: Témoignages "On a eu de la chance de partir, contrairement à d'autres" : après le passage de Chido à Mayotte, des parents scolarisent leurs enfants dans l'Hexagone ou à La Réunion
Depuis que le cyclone a ravagé l'archipel mi-décembre, des familles qui en avaient les moyens ont déménagé ou confié leurs enfants à des proches en dehors de Mayotte, dans l'espoir d'un avenir meilleur.
Lorsque Marlène Fraytag décroche le téléphone, elle sort tout juste d'un rendez-vous avec la CPE. "J'ai aussi vu l'infirmière du collège, qui a posé un tas de questions sur la santé et l'état d'esprit de mes filles", rapporte, soulagée, cette mère de famille. Louanne et Sélène viennent de faire leur rentrée des classes, mardi 21 janvier, respectivement en 3e et en 5e. Pas à Mayotte, où elles ont presque toujours vécu, mais à Villeneuve-lès-Avignon (Gard), d'où Marlène est originaire. Après le passage du cyclone Chido, mi-décembre, Marlène Fraytag et son mari, également parents d'un nourrisson, ont "beaucoup réfléchi à ce qu'il fallait faire" pour leurs filles.
Toit envolé, murs volatilisés, salles inondées... A Tsingoni (Grande-Terre), le collège de Louanne et Sélène a été considérablement abîmé par Chido. Marlène Fraytag ne sait pas si l'établissement pourra rouvrir lundi 27 janvier, jour de rentrée scolaire pour l'archipel sinistré. Elle a, quoi qu'il en soit, eu un déclic : "En treize ans de vie à Mayotte, on a eu une accumulation de crises. Les catastrophes naturelles, le manque d'eau, la sécurité... Chaque année, il y a quelque chose". Le retour dans l'Hexagone est apparu comme une évidence pour le bien-être de ses enfants, même si son mari, qui travaille dans le BTP, doit pour l'instant rester à Grande-Terre. "J'ai appelé le collège près de chez mes parents, l'académie a validé l'inscription."
Depuis que le cyclone a rasé l'archipel, d'autres parents ont choisi de quitter l’île ou de scolariser leurs enfants dans les académies de l'Hexagone ou sur l'île de La Réunion. Le 20 décembre, Emmanuel Macron avait évoqué cette solution d'urgence. Selon le ministère de l'Education nationale, cela concerne à ce jour près de 1 200 élèves, dont 422 à La Réunion.
Ce changement d'établissement et d'environnement n'est possible que pour les familles les plus aisées de l'archipel, souvent venues de l'Hexagone. Quatre d'entre elles, dont l'habitat en dur n'a pas souffert de dégâts majeurs, assurent avoir conscience de leur "privilège" : des économies suffisantes et un pied-à-terre dans un autre département. "Je me suis dit 'on a les moyens de partir', faisons cela. Mais je sais que ce n'est pas le cas de tout le monde", explique Marlène Fraytag, entrepreneure dans l'artisanat d'art. Les billets d'avion ont coûté à la famille près de 3 000 euros.
Avant Chido, un habitant sur trois à Mayotte, la région la plus pauvre de France, vivait dans un bidonville. Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, craint ainsi "que ce soient les plus favorisés qui puissent venir en métropole". Mais elle contrebalance : "On ne veut pas creuser les inégalités, mais au nom de quoi on pourrait interdire à des élèves de venir dans l'Hexagone s'ils ont de la famille ? C'est l'éternelle tension entre intérêt général et intérêt individuel."
Une école qui cumule les difficultés
Le cyclone a frappé plus durement les personnes qui dormaient sous des tôles que les habitants de maisons en dur. Mais dans les écoles mahoraises, tous les enfants, qu'importe leur milieu social, vont subir les conséquences de Chido. A moins de partir.
Aurore Salim Ricaille, qui habite Combani (Grande-Terre) depuis vingt ans, a décidé d'envoyer deux de ses enfants sur la Côte d'Opale (Pas-de-Calais), où habitent ses parents. Pour leur avenir, "on n'avait pas d'autre choix", assure la mère de famille. Elle dit n'avoir "eu aucun souci pour les inscrire" en CM2 et 4e. Contrairement à Marlène Fraytag, cette exploitante agricole, dont les serres ont été dévastées par Chido, prendra un vol retour pour Mayotte d'ici un mois. Elle y retrouvera son mari mahorais, resté sur place avec leur fils aîné. Parce qu'il passe le bac cette année, Aurore Salim Ricaille a pour l'instant souhaité lui éviter un changement "trop radical".
De son côté, Albane, infirmière de formation mais actuellement au foyer, avait emménagé en septembre à Pamandzi (Petite-Terre). Elle loge désormais dans sa famille à Castelnaudary (Aude). "On a eu de la chance de partir, contrairement à d'autres", confie Albane. Ses trois enfants en âge d'être scolarisés ont pu être inscrits dans une école du coin. Tous les quatre ont été rapatriés dans l'Hexagone ; son compagnon, militaire, est toujours à Mayotte.
"On a pris cette décision pour être sûrs qu'ils ne perdent pas de temps, qu’ils ne prennent pas de retard sur le programme."
Albane, mère de quatre enfantsà franceinfo
Chido est venu balayer un système scolaire déjà précaire. Léon, lui-même enseignant près de Mamoudzou, souligne les absences de longue durée non remplacées. "Depuis le début de l'année, Emi n'avait pas de prof de maths", illustre le père de famille, qui déplore aussi l'"insécurité croissante" à Mayotte, y compris aux alentours des écoles.
Depuis plusieurs années, les syndicats enseignants alertent aussi sur les classes surchargées. En septembre 2022, l'ancien recteur de Mayotte Gilles Halbout avait estimé auprès de Ouest-France à "800, voire 900" le nombre de salles manquantes. C'est la raison pour laquelle les rotations, qui consistent à utiliser la même classe pour faire cours à certains le matin et à d'autres l’après-midi, sont fréquentes à Mayotte. Un système qui doit être étendu dès lundi, à cause des dégâts causés par le cyclone, a annoncé Elisabeth Borne.
Emi vit désormais chez sa grand-mère dans un village près de Grenoble (Isère). L'intégration dans son nouveau collège reste difficile, rapporte Léon. "Elle aime profondément Mayotte, elle y vivait depuis l'âge de 2 ans. Cela lui a fait très mal au cœur de quitter" l'archipel.
"Je ne sais pas si c'est définitif"
Ce déménagement a aussi été difficile pour les enfants d'Aurore Salim Ricaille. "Même s'ils ont été bien accueillis, la première semaine a été dure. Il y avait le stress des nouveaux camarades, les horaires d'école qui sont différents. Sans compter le froid, auquel ils ne sont pas habitués", explique-t-elle. Albane regrette que les siens, comme beaucoup d'autres, n'aient pas pu dire au revoir à leurs amis. Quant aux filles de Marlène Fraytag, elles ont compris la "nécessité" de partir. Mais Louanne et Sélène ont davantage de mal à se projeter sur le long terme dans l'Hexagone.
"Mes filles ont l'envie très forte de revenir à Mayotte, elles me l’ont dit plusieurs fois."
Marlène Fraytag, mère de trois enfantsà franceinfo
En 2024, dans un tout autre contexte que celui d'une catastrophe climatique, Bouéni a fait le choix de scolariser son fils dans un lycée de La Réunion. "Je l'ai envoyé chez mon petit frère en décembre, car il n'avait pas de prof de SES depuis la rentrée. Il a aussi commencé à adopter des comportements qui ne me plaisaient pas", rapporte cette habitante de Bambo-Est (Grande-Terre). Une décision qu'elle dit regretter aujourd'hui : "Ça s'est mal passé parce qu'il est parti contre sa volonté." Bouéni évoque aussi "le décalage culturel" et un éloignement vécu difficilement par son fils.
"Je ne sais pas encore si cet emménagement est définitif. L'idée, c'est de voir comment mes filles s'adaptent", précise Marlène Fraytag. Même point de vue pour Aurore Salim Ricaille : "Si je vois que l'école se passe mieux ici, et que les enfants s'y sentent bien, on envisagera leur scolarisation permanente en métropole". Léon et Albane, eux, pensent récupérer leurs enfants cet été. "On souhaite vraiment que cela soit une parenthèse de six mois, le temps que Mayotte se retourne", fait savoir la deuxième.
Zalihata, enseignante en CP dans une école de Labattoir (Petite-Terre), sait déjà qu'elle ne retrouvera pas l'un de ses élèves lundi, parti lui aussi dans l'Hexagone. Avec ses parents, ils étaient arrivés à Mayotte quatre mois plus tôt. "Ils ont subi Chido de plein fouet. La maison ça allait, mais ils ont été extrêmement choqués. Ils venaient tout juste de s'adapter au manque de confort de vie, glisse Zalihata. C'est quand même violent. Forcément, on les comprend, c'est très compliqué de rester ici."
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