Andra, en utilisant par exemple "de nouveaux matériaux plus performants".
Des inconnues à court et moyen terme
Outre "l'allongement du planning de réalisation de Cigéo", ce nouveau chiffrage prend en compte d'autres imprévus : des coûts de sécurisation du site d'environ 10 millions d'euros par an, qui ne figuraient pas dans les estimations de 2014, ou encore la réalisation de fouilles archéologiques. L'Andra cite par ailleurs "le renforcement de certaines équipes de maîtrise d'ouvrage". Il intègre aussi plusieurs scénarios selon les possibles évolutions de la fiscalité et autres modalités "définies par un cadre législatif et réglementaire indépendant de l'Andra".
Taxes foncières, cotisation foncière des entreprises et imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux... Parmi ces inconnues à court et moyen terme, l'agence cite une "taxe sur les installations nucléaires de base concourant à la gestion des substances radioactives", dont une partie "fait actuellement l'objet de discussions entre l'Etat et les collectivités locales". Ces incertitudes entraînent un écart de plus ou moins 7,4 milliards d'euros sur la facture totale du projet en fonction du scénario choisi.
Pour réaliser ces estimations, l'Andra s'est basée sur "l'inventaire de référence", qui répertorie les déchets nucléaires déjà produits et ceux qui proviendront des futures installations nucléaires existantes ou autorisées. Ainsi, les six futurs réacteurs EPR2 annoncés en 2022 par Emmanuel Macron, pas encore autorisés, n'y figurent pas. L'Andra met en garde : "Si on rajoute des déchets, forcément le coût augmentera." Pour l'heure, 83 000 m3 de déchets les plus radioactifs sont attendus à Bure, dont la moitié a déjà été produite.
Des coûts futurs difficiles à estimer
Le chiffrage de Cigéo, qui inclut son exploitation, sa construction et sa maintenance, suivi de son démantèlement et de sa fermeture "sur environ 20 ans", "est un exercice complexe et inédit", rappelle l'Andra. Or, la période d'exploitation du site jusqu'à sa fermeture, la plus longue, compte pour les trois quarts du montant total estimé du projet : "entre 16,5 et 25,9 milliards d'euros au total", détaille l'Andra. Mais elle est aussi la période la plus incertaine.
A compter de sa mise en service à l'horizon 2050, "le coût annuel moyen de Cigéo est estimé entre 140 et 220 millions d'euros par an". Mais pour les associations qui luttent depuis des années contre ce projet, ces estimations ne prennent pas en compte le "coût d'un accident de chantier, d'une explosion dans un alvéole ou d'un autre scénario catastrophe encore non imaginé", écrit la Coordination Stop Cigéo/Bure dans un communiqué.
Quant à la phase de surveillance qui doit suivre la fin d'exploitation du site, à l'horizon 2170, elle pourrait durer "selon la décision des autorités (...) plusieurs centaines d'années", écrit l'Andra. L'agence estime son coût à environ 600 millions d'euros (sur 300 ans) ou à 900 millions (sur 500 ans). "Quel organisme au monde peut aujourd'hui s'engager sur un projet industriel d'un siècle et demi ?" s'interroge la Coordination Stop Cigéo/Bure. Elle demande une commission d'enquête indépendante et poursuit : "Qui peut prédire aujourd'hui la disponibilité et le prix des énormes volumes de matériaux nécessaires à la construction de Cigéo ?"
* Tous les montants cités par l'Andra sont euros courants, aux conditions économiques de 2012.
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